Odeon
... Au premier regard.
- Geez ! Would it f*ing kill you to watch your steps, prick ?
Les insultes dégoulinaient des lèvres angloises plus sûrement que le pus d'une plaie infectée ; c'était moche, c'était vulgaire, c'était gratuit, et surtout, c'était incompréhensible pour la majeur partie des badauds de bas-étages qui ne bitaient guère le fleuri babillage étranger. Odéon prit un malin plaisir revenchard à revenir sur ses pas pour le plaisir de tâner de l'épaule le rustre gaillard qui lui avait écrasé le pied au passage, avant de se faufiler souplement entre la foule des vauriens pour disparaître.
La route jusqu'à Paris avait été longue. Longue. Presque plus longue encore que la traversée de la mer et ça, God knows si c'était pas rigolo. Sauf qu'au moins là, elle avait gardé ses tripes à l'intérieur de son bide. On remarquera que, cela dit, ça ne l'avait pas empêchée de jurer encore comme un charretier. C'était d'ailleurs sans doute le comportement qui l'avait précipitée dans le ventre gluant et puant de la bête parisienne. Son élégant phrasé. Ses relations - nulles. Son apparence.
Jane portait une tenue passe partout. De ces trucs sans forme, troués, tacheté et vaguement marron, avec sa tignasse en bordel classe internationale arrangée sur son crâne à la force des doigts et des prières sans réponses. Elle était quelqu'un ; elle était n'importe qui. On eût été bien en peine de donner sa description. « Ben... Une gamine... Quoi, vingt pige ? Brune... Et puis... Pas grosse... »
Sauf peut-être pour l'étonnement constant gravé sur sa frimousse, le sourcil arqué, la bouche ouverte, un ciel de nuage dans le regard. Elle était bouffée par l'envie constante de demander, « qu'est-ce que c'est ? C'est quoi ? Me dit pas que ça sert à ce que j'pense ? Ca s'mange ? Attends... On est censé le mettre où... ?! »
Elle baragouinait à grand peine les quelques mots qu'elle avait grapillés dans tous les sens, quelques uns dans le port de Dartmouth, d'autres sur le bateau, et le reste sur les chemins. Surtout qu'elle avait faim. Et dans ses poches, les dernières petites pièces d'une monnaie dont la plupart ne voulaient pas, craignant trop l'arnaque. Elle finit en désespoir de cause par se saisir d'une patisserie à la viande, certes à l'air branlante et manifestement sortie du four depuis une semaine ou deux, mais qui avait léminent mérite d'être posée en évidence sur la fenêtre extérieure d'une boulangerie miteuse du quartier, avec d'autres biens à vendre. Elle mordit dedans avec appétit ; la tête du propriétaire, moustaches en furie et yeux grivois apparents, jaillit par l'encadrement : il tendit la paume pour y recevoir son paiement, mais comme tant d'autre fronça un sourcil ou deux en voyant tomber les pièces inconnues dans sa paume tandis qu'Odéon mordait avec appétit dans sa prise, le jus de viande dégoulinant sur son menton. Il mordit dans une pièce, avant de laisser tomber les autres au sol et de brailler un chapelet de mots qu'elle ne connaissait pas, mais qu'elle doutait pouvoir apparenter à des douceurs de compassion.
- I'm sorry ! I'm sorry ! I just don't speak... French ! I-I'm sorry !.. Elle ajouta entre ses dents, hargneuse contre elle-même, contre le monde entier, et contre son idée à la con. « Yeah, and forgive the stammer... »
Bingo.
- « Oh putain, et qu'est-ce t'as dit sur ma mère ?
Devant l'arme levée et l'air peu commode du marchand, qui avait fait signe à un de ses acolytes de s'approcher le genre malabard élevé à l'air frais de la montagne et à la viande de buf garantie sans gluten- Odéon fit ce que n'importe qui n'ayant aucune compréhension aucune de la situation actuelle aurait fait : elle lui dédia un large sourire sincère ourlée d'honnêteté et dégoulinant d'innocence.
Manque de bol, et sans doute au grand étonnement général, ça ne fonctionnait pas si bien. Et l'autre s'apprêtait à frapper, de sorte que l'angloise n'eût que le temps de croiser ses bras au dessus de sa tête en guise de protection de fortune.
Bon sang ! ça tu tuerais de regarder où tu marches, connard ?
J'suis désolée ! J'suis désolée ! Je parles juste... pas... français ! J-J'suis désolée !
Ouais, et pardonnez l'bégaiement...
J'suis désolée ! J'suis désolée ! Je parles juste... pas... français ! J-J'suis désolée !
Ouais, et pardonnez l'bégaiement...