--L.epouvantail
Que la nuit tombe, et avec elle sa pluie diluvienne.
Que les pires humeurs s'abattent sur cette trainée Parisienne.
Amère traitresse au souffle rance, à l'étrange goût de reviens-y.
Ils finissent tous par y revenir, à la Cour des Miracles. Tous autant qu'ils sont. Même lui, l'Épouvantail, avec sa gueule lacérée. Le pire foyer au monde ? Ouais, mais foyer quand même. La lie du royaume s'y retrouve, assoiffée, affamée, en quête de quelque masure où s'abriter, ou de malheureux à la bourse généreuse s'étant aventurés trop loin. On t'offre le gîte, pas le couvert, mon gars ! Débrouilles-toi avec ça.
Et cette nuit, alors que des nuages noirs s'approchent à grand pas, l'Épouvantail cherche asile. Son couvre-chef défraichi masque des yeux gonflés et injectés de sang. Il est déjà trop tard pour dissimuler les nombreuses cicatrices qui juchent son visage, son corps. Affaire impossible et déjà classée. Quel homme hideux ! Monstre ! Démon ! disaient-ils. L'Épouvantail, c'est de là qu'il tire son surnom. Recousu des pieds à la tête. Or messire l'Épouvantail n'a plus toute sa tête. C'est pour ça qu'il chante à tue tête :
« A minuit tous les soirs, le peuple de paille s'éveille pour une heure... et ils doivent chercher pitance ! »
Non loin, à une dizaine de pas à peine, se dresse l'Orphelinat Ste Catherine. Son portail jadis imposant n'est plus. Rouillé, à l'agonie. Les éclats de rire se sont tuts ; et cette vieille dame esseulée semble en manque de compagnie. L'Empaillé continue donc sur sa lancée :
« A la fin de l'Heure Maudite, si tu n'entends pas la cloche, c'est que les carottes sont cuites ! »
Torrent de rocaille qu'est sa voix. A l'image de son propriétaire. Et une autre d'outre-tombe planquée dans l'ombre y fait écho. Parlerait-on d'un assassinat ? Il court, il court, l'épouvantail du bois joli ! Il veut voir ! Il veut savoir ! En r'tard, en r'tard, toujours en r'tard pour les festivités. Et c'est là, une fois arrivé devant les portes de l'établissement, qu'il déchante totalement. Si bien qu'il en perd sa voix, et son sourire sardonique. Ni sang ni meurtre ; rien qu'une silhouette emmaillotée s'accrochant à un bâton. Dieu qu'elle est laide, ainsi fagotée ! Mais c'est une... une semblable ! Pas croyable ! Pour la première fois de sa vie, l'Épouvantail a l'impression de faire face à sa propre laideur. Il se met à bégayer, tout pataud qu'il est.
« B...b...bons...ssoiiiir »
On dirait qu'il croasse, comme ses seuls et uniques amis les corbeaux.
« Vo...vous n'de...devr...vriez pas appel...ler au, au meurtre... ma, ma... jo... liiiie »
S'il la trouve jolie ? Un peu. Beaucoup ? Passionnément ? A la folie ? NENNI !
Mais allez quoi, c'est pas tout les jours qu'on tombe nez à nez avec aussi hideux que soi. Ça force le destin, et la franche camaraderie ces choses-là. Même pas peur, l'Épouvantail ! Que pourrait-il perdre, si ce n'est une tête qu'il n'a déjà plus ?
--L.epouvantail
Glaciale lépreuse avec du cran qui lui glace le sang. Ah, les femelles ! Un simple bonsoir aux allures de vif poignard qui vous fout de force les pieds sur terre. Pas d'place pour la sympathie. Ça lui rappelle un crédo bien connu : on est p'têtre semblables, mais on vient pas du même monde alors marche à l'ombre. Pour sûr que le R'cousu s'en souviendra la prochaine fois. Si prochaine fois il y a. La mémoire, c'est tout ce qu'il lui reste, à l'Épouvantail au coeur de paille : il s'embrase vite, s'éteint lentement. Il avale sa salive, cherche à reprendre contenance. Sous son grand chapeau se dessine un rictus atrocement nerveux ; il va répondre quand une voix enfantine retentit dans la nuit.
Sursaut. L'homme fait un pas en arrière pour lever le nez vers la fenêtre suspecte. De la marmaille : cerise sur le cadavre !
Ah, si l'Épouvantail avait un soupçon d'amour propre, il lui dirait que non, ils sont pas amoureux pour un pécos...
Mais non. Voilà déjà bien longtemps qu'il se fout de la perte de ce dernier comme de sa première paire de braies volées.
Là encore, l'monstrueux ouvre le bec pour causer. Mais un troisième acteur fait son entrée. C'est pas bientôt fini, oui ?! On entre comme dans un moulin ici ! Depuis quand on suspend l'temps d'parole des Affreux ?! ... Du coup, il opine aux deux propositions. D'abord lui faire peur, ensuite lui tordre le cou ; il retient. L'idée semble bien juteuse. Ça lui va.
Il devance les deux autres et lance d'une grosse voix :
« Tu vas regretter de nous avoir dérangé, Gamine ! »
Première victoire : avoir réussi à en placer une.
Il décoche un clin d'oeil aux compères ; mais ça doit pas s'voir... vu l'obscurité, et le chapeau. L'intention était quand même là les gars.
Et d'un pas des plus lourds, il franchit le porche puis pénêtre dans la bâtisse abandonnée, s'armant d'une planche moisie au passage.
Il grimpe deux à deux les marches de l'escalier branlant, à l'affût : direction le dédale de couloirs du premier étage.