Hadrien
- Mère, je vais écrire à Elisabeth. Voulez-vous lui dire quelque chose ?
Aucune réponse digne dintérêt ne franchit les lèvres de la matriarche. Le futur descendant se tenait accroupis à son chevet, les mains se mêlant à celles de sa génitrice. Il avait de la peine pour elle. Lui ne pouvait se le permettre. Il n'y avait pas que lui. Son père tenait une échoppe comprenant quelques employés. S'il n'était plus là, il fallait qu'il reprenne la succession. Mais il n'en avait aucune envie. Il léguerait sûrement les reines à l'un des employés, un ami proche de son père ferait l'affaire.
Lorsque ses iris bleutés se posèrent sur les miroirs de sa mère, son cur manqua un battement. Jamais il ne l'avait vue si abattue, si faible et si désespérée. Elle avait perdu l'amour de sa vie, il ne pouvait la comprendre. Mais ses yeux rougis par les pleurs incessants lui fendait le cur. Son père venait de s'éteindre à l'âge de cinquante-huit ans un jour seulement après l'anniversaire de son fils. Comme si cela ne suffisait pas, le décès avait été accompagné de problèmes. Il se passerait de cadeaux à l'avenir.
Mais il avait à faire. Il ne pouvait pas se permettre d'attendre à son chevet des jours durant. Ils avaient procédé aux funérailles tôt le matin, la journée avait eu le temps de s'écouler. Il était débordé, les responsabilités dont il venait d'hériter le rendaient morose.
Un baiser franchit le bord de ses lèvres pour affronter la chaleur de la joue maternelle, le reste de son corps s'élevant de toute sa stature pour faire face à l'une des servantes appelées pour l'occasion. Il lui faudrait de l'aide, il ne pouvait pas être sur tous les fronts. Évidemment, il était hors de question qu'il laisse sa voix atteindre l'ouïe fine de la maternelle. D'un simple signe de la main, la nouvelle paire prit soin d'aller dans une autre pièce. Ainsi, ils pourraient être plus libres dans sa façon de parler.
- Je vais avoir du travail dans les prochains jours. Je compte sur vous pour être à son chevet le temps qu'elle se ressaisissent. Appelez-moi si vous voyez le moindre signal d'alarme, elle se laisse mourir à petit feu. Il faut qu'elle se ressaisisse..
- Vous vous faites du soucis pour rien messire. Elle vient de perdre son époux, son état est tout à fait compréhensible. Partez en paix, je m'occuperais de tout en votre absence et je vous ferais appeler au moindre changement.
- Si vous le dites..*
- Prenez du temps pour vous Hadrien, vous n'arrêtez pas depuis deux jours.
Agacé, un simple mouvement de la main suffit à taire à la conversation. Soulagé, l'endeuillé laissa un soupir s'échapper de ses lèvres. Un tapotement régulier de ses doigts contre la table emplissant la pièce, perdu entre ses souvenirs douloureux et ses occupations nouvelles. Une bonne minute de réflexion plus tard, le futur héritier esquissa le début d'une révérence pour prendre congé. Il avait à faire, il ne pouvait pas perdre du temps inutilement.
Il avait évité le bureau paternel depuis deux jours, il ne voulait pas y mettre les pieds. Il y avait trop de souvenirs douloureux. Il souffrait, il souffrait, mais il ne pouvait avoir le loisir de l'exprimer. Il aurait l'occasion de noyé sa douleur dans la boisson plus tard. Après tout, il y avait de l'alcool à foison. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il franchit les portes du bureau paternel, une foule de souvenirs le percutèrent en plein cur. Il n'avait eu de cesse de venir le distraire dans cette pièce durant son adolescence. Son père avait été un modèle pour lui jusqu'à ses vingt ans. Il avait ensuite pris son indépendance pour la fierté de son géniteur. Aujourd'hui, voilà qu'il revenait dans cette pièce en temps que futur propriétaire.
Par chance, le bureau d'écrire semblait déjà prêt à l'emploi. Aurait-il eu l'intention d'écrire quelque chose récemment ? Peu importe. L'encrier était là, la plume aussi. Même la cire à cacheter trônait sur le bois imposant. La bougie qu'il avait apportée ferait un excellent moyen de faire fondre la cire.
- Allez Hadrien, t'as du travail.
L'auto-motivation, un bon moyen de se forcer à faire ce qu'on ne veut pas. Qu'importe. L'encrier fut ouvert et la plume saisit. Un vélin attendait déjà qu'on le caresse avec délicatesse. Et c'est ce qu'il entreprit à plusieurs reprises. La première tentative fut un échec cuisant. Il avait du mal à mettre ses idées en forme. À la place d'une lettre funéraire, il avait l'impression d'écrire une lettre où il n'avait de cesse de se plaindre. La deuxième fut trop rigide à son goût. Il se mit alors à écrire la troisième. Après tout, jamais deux sans trois.
Écrit le trois juillet de l'an mile quatre cent soixante-huit à Pontarlier.
Bonjour Elisabeth,
Mes lettres se sont faites rares ces derniers temps, pardonne-moi. Ceci dit, la réciproque est vraie alors inutile que je culpabilise. Des années se sont écoulées depuis ma dernière visite. Comment se portent mes adorables petits cousins ? La grande devrait avoir huit ans maintenant. Et leur mère ?
Maintenant que les quelques règles de politesse ont été appliqué, je serai concis. Père, ton oncle s'est éteint dans son sommeil il y a deux jours, soit le premier juillet. Nous ne savons pas s'il était malade ou si la vieillesse a fait son travail. Mère dit qu'il se sentait faible, anormalement faible depuis plusieurs jours. Le médecin dit qu'il s'est fait attraper par la faucheuse.
Nous avons organisé ses funérailles ce jour. Il y avait du monde, trop de monde. Tout le contraire de ce qu'il aurait souhaité, mais qu'importe. Quoi qu'il en soit, Mère reste en Franche-Comté. Elle commence à se faire vieille et le chagrin la ronge depuis deux jours. Elle ne se lève que pour manger ou boire. Pourrais-tu prendre le temps de lui écrire ? Elle apprécierait d'avoir des nouvelles de tes enfants.
Quant à moi, je ne sais pas ce que je vais faire. Je pensais poursuivre l'activité familiale, mais je quitterais sûrement la Franche-Comté dans les plus brefs délais.
Le message sera livré en Auvergne. Si vous n'êtes plus sur place, l'attente peut être longue. Je prie pour que vous ayez ce message.
Funestement,
𝐻𝒶𝒹𝓇𝒾𝑒𝓃 𝒞𝑜𝓊𝓇𝒹𝑒𝓃.
Après deux essais infructueux, la troisième tentative fut acceptée par l'auteur. Comme à son habitude, la plume fut posée au chevet de lencrier afin qu'il se saisisse de la bougie préparée pour l'occasion. Quelques brèves secondes suffirent à verser une quantité suffisante de cire. Cette dernière fut compressée par un morceau de bois et ainsi scellée la lettre d'un simple « H.C ». Inutile que quiconque en découvre le contenu, ce n'était ni intéressant ni distrayant.
Un bâillement manqua de lui décrocher la mâchoire alors qu'il venait de finir de tout ranger. Il n'avait pas beaucoup fermé l'il depuis deux jours, entre le travail et les funérailles à organisé, il y avait un travail monstre. Et c'était un euphémisme. Il avait encore une cinquantaine de lettres à rédiger dans les plus brefs délais. Famille, amis, proches, collaborateurs, il fallait informer tout le monde. Quelle plaie. Pourquoi fallait-il que ça tombe lorsque les journées sont suffisamment cuisantes pour comprendre ce que ressent une entrecôte sur le feu ? L'hiver aurait été plus judicieux.
Par chance, une bouteille lui faisait de l'il depuis plusieurs minutes. Les jambes se déplièrent mollement, le reste se traînant jusqu'à cette dernière. À peine saisis, le bouchon fut ôté et envoyé à l'autre bout de la pièce. L'heure suivante fut consacrée à ce ce vin bordelais succulent. Par enchaînement, l'alcool fut suffisant pour le rendre plus mou encore et finissant par le faire sombrer dans les bras de Morphée.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, les rayons de l'astre solaire réchauffèrent intensivement sa chair. Un il fut ouvert avec une difficulté à peine dissimulée. Merde. Avait-il trop bu ? C'est ce qu'il en conclut lorsqu'un volet s'écrasa contre le mur en pierre. Le bruit fut suffisant pour le rendre agressif. Difficile d'être serein lorsqu'un orchestre joue dans votre crâne. Péniblement, le corps fut extrait de la maigre épaisseur des draps. Sa barbe sculptée avait sûrement poussé de dix ans dans la nuit tandis que ses cheveux tentaient péniblement de reprendre leur implantation naturelle. Étonnamment, ce ne fut pas si difficile puisqu'il ne prenait que quelques secondes par jours à parfaite sa coiffure. Lorsque des mèches se faisaient trop rebelles à son goût, il se contentait d'une main agacée le long de son cuir chevelu. Rien de très coquet en somme.
La demie-heure suivante fut consacrée à la toilette. Même s'il serait plus juste de dire débarbouillage tant la scène relève du comique. Le rouquin n'étant pas très familier avec de si grosses doses d'alcool, les réactions se faisaient plus drôle à chaque fois. Par chance, un messager avait été appelé. Après tout, la lettre était déjà en retard, inutile qu'elle reste à Pontarlier plus longtemps. En attendant, il lui faudrait se réveiller davantage.
Les oreilles du rouquin manquèrent d'imploser lorsqu'on tambourina à sa porte. Quel était le connard qui faisait tant de bruit si tôt le matin ?! Il n'allait pas en ressortir entier, une oreille suffirait comme avertissement. Par chance pour l'adolescent, c'était lui le messager. Il fut toisé dubitativement quelques secondes, pourquoi diable était-il si jeune ? Encore un peu et il lui fallait une tétine. La porte fut écartée davantage, l'air frais pénétrant enfin dans la pièce encore chaude de la veille. Le jeune homme fut installé dans un fauteuil, un bureau faisant barrage entre les deux hommes. Mollement, la lettre fut avancée en direction du livreur, le rouquin le relâchant qu'un soupir. Après tout, s'il venait à lui, il devait être compétant.
- Bonjour mon garçon. Je serai bref : tu iras à Clermont en Auvergne, cette lettre est pour Elisabeth Courden. Je t'ai écrit l'adresse sur cet autre morceau de papier. Si elle n'est pas à cette adresse, cherche où elle se cache. Ne reviens que lorsque tu l'auras trouvée. Tu attendras sa réponse, je te payerais en rentrant. Des questions ?
Visiblement, le messager n'avait pas l'air d'avoir de questions. Ou plutôt, il fut intimidé par l'homme face à lui. Si d'ordinaire, il ne faisait pas cette impression, dans le cas présent, c'était tout à fait le cas. Et pour cause, ses saphirs s'était plantés sur les châtaignes du pauvre homme en devenir, un air mêlant agacement et mélancolie planant sur son visage. Aucune réponse ne venant à lui, un mouvement de la main suffit à le congédier. Dans les dix secondes suivantes, il avait disparu. Ou tout du moins pour une minute à peine puisqu'il frappait à nouveau à la porte, déclenchant une nouvelle crise à lendeuiller.
- Quoi encore ?!
- E-excusez-moi messire, il me faudrait une avance pour couvrir les frais du voyage..
Voilà quelque chose auquel il n'avait pas songé. Un point pour l'adolescent. L'index fut glissé vers l'un des tiroirs du bureau et une bourse d'une trentaine d'écus fut lancée au messager. Ce dernier s'empressa de faire volte-face, disparaissant en direction de sa cousine. Ou tout du moins, c'était l'idée. Il n'était jamais sûr que les engagements soient respectés. Il n'y avait qu'une personne qu'il respectait suffisamment pour lui vouer une confiance aveugle. Et pour cause, il avait travaillé durant cinq années consécutives pour cette personne. Le travail avait été sale, mais il avait été bien payé. Mais c'était là un travail qu'il ne pourrait raconter à ses descendants. Il serait dommage que sa tête ne soit arrachée à sa colonne. Et il n'était pas le seul, si lui tombait, l'autre tombait aussi. Voilà un accord équitable qu'il avait aimé tenir.
Aucune réponse digne dintérêt ne franchit les lèvres de la matriarche. Le futur descendant se tenait accroupis à son chevet, les mains se mêlant à celles de sa génitrice. Il avait de la peine pour elle. Lui ne pouvait se le permettre. Il n'y avait pas que lui. Son père tenait une échoppe comprenant quelques employés. S'il n'était plus là, il fallait qu'il reprenne la succession. Mais il n'en avait aucune envie. Il léguerait sûrement les reines à l'un des employés, un ami proche de son père ferait l'affaire.
Lorsque ses iris bleutés se posèrent sur les miroirs de sa mère, son cur manqua un battement. Jamais il ne l'avait vue si abattue, si faible et si désespérée. Elle avait perdu l'amour de sa vie, il ne pouvait la comprendre. Mais ses yeux rougis par les pleurs incessants lui fendait le cur. Son père venait de s'éteindre à l'âge de cinquante-huit ans un jour seulement après l'anniversaire de son fils. Comme si cela ne suffisait pas, le décès avait été accompagné de problèmes. Il se passerait de cadeaux à l'avenir.
Mais il avait à faire. Il ne pouvait pas se permettre d'attendre à son chevet des jours durant. Ils avaient procédé aux funérailles tôt le matin, la journée avait eu le temps de s'écouler. Il était débordé, les responsabilités dont il venait d'hériter le rendaient morose.
Un baiser franchit le bord de ses lèvres pour affronter la chaleur de la joue maternelle, le reste de son corps s'élevant de toute sa stature pour faire face à l'une des servantes appelées pour l'occasion. Il lui faudrait de l'aide, il ne pouvait pas être sur tous les fronts. Évidemment, il était hors de question qu'il laisse sa voix atteindre l'ouïe fine de la maternelle. D'un simple signe de la main, la nouvelle paire prit soin d'aller dans une autre pièce. Ainsi, ils pourraient être plus libres dans sa façon de parler.
- Je vais avoir du travail dans les prochains jours. Je compte sur vous pour être à son chevet le temps qu'elle se ressaisissent. Appelez-moi si vous voyez le moindre signal d'alarme, elle se laisse mourir à petit feu. Il faut qu'elle se ressaisisse..
- Vous vous faites du soucis pour rien messire. Elle vient de perdre son époux, son état est tout à fait compréhensible. Partez en paix, je m'occuperais de tout en votre absence et je vous ferais appeler au moindre changement.
- Si vous le dites..*
- Prenez du temps pour vous Hadrien, vous n'arrêtez pas depuis deux jours.
Agacé, un simple mouvement de la main suffit à taire à la conversation. Soulagé, l'endeuillé laissa un soupir s'échapper de ses lèvres. Un tapotement régulier de ses doigts contre la table emplissant la pièce, perdu entre ses souvenirs douloureux et ses occupations nouvelles. Une bonne minute de réflexion plus tard, le futur héritier esquissa le début d'une révérence pour prendre congé. Il avait à faire, il ne pouvait pas perdre du temps inutilement.
Il avait évité le bureau paternel depuis deux jours, il ne voulait pas y mettre les pieds. Il y avait trop de souvenirs douloureux. Il souffrait, il souffrait, mais il ne pouvait avoir le loisir de l'exprimer. Il aurait l'occasion de noyé sa douleur dans la boisson plus tard. Après tout, il y avait de l'alcool à foison. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il franchit les portes du bureau paternel, une foule de souvenirs le percutèrent en plein cur. Il n'avait eu de cesse de venir le distraire dans cette pièce durant son adolescence. Son père avait été un modèle pour lui jusqu'à ses vingt ans. Il avait ensuite pris son indépendance pour la fierté de son géniteur. Aujourd'hui, voilà qu'il revenait dans cette pièce en temps que futur propriétaire.
Par chance, le bureau d'écrire semblait déjà prêt à l'emploi. Aurait-il eu l'intention d'écrire quelque chose récemment ? Peu importe. L'encrier était là, la plume aussi. Même la cire à cacheter trônait sur le bois imposant. La bougie qu'il avait apportée ferait un excellent moyen de faire fondre la cire.
- Allez Hadrien, t'as du travail.
L'auto-motivation, un bon moyen de se forcer à faire ce qu'on ne veut pas. Qu'importe. L'encrier fut ouvert et la plume saisit. Un vélin attendait déjà qu'on le caresse avec délicatesse. Et c'est ce qu'il entreprit à plusieurs reprises. La première tentative fut un échec cuisant. Il avait du mal à mettre ses idées en forme. À la place d'une lettre funéraire, il avait l'impression d'écrire une lettre où il n'avait de cesse de se plaindre. La deuxième fut trop rigide à son goût. Il se mit alors à écrire la troisième. Après tout, jamais deux sans trois.
Écrit le trois juillet de l'an mile quatre cent soixante-huit à Pontarlier.
Bonjour Elisabeth,
Mes lettres se sont faites rares ces derniers temps, pardonne-moi. Ceci dit, la réciproque est vraie alors inutile que je culpabilise. Des années se sont écoulées depuis ma dernière visite. Comment se portent mes adorables petits cousins ? La grande devrait avoir huit ans maintenant. Et leur mère ?
Maintenant que les quelques règles de politesse ont été appliqué, je serai concis. Père, ton oncle s'est éteint dans son sommeil il y a deux jours, soit le premier juillet. Nous ne savons pas s'il était malade ou si la vieillesse a fait son travail. Mère dit qu'il se sentait faible, anormalement faible depuis plusieurs jours. Le médecin dit qu'il s'est fait attraper par la faucheuse.
Nous avons organisé ses funérailles ce jour. Il y avait du monde, trop de monde. Tout le contraire de ce qu'il aurait souhaité, mais qu'importe. Quoi qu'il en soit, Mère reste en Franche-Comté. Elle commence à se faire vieille et le chagrin la ronge depuis deux jours. Elle ne se lève que pour manger ou boire. Pourrais-tu prendre le temps de lui écrire ? Elle apprécierait d'avoir des nouvelles de tes enfants.
Quant à moi, je ne sais pas ce que je vais faire. Je pensais poursuivre l'activité familiale, mais je quitterais sûrement la Franche-Comté dans les plus brefs délais.
Le message sera livré en Auvergne. Si vous n'êtes plus sur place, l'attente peut être longue. Je prie pour que vous ayez ce message.
Funestement,
𝐻𝒶𝒹𝓇𝒾𝑒𝓃 𝒞𝑜𝓊𝓇𝒹𝑒𝓃.
Après deux essais infructueux, la troisième tentative fut acceptée par l'auteur. Comme à son habitude, la plume fut posée au chevet de lencrier afin qu'il se saisisse de la bougie préparée pour l'occasion. Quelques brèves secondes suffirent à verser une quantité suffisante de cire. Cette dernière fut compressée par un morceau de bois et ainsi scellée la lettre d'un simple « H.C ». Inutile que quiconque en découvre le contenu, ce n'était ni intéressant ni distrayant.
Un bâillement manqua de lui décrocher la mâchoire alors qu'il venait de finir de tout ranger. Il n'avait pas beaucoup fermé l'il depuis deux jours, entre le travail et les funérailles à organisé, il y avait un travail monstre. Et c'était un euphémisme. Il avait encore une cinquantaine de lettres à rédiger dans les plus brefs délais. Famille, amis, proches, collaborateurs, il fallait informer tout le monde. Quelle plaie. Pourquoi fallait-il que ça tombe lorsque les journées sont suffisamment cuisantes pour comprendre ce que ressent une entrecôte sur le feu ? L'hiver aurait été plus judicieux.
Par chance, une bouteille lui faisait de l'il depuis plusieurs minutes. Les jambes se déplièrent mollement, le reste se traînant jusqu'à cette dernière. À peine saisis, le bouchon fut ôté et envoyé à l'autre bout de la pièce. L'heure suivante fut consacrée à ce ce vin bordelais succulent. Par enchaînement, l'alcool fut suffisant pour le rendre plus mou encore et finissant par le faire sombrer dans les bras de Morphée.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, les rayons de l'astre solaire réchauffèrent intensivement sa chair. Un il fut ouvert avec une difficulté à peine dissimulée. Merde. Avait-il trop bu ? C'est ce qu'il en conclut lorsqu'un volet s'écrasa contre le mur en pierre. Le bruit fut suffisant pour le rendre agressif. Difficile d'être serein lorsqu'un orchestre joue dans votre crâne. Péniblement, le corps fut extrait de la maigre épaisseur des draps. Sa barbe sculptée avait sûrement poussé de dix ans dans la nuit tandis que ses cheveux tentaient péniblement de reprendre leur implantation naturelle. Étonnamment, ce ne fut pas si difficile puisqu'il ne prenait que quelques secondes par jours à parfaite sa coiffure. Lorsque des mèches se faisaient trop rebelles à son goût, il se contentait d'une main agacée le long de son cuir chevelu. Rien de très coquet en somme.
La demie-heure suivante fut consacrée à la toilette. Même s'il serait plus juste de dire débarbouillage tant la scène relève du comique. Le rouquin n'étant pas très familier avec de si grosses doses d'alcool, les réactions se faisaient plus drôle à chaque fois. Par chance, un messager avait été appelé. Après tout, la lettre était déjà en retard, inutile qu'elle reste à Pontarlier plus longtemps. En attendant, il lui faudrait se réveiller davantage.
Les oreilles du rouquin manquèrent d'imploser lorsqu'on tambourina à sa porte. Quel était le connard qui faisait tant de bruit si tôt le matin ?! Il n'allait pas en ressortir entier, une oreille suffirait comme avertissement. Par chance pour l'adolescent, c'était lui le messager. Il fut toisé dubitativement quelques secondes, pourquoi diable était-il si jeune ? Encore un peu et il lui fallait une tétine. La porte fut écartée davantage, l'air frais pénétrant enfin dans la pièce encore chaude de la veille. Le jeune homme fut installé dans un fauteuil, un bureau faisant barrage entre les deux hommes. Mollement, la lettre fut avancée en direction du livreur, le rouquin le relâchant qu'un soupir. Après tout, s'il venait à lui, il devait être compétant.
- Bonjour mon garçon. Je serai bref : tu iras à Clermont en Auvergne, cette lettre est pour Elisabeth Courden. Je t'ai écrit l'adresse sur cet autre morceau de papier. Si elle n'est pas à cette adresse, cherche où elle se cache. Ne reviens que lorsque tu l'auras trouvée. Tu attendras sa réponse, je te payerais en rentrant. Des questions ?
Visiblement, le messager n'avait pas l'air d'avoir de questions. Ou plutôt, il fut intimidé par l'homme face à lui. Si d'ordinaire, il ne faisait pas cette impression, dans le cas présent, c'était tout à fait le cas. Et pour cause, ses saphirs s'était plantés sur les châtaignes du pauvre homme en devenir, un air mêlant agacement et mélancolie planant sur son visage. Aucune réponse ne venant à lui, un mouvement de la main suffit à le congédier. Dans les dix secondes suivantes, il avait disparu. Ou tout du moins pour une minute à peine puisqu'il frappait à nouveau à la porte, déclenchant une nouvelle crise à lendeuiller.
- Quoi encore ?!
- E-excusez-moi messire, il me faudrait une avance pour couvrir les frais du voyage..
Voilà quelque chose auquel il n'avait pas songé. Un point pour l'adolescent. L'index fut glissé vers l'un des tiroirs du bureau et une bourse d'une trentaine d'écus fut lancée au messager. Ce dernier s'empressa de faire volte-face, disparaissant en direction de sa cousine. Ou tout du moins, c'était l'idée. Il n'était jamais sûr que les engagements soient respectés. Il n'y avait qu'une personne qu'il respectait suffisamment pour lui vouer une confiance aveugle. Et pour cause, il avait travaillé durant cinq années consécutives pour cette personne. Le travail avait été sale, mais il avait été bien payé. Mais c'était là un travail qu'il ne pourrait raconter à ses descendants. Il serait dommage que sa tête ne soit arrachée à sa colonne. Et il n'était pas le seul, si lui tombait, l'autre tombait aussi. Voilà un accord équitable qu'il avait aimé tenir.