Heloise_marie
- Montmirail vingt-et-un juillet mille quatre cent cinquante huit.
L'aube chatouille le ciel encore grisâtre de la nuit. Héloise est éveillée depuis des heures. Allongée dans l'humidité de l'herbe verte elle profite des derniers moments de quiétude avant de reprendre sa vie tourmentée et ses pérégrinations sans but quelconque autre que d'être en sa compagnie. Son cur se pince à cette idée saugrenue qu'elle ne cesse de se repasser dans sa tête, sans en comprendre elle-même les intentions premières de ses décisions. Elle doute tous les jours. Lunatisme évident qui, sans cesse, la fait changer d'avis. Il ne suffit que d'un regard sur lui pour chambouler toutes les décisions qu'elle pensait avoir pris avec détermination. D'ailleurs, détermination semblait être un mot disparu de sa vie. Un coup elle se plaît à s'imaginer rester toute sa vie dans un bled aussi pourave que celui dans lequel ils ont terminés abîmés, un coup elle ne rêve que de voyages et aventures, quêtes et recherches diverses. Si sa quête avait été momentanément abandonnée, le fait de reprendre la route ravivait ses anciens souvenirs et démons. Machinalement, sa main vient chercher le collier apaisant qui entourait son cou depuis plus de dix années. Une fois encore, une douleur vive lui enserra la poitrine en constatant avec effroi qu'il n'y était plus.
Une semaine qu'il lui avait volé un morceau de sa vie et une semaine que la fierté Sparte qui l'habitait l'empêchait de lui réclamer son bien. Une semaine que, rêves et cauchemars plein la tête, elle avait trouvé refuge dans le monastère avec les enfants d'Elisabeth, elle, se protégeant de lui, eux, se protégeant de leur mère possédée du Malin. Une semaine qu'elle faisait du gardiennage entre deux prières, de la lecture entre deux confessions et des coloriages entre deux lectures des Très Saintes Écritures. Retrouver un peu la quiétude d'un lieu Saint avait eu au moins un résultat satisfaisant : relativité. Un soupir passe à travers ses lèvres entrouvertes tandis qu'un frisson acculait son corps et attaquait ses muscles endormis. Le soleil entamait sa course folle dans le ciel vide de tout nuage. Elle avait quitté le monastère après la prière du soir, laissant les enfants d'Elisabeth en compagnie des services monastiques en échange d'une modique somme. Avait croisé la cause de ses tourments et l'avait suivi dans ses propositions indécentes et décentes d'expertises. Puis s'était échappée pour retrouver une solitude qu'elle estimait mériter. Tandis que le soleil montait de plus en plus haut dans le ciel, son estomac gargouilla dans un bruit sourd qui notait la fin de la pause détente.
La journée s'en suivit donc naturellement par se sustenter sur la place du marché. Un sachet de cerises rouges qu'elle mâchonnait d'un air distrait en se promenant entre les étals, résistant à ajouter à ses bagages quelques tissus soyeux ou chatoyants, parfums exotiques ou brioches aux formes avantageuses. Désavantage de sa condition actuelle. Le faste de ses affaires laissait quelque peu à désirer et ses robes semblaient manquer plus le temps passait. Refusant de se laisser habiller avec les robes des pécores mainoises qu'elle dévisageait à présent, lorgnant avec envie sur leurs formes abondantes et leurs poitrines pleines. Peste soit du Maine. Héloise se détourne et ses pas, malgré elle, la dirigent vers le vieil hôpital à moitié retapé dans lequel ils ont trouvé refuge quelques semaines auparavant. Lieu de supplice autant que d'amour. Elle s'arrête devant, laissant tomber quelques noyaux sur le sol en se remémorant des souvenirs de soirées et journées. Dans la soirée ou la nuit, avant de partir pour ses vaines expéditions, elle écrirait à Elisabeth. En attendant, elle ne fait que pousser la porte de la chambre dans laquelle la Comtesse se trouve, yeux clos. Elle ne l'a plus vue depuis l'accident. Les couleurs semblaient avoir repris leurs droits sur son visage si pâle alors il y a quelques jours. Les poignets semblent toujours bandés, mais nulle trace de sang.
Elle est remise.
Héloise sursaute en entendant la voix du moine derrière qui vient se poser à ses côtés, observant la Courden avec elle.
Merci pour tous vos soins.
Vos prières ont aidé.
"Et mes dons ouais, pique-sous."
Je pars ce soir.
Et elle?
Elle reste.
Devons-nous faire venir un exorciste ?
P'tain vachement tentant tout de même.
Pourquoi pas.
Moment de silence alors qu'Héloise affiche un léger sourire.
Mais demain.
Bien.
Avec le même silence qu'à son arrivée, le moine disparaît, la laissant seule face à Elisabeth, endormie. Héloise reste debout à la regarder. Jugeant les traits de son visage. S'imaginant avec effroi qu'elle allait se réveiller pour lui hurler dessus comme une possédée qu'elle n'était pas. Mais il était amusant de l'imaginer devoir se défaire d'un exorciste. C'est sur cette idée qu'elle s'approche, se penche en avant pour poser un baiser sur le front chaud d'Elisabeth avant de quitter les lieux pour retrouver sa plume et ses courriers à écrire à droite à gauche. Si elle boudait certains noms, d'autres en revanche attendaient de ses nouvelles.
- Montmirail vingt-deux juillet mille quatre cent cinquante huit, dans la nuit noire et obscure, obscure et sombre.
Alors qu'Héloise s'en allait, suivant comme une ombre Nath quelques pas devant-elle, Elisabeth serait tout à la lecture de son courrier.
Citation:
Voilà cinq jours que je suis au monastère avec Rogier, Anatoline et Marianne. Cinq jours que je n'ai de tes nouvelles que par les quelques moines qui me racontent ta démence, ta dépendance à je ne sais quelle substance et leur crainte que ton esprit soit contaminé par le Malin. Moi, j'ai craint pour tes enfants. Je suis partie avec eux le quinze de ce mois de juillet alors-même que tu ne me donnais pas de suite à mon courrier, alors même que tu attentais à ta vie en ouvrant tes poignets devant les yeux de ton fils qui, sache-le, ne dors plus la nuit sans larmes et cauchemars. Rassure-toi cependant, mis à part ça, ils sont en bonne santé. Je suis restée avec eux cinq jours durant afin de les aider à s'habituer à la vie monastique et afin qu'ils puissent avoir une présence familiale auprès d'eux. Marianne lit de mieux en mieux le latin. Rogier connaît quelques chansons et récite les lettres dans l'ordre. Même s'il dort peu, il a gardé son énergie de futur chevalier dévoué. Anatoline dort beaucoup. La nourrice passe pour la nourrir et je m'occupe de ses sourires et de ses larmes lorsqu'il y en a. Je ne sais ce que fiche ton mari mais il est autant à blâmer que toi dans cette histoire. J'espère que tu te reprendras vite, mon amie, si tant est que je puisse encore t'appeler ainsi après toutes les affres que je t'ai fait subir. J'ai énormément prié pour toi, pour le salut de ta vie et de ton âme. Tous les jours. J'ai appelé le Très Haut pour qu'Il soit clément et juste. Te laisse la vie sauve et l'esprit clair. Je te pardonne tout, tout. Car tu es la seule qui puisse lire en mon cur. Je crains cependant ne pas être à la hauteur de ce que tu as à me confier. Je crains ne pas être celle qu'il te faut. Ma vie est trop compliquée pour que je la mêle à la tienne. D'avoir retrouvé mon propre appel à l'aide dans les flots de ton sang me font penser que je suis néfaste pour toi en ces temps fragiles. Je m'en vais donc. Une nouvelle fois je te laisse. Une nouvelle fois je fuis. Je ne te fuis pas toi non. Je me fuis moi-même dans je ne sais quelle quête vaine de sens et d'objectifs. Mais au moins, j'ai une raison de me lever le matin. Une raison que toi, mère de trois enfants, tu devrais avoir également. Une raison. Un espoir. Même futile. Même inutile ou vaine. Un mince espoir qui empêche mon esprit de sombrer à nouveau dans l'inutile et le noir. Sois forte, mon amie. Trouve une raison en ton cur et, lorsque tu seras prête, écris moi. Je viendrai.
Je te donnerai des mes nouvelles, souvent. Lorsque je suis heureuse. Lorsque je ne le suis pas. Des bêtes choix que je vais faire de ma vie ou au contraire, des importants. Tu pourras à ta guise me juger ou me conseiller. M'insulter, me blâmer ou m'encourager.
Elisabeth,
Mon amie,
Voilà cinq jours que je suis au monastère avec Rogier, Anatoline et Marianne. Cinq jours que je n'ai de tes nouvelles que par les quelques moines qui me racontent ta démence, ta dépendance à je ne sais quelle substance et leur crainte que ton esprit soit contaminé par le Malin. Moi, j'ai craint pour tes enfants. Je suis partie avec eux le quinze de ce mois de juillet alors-même que tu ne me donnais pas de suite à mon courrier, alors même que tu attentais à ta vie en ouvrant tes poignets devant les yeux de ton fils qui, sache-le, ne dors plus la nuit sans larmes et cauchemars. Rassure-toi cependant, mis à part ça, ils sont en bonne santé. Je suis restée avec eux cinq jours durant afin de les aider à s'habituer à la vie monastique et afin qu'ils puissent avoir une présence familiale auprès d'eux. Marianne lit de mieux en mieux le latin. Rogier connaît quelques chansons et récite les lettres dans l'ordre. Même s'il dort peu, il a gardé son énergie de futur chevalier dévoué. Anatoline dort beaucoup. La nourrice passe pour la nourrir et je m'occupe de ses sourires et de ses larmes lorsqu'il y en a. Je ne sais ce que fiche ton mari mais il est autant à blâmer que toi dans cette histoire. J'espère que tu te reprendras vite, mon amie, si tant est que je puisse encore t'appeler ainsi après toutes les affres que je t'ai fait subir. J'ai énormément prié pour toi, pour le salut de ta vie et de ton âme. Tous les jours. J'ai appelé le Très Haut pour qu'Il soit clément et juste. Te laisse la vie sauve et l'esprit clair. Je te pardonne tout, tout. Car tu es la seule qui puisse lire en mon cur. Je crains cependant ne pas être à la hauteur de ce que tu as à me confier. Je crains ne pas être celle qu'il te faut. Ma vie est trop compliquée pour que je la mêle à la tienne. D'avoir retrouvé mon propre appel à l'aide dans les flots de ton sang me font penser que je suis néfaste pour toi en ces temps fragiles. Je m'en vais donc. Une nouvelle fois je te laisse. Une nouvelle fois je fuis. Je ne te fuis pas toi non. Je me fuis moi-même dans je ne sais quelle quête vaine de sens et d'objectifs. Mais au moins, j'ai une raison de me lever le matin. Une raison que toi, mère de trois enfants, tu devrais avoir également. Une raison. Un espoir. Même futile. Même inutile ou vaine. Un mince espoir qui empêche mon esprit de sombrer à nouveau dans l'inutile et le noir. Sois forte, mon amie. Trouve une raison en ton cur et, lorsque tu seras prête, écris moi. Je viendrai.
Je te donnerai des mes nouvelles, souvent. Lorsque je suis heureuse. Lorsque je ne le suis pas. Des bêtes choix que je vais faire de ma vie ou au contraire, des importants. Tu pourras à ta guise me juger ou me conseiller. M'insulter, me blâmer ou m'encourager.
Que le Très Haut te veille et te guide.
Ton amie,
Héloise.
Citation:
Va t'occuper de ta chère épouse.
Ou je te tue !
Ou,
Je pille et détruis tes châteaux.
Et donne tes caves à Debenja.
Écris des pamphlets désagréables sur toi et les répands en France ET en Empire.
Souille tes blasons de vin de Bourgogne.
Affiche ta vieille tronche partout dans les rues de Genève.
Tout ça dans un ordre incertain.
H.
- Cher Comte d'la Satanée Pierre du Salon d'Lothilde la vilaine.
Va t'occuper de ta chère épouse.
Ou je te tue !
Ou,
Je pille et détruis tes châteaux.
Et donne tes caves à Debenja.
Écris des pamphlets désagréables sur toi et les répands en France ET en Empire.
Souille tes blasons de vin de Bourgogne.
Affiche ta vieille tronche partout dans les rues de Genève.
Tout ça dans un ordre incertain.
H.
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