J'ouvris la porte de la chaumière et la refermais tout aussitôt en poussant un soupir de découragement.
La neige recouvrait tout et le froid était mordant. Ce n'était pas mon premier hiver passé en occident mais lorsque j'étais enfant ce n'était pas moi qui devais renouveler le bois de chauffage, mon père payait des hommes pour le couper.
Maintenant, et depuis 3 ans que j'étais de retour, je devais me débrouiller seul pour abattre, ébrancher et débiter en bûches, le bois que j'utiliserais pour me chauffer et manger chaud. Je n'avais pas les moyens financiers suffisants pour payer quelqu'un.
Si je ne voulais pas mourir de froid, je devais me bouger le popotin et aller en forêt suer sang et eau.
Il me restait bien quelques fagots de petits bois et une vingtaine de bûches mais cela serait insuffisant.
Je soupirais de nouveau en serrant la ceinture autour de la longue cape faite d'une grosse laine sale et j'en rabattit la capuche sur ma tignasse hirsute.
Ma paire de bottes, toute nouvelle, avait été graissée plus d'une fois. Elle ne prendrait pas l'eau, j'étais au moins certains d'avoir les pieds au sec.
Je m'entourais les mains avec des bandes de tissus, pris la hache bien affûtée et sortis de la masure.
Le froid était décidément très vif. Mon haleine formait devant mon vissage un nuage bleuté, l'air me brûlait la poitrine.
D'un bon pas, je passais la place du village et me dirigeais vers la mairie pour atteler la carne à la carriole que la municipalité mettait à la disposition des personnes peu fortunées.
Cela fait, je jetais la hache à l'arrière et m'assis sur le banc de bois servant de siège.
D'un claquement de langue, la bourrique se mit en marche.
Je remontais doucement vers les portes nord de la ville et j'en profitais pour saluer les gardes se gelant les fesses. Je m'arrêtais et les encourageais.
- Allez les gars, prenez courage ! Dès mon retour, je vous paye un petit remontant ! Moi, ça sera la tisane, je suis de garde cette nuit. Ventre-bleu, je vais geler sur pied !
En retour, je ris aux quolibets des gardes et j'allais repartir lorsque j'aperçus Burich entrain de charger une petite charrette se trouvant non loin du marché.
Je fis un détour pour le saluer et lui donner des nouvelles de son faucon.
- Bien le bonjour messire Burich, vous faites vos achats ? Il fait bien froid pour se promener de si bonne heure. Votre faucon...
L'autre s'arrêta de charger et me fixa attentivement avant de s'exclamer...
- Quoi ? Vous l'avez perdu ...Hum, c'est ça ? Bondiou ! Je m'en doutais que vous ne seriez pas capable d'y faire attention...
Sous le coup de cette accusation, je reculais involontairement sur mon banc.
- Heu...Non, non, ne vous en faites pas messire Burich ! Le faucon va bien, je l'ai laissé dans ma masure, perché bien au chaud sur la maître poutrelle qui soutient le toit de chaume.
Non, je suis sorti pour aller couper du bois, le grand froid de ces derniers jours m'en a mangé le trois quart.
L'homme me jeta encore un regard noir puis doucement se radoucit.
-Ouais, bon...Prenez-en soin de cette bonne bête, d'accord ? Et c'est vrai, comme vous dites, il fait grand froid. Malgré cela, dame Klouska et sa belle petiote sont parties au lac. Vous le croyez ça ? Elle n'a même pas accepté que je les accompagne !
Je m'étonnais en entendant cette nouvelle.
- Klouska et sa fille près du lac et par ce temps ? Ce n'est pas bien raisonnable dites-moi ?
Burich reprit en faisant de grands gestes.
- Ah,là,là, à qui le dites-vous ! Sauve son respect, c'est une tête de mule mais bon, que voulez-vous, c'est moi qui la sert et pas le contraire.
Je réfléchis quelques instants et pris une décision.
- Bon, je vais les rejoindre, je crains qu'il ne leur arrive quelque chose. Burich, si vous ne nous voyez pas revenir d'ici deux heures, alertez la garde et dites-leur...
Burich m'arrêta d'un geste.
- Vous me prenez pour un niais ? D'ici deux heures, si je ne vois personne, j'alerte tout le château ! Pis c'est tout !
Souriant malgré moi, je lui fit un signe d'apaisement et il se remit au travail en bougonnant dans sa barbe.
- Et bien me dis-je pour moi-même, celui-là aime sa maîtresse comme sa fille.
Je claquais les rênes sur l'arrière-train du canasson et l'encourageais à avancer plus vite.
Après une bonne demi-heure, le lac brillant au soleil se distinguait à travers les ramures des saules et des bouleaux.
- Quelle idée de venir ici par ce froid, elles vont attraper la mal-mort, ventre-saint-gris !
Je me dépêchais de les rejoindre toutes deux.