Jo_anne
*Musique
[Une place à un carrefour de plusieurs tavernes]
Aujourd'hui serait un jour différent des autres, et pour cause. L'ancienne bohémienne souhaitait s'isoler, respirer. Elle sentait l'inquiétude et la nostalgie la gagner, et savait qu'aucun des êtres de son entourage proche n'y pourrait rien. Eleus lui manquait. Elle s'inquiétait pour ce fils qu'elle aimait comme un croyant fanatique. Sa cécité ne l'empêcherait pas de s'isoler et de s'offrir un temps pour elle, pour méditer, penser à lui, et tenter de retrouver son calme, comme elle avait coutume de le faire avant de perdre la vue.
Ce jour-là, les languedociens purent voir passer une frêle femme à la peau légèrement hâlée prise entre deux bouts de bois. De sa dextre droite elle faisait osciller de droite à gauche un long et fin bâton qui butait parfois fortement contre elle ne savait quoi. Dans sa jumelle, elle tenait une vieille vièle et son archet. Le tout était dissimulé derrière une cape mité bien large. Le pas était lent, et parfois encore incertain. Pourtant, elle semblait savoir où aller. Elle avait l'oreille aux aguets, et avait fini par s'installer - après un douteux tâtonnement - sur un monticule de roches mêlé de terre et d'autres joyeusetés, quand elle avait perçu des sources de bruits suffisamment fortes.
Alors, elle avait posé sa canne sous ses pieds, et avait tiré son instrument. Une façon de retourner en enfance, pour oublier les tracas du présent, quand elle vivait auprès de ceux qui lui avait appris la musique. Un moyen pour penser à lui en espérant presque l'attirer par les notes mélodieuses. Souvent, elle avait joué pour lui, pour le bercer, l'endormir, le calmer. Alors, avec un sourire, elle s'était mise à jouer. Elle avait commencer seulement par des mélodies seules, sur lesquelles elle dansait à l'époque. Et puis, les mélodies s'enchaînant, elle en vint à chanter également. Sa voix douce et cristalline était recouverte par les bruits de la ville, et les sons de son instrument, et pourtant elle s'évadait de la sorte. Doux paradoxe qu'une brigande donnant de la voix sur des chansons d'amour... Ses pensées s'envolaient aussi loin que les mots qui sortaient de sa bouche. Et la musique continuait...
Tant ai mo cor ple de joya,
Tot me desnatura.
Flor blancha, vermelh' e groya
Me par la frejura,
C'ab lo ven et ab la ploya
Me creis l'aventura,
Per que mos chans mont' e poya
E mos pretz melhura.
Tan ai al cor d'amor,
De joi et de doussor,
Per quel gels me sembla flor
E la neus verdura²
...
Peu importait les passants, et leurs dires. Certains grommelaient, d'autres écoutaient, et quelques uns ne la remarquaient sans doute pas. Elle chantait pour elle avant tout. Egoïstement, puisque c'était ce qu'elle savait faire de mieux. La musique apaisait, elle le savait. Elle calmait la colère, et la douleur, elle laissait couler les larmes qui devaient s'échapper, et tirait les sourires qui refusait de se montrer... chez la plupart des gens.
[Une place à un carrefour de plusieurs tavernes]
Aujourd'hui serait un jour différent des autres, et pour cause. L'ancienne bohémienne souhaitait s'isoler, respirer. Elle sentait l'inquiétude et la nostalgie la gagner, et savait qu'aucun des êtres de son entourage proche n'y pourrait rien. Eleus lui manquait. Elle s'inquiétait pour ce fils qu'elle aimait comme un croyant fanatique. Sa cécité ne l'empêcherait pas de s'isoler et de s'offrir un temps pour elle, pour méditer, penser à lui, et tenter de retrouver son calme, comme elle avait coutume de le faire avant de perdre la vue.
Ce jour-là, les languedociens purent voir passer une frêle femme à la peau légèrement hâlée prise entre deux bouts de bois. De sa dextre droite elle faisait osciller de droite à gauche un long et fin bâton qui butait parfois fortement contre elle ne savait quoi. Dans sa jumelle, elle tenait une vieille vièle et son archet. Le tout était dissimulé derrière une cape mité bien large. Le pas était lent, et parfois encore incertain. Pourtant, elle semblait savoir où aller. Elle avait l'oreille aux aguets, et avait fini par s'installer - après un douteux tâtonnement - sur un monticule de roches mêlé de terre et d'autres joyeusetés, quand elle avait perçu des sources de bruits suffisamment fortes.
Alors, elle avait posé sa canne sous ses pieds, et avait tiré son instrument. Une façon de retourner en enfance, pour oublier les tracas du présent, quand elle vivait auprès de ceux qui lui avait appris la musique. Un moyen pour penser à lui en espérant presque l'attirer par les notes mélodieuses. Souvent, elle avait joué pour lui, pour le bercer, l'endormir, le calmer. Alors, avec un sourire, elle s'était mise à jouer. Elle avait commencer seulement par des mélodies seules, sur lesquelles elle dansait à l'époque. Et puis, les mélodies s'enchaînant, elle en vint à chanter également. Sa voix douce et cristalline était recouverte par les bruits de la ville, et les sons de son instrument, et pourtant elle s'évadait de la sorte. Doux paradoxe qu'une brigande donnant de la voix sur des chansons d'amour... Ses pensées s'envolaient aussi loin que les mots qui sortaient de sa bouche. Et la musique continuait...
Tant ai mo cor ple de joya,
Tot me desnatura.
Flor blancha, vermelh' e groya
Me par la frejura,
C'ab lo ven et ab la ploya
Me creis l'aventura,
Per que mos chans mont' e poya
E mos pretz melhura.
Tan ai al cor d'amor,
De joi et de doussor,
Per quel gels me sembla flor
E la neus verdura²
...
Peu importait les passants, et leurs dires. Certains grommelaient, d'autres écoutaient, et quelques uns ne la remarquaient sans doute pas. Elle chantait pour elle avant tout. Egoïstement, puisque c'était ce qu'elle savait faire de mieux. La musique apaisait, elle le savait. Elle calmait la colère, et la douleur, elle laissait couler les larmes qui devaient s'échapper, et tirait les sourires qui refusait de se montrer... chez la plupart des gens.
*titre tiré de l'Art Poétique de Verlaine
Bernart de Ventadour
² Avec le vent et la pluie S'accroît mon bonheur. Aussi mon Prix grandit, monte : et mon chant s'épure. J'ai tant d'amour au cur De joie et de douceur, Que gelée me semble fleur, Et neige, verdure...
Bernart de Ventadour
² Avec le vent et la pluie S'accroît mon bonheur. Aussi mon Prix grandit, monte : et mon chant s'épure. J'ai tant d'amour au cur De joie et de douceur, Que gelée me semble fleur, Et neige, verdure...