Elisaabeth.
- « On passe une moitié de sa vie à attendre ceux quon aimera et lautre moitié à quitter ceux quon aime. »
Victor Hugo.
Mère Hildegard vous attend, mad... votre
Hum ? Jarrive.
En se relevant, Élisabeth se signa, comme pour mettre fin à la prière quelle venait de faire. Il est vrai que cela faisait de nombreux mois pour ne pas dire quelques années quÉlisabeth priait. Pourquoi ? Pour qui ? Dans quel(s) but(s) ? Même si on lui posait quelques questions, ses réponses resteraient vagues, voire même silencieuses. Pourquoi répondre à des personnes qui ne se soucient pas tant de vous ? Ces personnes sont simplement piquées par la curiosité et rien de plus, elles nont aucune envie . Elle navait plus envie de parler inutilement, du moins depuis ces dernières années passées dans ce couvent. Elle avait beaucoup de choses à oublier, des blessures à panser, une reconstruction à faire. Elle a été brisée, par des pertes mortelles, mais également des disparitions où la mort nétait pas certaine. Elle était redevenue orpheline, en quelque sorte. Les deux premières années de son enfermement, la vie nétait plus assez délicieuse pour envisager de survivre, mais que dirait le Très-Haut si elle venait à mettre un terme à sa vie ? Elle finirait en enfer avec le Malin, à coup sûr. Elle avait très peu de raisons de vivre, et ces raisons, elle préférait les méditer longuement mais sûrement. Cela a pris le temps quil lui fallait, mais aujourdhui, elle en était plus que sûre : il est inutilement de tenter de suivre les morts quand notre heure na point encore sonné. Elle était plus que décider de continuer de vivre et supporter la douleur invisible qui sommeillait en elle. Elle se retourna, se mettant à dos de lautel, et sortit de la chapelle pour rejoindre la mère supérieure qui lattendait afin de discuter comme elle en avait pris lhabitude depuis un certain temps. Cette fois-ci, cétait dans les jardins, non loin des fleurs dautomne qui commençaient à fleurir joliment. Une fois quelles se retrouvèrent, elles purent discuter dun ensemble de sujets de conversation qui leur plaisait à lune comme à lautre. Ce petit rituel ridicule sétait instauré depuis le jour où Élisabeth avait ressenti le besoin de se confesser, presque deux ans après son entrée dans le couvent : sur sa vie, son passé principalement, ce quelle avait vécu, les fautes quelle avait commises. Ce jour-là, la discussion nallait pas être plaisante ; il nétait plus question de regarder en arrière mais plutôt droit devant. Élisabeth brisa le silence qui sétait installé depuis plusieurs instants tout en continuant leur promenade.
Je pense que vous vous doutez de ce que je mapprête à vous dire. Elle nattendit pas que Mère Hildegard lui réponde pour reprendre : Il est temps pour moi de vous quitter. Définitivement.
Un petit silence sinstalla avant de partir aussi vite quil nétait venu : Mes devoirs conjugaux me rappellent ces derniers temps. Et je ne vous parle pas du côté ... charnel de la chose, il en va de soi. Disons quil est temps que je reparte, vivre la vie que je devrais vivre après tout.
Je devrais être ravie de vous entendre dire cela. Mais je devine de lappréhension dans votre voix.
Elle hocha la tête en guise de réponse. Elle voulait choisir les bons mots, les mots justes, et surtout, elle souhaitait être la plus concise : Le monde actuel me fait peur. Je nai plus remis les pieds depuis elle déglutit lentement avant de reprendre : et je ne sais pas comment il est aujourdhui. Jai limpression dêtre une enfant qui doit apprendre de nouveau ce quelle pensait connaître.
Votre sentiment est tout-à-fait normal. Dites-moi qui nest pas effrayé à lidée de repartir vivre alors que vous avez été enfermée pendant tout ce temps ?
Jy suis de mon plein gré, ne loubliez pas.
Ce nest pas le cas. De gré ou de force, la réaction restera la même, ma fille.
Élisabeth soupira ; elle sétait préparée depuis plusieurs semaines et voilà quelle commençait à paniquer. Sotte quelle était.
Concernant Marianne
Votre « fille » recevra léducation qui conviendra pour une future novice.
Le sous-entendu déplut fortement à la Belette, ce qui rendit son regard, initialement vert, bleu-gris, signe de colère et de contrariété. Elle répondît sèchement : Ce nest pas parce quil sagit dune bâtarde quelle doit être considérée comme telle. Sa situation nest pas de sa faute mais de la mienne et de feu son père. Elle était suffisamment en colère contre Édouard mais également contre elle-même ; il était donc inutile denfoncer le couteau dans la plaie. Il est de mon droit, et surtout de mon devoir quelle ait une éducation digne de son rang, aussi bâtarde, mot sur lequel elle insista lourdement sur le mot, soit-elle. Elle ne deviendra nonne que si je le décide. Point.
Elle se tut sous lacquiescement de Mère Hildegard. Un silence bref sinstalla. Les idées dÉlisabeth se bousculèrent à une telle rapidité quelle dût secouer la tête pour se donner limpression quelle les avait balayées. Elle brisa le silence en reprenant : Laissez-moi le temps quil me faut pour madapter de nouveau au monde. Je récupérerai ma fille à ce moment-là. En attendant, je vous demande dêtre juste envers elle. Pas de me remplacer mais de la veiller. Cest une jeune enfant curieuse qui a besoin quon laide à découvrir le monde, pas quon la bannisse et quon lui prive de ce droit. Ai-je été claire ?
Elle sarrêta afin de regarder Mère Hildegard droit dans les yeux, nayant pas encore décolérée : Je partirai demain matin, quand le soleil sera bien assez haut. Je profiterai de ma fille et lui expliquerait ce quelle doit savoir avant de partir. Vous naurez nul besoin de la consoler, je le ferai. Comme je lai toujours fait. Je reviendrai voir ma fille en attendant de la récupérer définitivement. Le jour où je viendrai vous saluer, ce sera la dernière fois que nous nous verrons ... jusquà la prochaine longue retraite que jentreprendrai chez vous.
Il ny avait rien à ajouter de plus. Elle ne laissa guère le temps à Mère Hildegard de lui répondre, elle avait dit ce qui lui semblait nécessaire : cétait clair, net et concis. Après une dernière illade assassine, elle inclina légèrement la tête et tourna les talons afin de retrouver sa cellule. Elle avait besoin de calme pour mieux réfléchir. Linstant où elle devrait laisser temporairement sa fille ici se rapprochait, comme le fait de retrouver son époux. Elle était triste mais heureuse à la fois, émue et chagrinée. Il était temps de revenir à la vie et ne plus fuir ce qui laurait terrassé, il y a quelques temps encore. Elle se devait, à présent, de revivre comme elle le faisait auparavant, peut-être ne plus re-pécher comme elle lavait fait durant des années. La repentance avait été effectuée durant ces années denfermement. Elle se devait de montrer au monde, à ce monde auquel elle était tellement anxieuse de retrouver quelle navait pas trépassé et ainsi, faire taire de mauvaises langues et probablement des rumeurs qui ont couru durant de longs mois à son égard. Quand elle ouvrit la porte de sa cellule, la première chose quelle fit était de sorienter vers la petite armoire quelle avait quémandé afin dentreposer ses effets personnels. Elle se souvint, à la vue du tissu rouge quétait sa robe, le jour où Hubert était venu lui apporter, accompagné de la nouvelle camériste qui soccuperait delle, certains effets personnels afin de faire son retour au monde dignement. Elle se souvint, non sans tristesse, que sa précédente camériste était morte dune maladie quHubert était incapable de répéter. Pauvre petite Elle décida quil était temps daller parler à Marianne, de lui faire comprendre quelle ne labandonnait pas, quelles se retrouveraient très vite. Ce quelle fit avant le repas de la soirée. Et avant de lamener dans la cellule où se trouvèrent quelques orphelins et enfants laissés dans ce couvent, elle fit preuve de toute démonstration daffection quune mère pouvait faire à légard de son enfant. Élisabeth se fichait de savoir sil était convenable ou non dagir de la sorte, mais la culpabilité était tellement grande quelle se refusait de faire comprendre à sa fille quelle était une erreur ; cela restait inimaginable et infaisable. Ce nétait en aucun cas la faute de cette enfant ... Pour lendormir, elle lui raconta une histoire et en fit profiter ainsi à tous les enfants présents dans le dortoir. Lhistoire dun preux chevalier qui déclara sa flamme auprès dune demoiselle connue pour être une princesse, prochainement en détresse. Bref, une belle histoire qui finit toujours bien et qui ravive le cur des enfants tristes afin de leur redonner un espoir ou deux, peut-être.
À laube, Élisabeth était presque prête, il ne lui manquait plus que la guimpe qui accompagnait la tenue de laine fourrée comme celle que portait une certaine Margarete lorsque son époux la peignit. Elle était fin prête à revenir plus activement dans une vie non religieuse, du moins, pas aussi pieuse quelle avait pu lêtre durant ces dernières années. Se regardant dans le miroir, elle ajusta sa grimpe pour quelle soit parfaitement mise, puis, elle se leva et vérifia que les affaires quelle avait préparées dans une seule et unique malle étaient prêtes à être embarquées par son fidèle Hubert qui ne lavait pas quitté après tout ce temps déloignement. Elle sortit du couvent qui lavait accueilli pendant plusieurs années, sous un ciel dautomne qui se rapproche de lhiver et un temps qui laissait clairement à désirer par ce froid qui rendait le vent glacial et puissant, même le soleil nétait plus assez puissant pour apporter un brin de chaleur. En regardant le ciel, Élisabeth se remercia ironiquement davoir choisi cette période de lannée pour sortir de son trou car sil y avait bien des choses quelle détestait, lhiver en faisait partie. Une fois installée dans le carrosse dans lequel elle sapprêtait à voyager, elle se rapprocha de la fenêtre et observa de nouveau le ciel, plongé intensément dans ses pensées et réflexions. Elle se mit en tête denvoyer une ou deux lettres, à commencer par sa suzeraine, si cette dernière navait pas terré, elle aussi, dans un trou et nen ressortir quand bon lui semble. Puis, elle se promit de tenter de rattraper le temps perdu avec son époux, la moindre des choses quand on se planque pendant plusieurs années afin de prier pour telle ou telle raison. Enfin, elle se promit de nouveau de se rendre à Mesnay afin de voir le travail quavait effectué Hubert durant son absence. Elle pensait, à ceci et à cela, quand soudain, le carrosse sarrêta net puis une voix se fit entendre. Quand elle reconnut Hubert, elle décida de faire attention au spectacle qui se déroulait sous ses yeux : Hubert eut à peine le temps dannoncer larrivée dÉlisabeth et de préciser dans le cas où ce ne serait pas clair quelle était lépouse de la marmotte que le pont-levis se levait rapidement, comme si le personnel était au courant quÉlisabeth avait décidé de rentrer à telle date. Sous le regard étonné de Hubert, Élisabeth haussa les épaules, comme si cela lui importait peu. Après tout, elle était chez elle et elle avait le droit de faire comme bon lui semblait, que cela plaise ou non. Quand le carrosse sapprocha des portes du château des deux truites, pardon de Dampierre, Élisabeth fut surprise de ne pas retrouver Hubert qui devait ouvrir la portière du carrosse mais une autre personne qui avait lair plus quenchanté de retrouver Élisabeth, prenant ainsi la place de Hubert.
Votre Altesse ! Quelle inattendue visite tellement attendue !! Pour tout vous dire, elle est inespérée.
Aahh oui ?
Ce qui la perturbait inévitablement résidait littéralement dans les sept premiers mots prononcés.
Oui oui, votre Altesse. Me permettez-vous de vous emmener à lintérieur afin que vous ne souffriez du froid.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Votre Altesse ... je suis désolé de vous importuner alors que votre retour est imminent mais je me dois de vous demander de présider les doléances de Dampierre-sur-Salon.
Son Altesse mon époux nest pas là ?
Cest-à-dire que son sa
Instant de réflexion intense. Une moue impatiente commençait à safficher sur le visage dÉlisabeth qui ne comprenait pas tellement où il voulait en venir.
Sa GrandAltesse nest pas revenue ici depuis plusieurs jours et plusieurs paysans demandent une audience depuis quelques temps à présent.
La belette balafrée ny comprit rien. Non, elle ne comprenait pas pourquoi son époux était maintenant appelé « sa grandaltesse ». Les bras croisés, elle soupira dimpatience et répondit à ce pauvre serviteur.
Comment ça, sa « grandaltesse » ? Lempereur ou limpératrice, je ne sais pas, je suis perdue à force ! a décidé de donner une nouvelle appellation pour les Palsgrave et/ou plus hauts gradés de la haute noblesse ?
Non ! Non, du tout. C'est-à-dire que votre époux est devenu comte depuis peu.
Encore ? Il aurait pu me le dire cest quoi le bled maintenant ?
Ah non ! Non, du tout votre altesse. Il y a mésentente.
Si vous étiez plus clair, aussi
Votre époux est de nouveau représentant de la Franche-Comté, si vous préférez
Aaaahhhh ouaaaaaiiis. Je vois. Vous avez fait un mélange de « Sa Grandeur » et de « Son Altesse Sérénissime ». Bah oui, logique. Normal.
Un blanc simpose. Le temps que la nouvelle fasse complètement son effet dans la cervelle élisabéthaine.
Votre Altesse ?
Oui ?
Pour laudience alors ?
Laudience ? Oh. Ah, oui ! Et bien soit, jofficierai les doléances de son altesse mon époux. Y en a-t-il beaucoup ?
Suffisamment pour que je me permette de vous le demander.
Élisabeth empoigna les jupons de sa robe de laine, traversa quelques salles avant de sapprocher du trône et de sy installer, aussi droite que lui permettait son dos, avant de reprendre : Je déclare la salle de doléances ouverte. Faites-les entrer, ces malheureux. Et je vous en prie, ramenez-moi du vin. Beaucoup de vin.
Oh yeah babe. Im back.
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