Amedee.le.lion
An de disgrâces 1468.
Voilà une éternité que la guerre faisait rage dans les Balkans. Depuis que la horde de l'Ordo Nero Equites s'y était sédentarisée, après avoir ravagé la moitié du monde connu. Ces brigands sans foi ni loi avaient fait de la principauté de Valachie leur base principale. Mais ils s'infiltraient également dans les contrées voisines et jusqu'en celles de l'Empire germanique. Position hautement stratégique, qui leur permit de s'emparer de la route commerciale frayée deux ans auparavant par la victoire des Aristotéliciens contre le Khan Yeswe. Désormais les pèlerins se faisaient impunément extorquer, réduire en esclavage, voire massacrer sans autre forme de procès. Alors aux yeux de certains preux aventuriers, le temps sembla venu de marquer le dos de la Bête d'une croix rougie au feu de l'antique Chevalerie. Ainsi Amé de Montjoye, celui qui se faisait appeler le Lion de Luxembourg, controversé Marquis d'Arlon, Comte de Guines et d'Avesnes, en appela à la Seconde croisade pour la Valachie. Et d'une pierre, deux coups, messire ordonna la refondation de l'implacable Ordre du Dragon Renversé. Une confrérie de chevaliers, vouée à la défense des confins du monde aristotélicien.
Justus et paciens, serait leur devise. Et quand Dieu et Saint-Georges les enverraient comme des ovins au milieu des loups, ils seraient féaux comme la colombe et sages à la manière du serpent. Ils reforgeraient le glaive acéré à deux tranchants, celui qui pourfend et terrasse les démons de l'Apocalypse. Heureux ceux qui entendirent la prophétie, bienheureux ceux qui relevèrent la bannière sang et or.
Jour de la Saint-Georges, Pola, Istrie.
La paisible cité vénitienne connut une effervescence inhabituelle. Elle fut devenue, l'espace d'une saison, le principal point de passage et de halte pour les compagnies croisées qui commençaient à affluer dans les Balkans . Leur avant-garde avait donc pris ses quartiers à l'abri des ruines du Colisée bâti au temps d'Auguste. Des vestiges intimidants, un anneau de pierre taillée s'élevant sur trois niveaux, qui avait hébergé au fil des siècles d'innombrables combats. Depuis les gradins les guetteurs purent veiller sur le port ainsi que sur la route qui les mènerait bientôt vers l'Orient. Au coeur des arènes ils purent camper et s'entraîner en prévision des prochaines batailles. Le climat était plutôt agréable en Istrie, pour cette armée hétéroclite de nobles, de prêtres, d'artisans et autres gueux. Mais la troupe ne pouvait se permettre d'y prendre trop d'aises.
Car des provinces alliées se trouvaient régulièrement menacées d'invasion, et parce que le marché local risquait de ployer sous le poids de cette population déplacée principalement depuis les terres franques, occitanes et écossaises. Alors, une fois réunis en nombre, les différents chefs de cette croisade décidèrent de se remettre en marche à l'occasion des beaux jours.
Mais avant de quitter les lieux pour rejoindre le front, celui qui à la suite de son illustre père devenait second Grand Maître du Dragon Renversé avait prévu d'adouber les membres refondateurs de l'ordre. Et quelle meilleure date, que celle du saint patron de la chevalerie, pour raviver la ferveur chevaleresque ? Amé convoqua ses Barons au centre du Colisée. Il avait revêtu pour l'occasion des habits aux couleurs de la confrérie, et les atours de la souveraineté qu'il revendiquait. Il se percha sur une estrade de fortune, reposant sur des tonneaux de vin. A son côté pendait la lourde lame des sires de Montjoye, cette épée qui avait défait des Ducs, des Princes, un Khan et même un Roi. Ce n'était pas vraiment une arme de cérémonie, rutilante de joyaux, comme la Joyeuse de Charlemagne ou l'épée de Saint-Maurice, mais un véritable outil, qui avait bu bien des âmes.
Face à lui s'alignèrent cérémonieusement les postulants, Barons d'Arlon et d'ailleurs. Le Lion resta silencieux.
Son héraut, le vieux Gaston, s'apprêtait à ouvrir la cérémonie.
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