La soupe à Chouze
Dame Chouze en pleine dévotion Le premier jour, Chouze créa la Terre.
Heu... oups... veuillez bien m'excuser. Je m'égare.
Recommençons.
En ce jour de fin de printemps, il faisait beau temps sur l'église Sainte Chouze la Modeste, à Chouzeville, dans le duché du Berry. Après avoir célébré la messe, Mère Chouze, la sacristaine, alla soigneusement ranger les hosties qu'elle fabriquait elle-même sur sa farine de contrebande avant que les enfants de chur présents à la cérémonie qu'elle avait tous adopté un jour ne lui baisent les mains, agenouillés.
Satisfaite de ce traitement de faveur, elle sortit la tête haute de la sacristie en direction du confessionnal, où une longue file de BIERistes le Parti unique berrichon : Bourrés Intégralement Et Reclus de Chouzeville et même d'ailleurs ayant blasphémé contre elle attendaient qu'elle veuille bien leur accorder son pardon totalement désintéressé. Estimant subitement qu'elle n'avait pas de temps à perdre en cette belle journée, elle demanda à l'enfant de chur occupé à prier agenouillé depuis une bonne semaine devant l'une des quatre-vingt-trois statues de Sainte Chouze la Modeste présentes dans l'église de les faire sortir de l'édifice et d'aller chercher le panneau « Confessionnal, deux lunes d'attente » pour le déposer devant le premier de la file attendant la confesse.
Nul doute qu'ils sortiraient de cette nouvelle épreuve que Sainte Chouze leur envoyait certainement plus proche de l'état de cons fessés que de confessés. Ce caprice était aussi une façon pour sur Chouze de vérifier si la demande de pardon des intéressés était sérieuse ou non. Cela ne l'empêchait pas d'accepter fort religieusement les pots de vin conséquents que de généreux futurs repentis étaient prêts à verser pour gagner quelques lunes d'attente et accéder plus rapidement au Saint Pardon chouzesque. De plus, comme elle n'aimait pas que des gens soient présents dans son église alors qu'elle n'y était pas, elle préférait aussi bien qu'ils attendent dehors. Déjà qu'ils râlaient habituellement, soit disant qu'elle les tirait tous du lit trois fois par semaine, les forçant à aller à la messe... ils pouvaient bien patienter au bon air. Et même s'il pleuvait.
Une fois sortie de l'église, dame Chouze monta dans son carrosse garé au milieu de la rue, grâce à l'un de ses enfants adoptifs qui s'était agenouillé devant la porte du véhicule afin de lui servir d'escabeau. L'attelage partit alors à faible allure, fendant la foule en liesse qui l'acclamait sur son passage. Les Chouzevilains anciennement rebaptisés Saint-Agnaisais par la mairesse Chouze, et ce avant même qu'elle ne change le nom de la ville de Saint-Aignan s'inclinaient respectueusement sur son passage, certains allant même jusqu'à s'allonger littéralement en témoignage de l'amour qu'ils portaient à la sauveuse de Chouzeville. D'autres encore jetaient des fleurs sous les sabots des quatre destriers blancs entraînant le carrosse. Un de ses ancien fils adoptifs, ayant un jour omis de s'incliner devant elle, s'était peu après suicidé en se jetant du haut du clocher de l'église. Il paraît qu'il aurait honteusement été pris de remords devant la gravité de sa faute.
Une fois sur la place du marché, elle descendit du véhicule, piétinant allègrement un paysan qui se tenait là, puis se tint coite devant la statue géante à la gloire de l'ancienne mairesse Chouze avant d'y délicatement déposer au pied un bouquet de roses blanches. Après un bref instant de recueillement, légèrement émue par la majesté du monument, elle se dirigea vers les étalages des marchands, escortée dune ribambelle de ses fils adoptifs, qui avaient pour mission de porter les futures emplettes de dame Chouze, leur mère bien aimée. Devant le présentoir presque vide d'un boulanger amaigri comme l'étaient la plupart des habitants du village elle s'empressa d'acheter l'intégralité de la marchandise présentée, tout en ayant pour le vendeur une de ses paroles bienveillantes et réconfortantes qui ont fait sa légende :
« Vous connaissez mon fils ? Non ? Oh... c'est mon fils, et je suis tellement fière de lui. »Elle passa à l'étalage suivant. On y vendait la nouvelle spécialité de viennoiserie du village : les chouzequettes. C'est à la fin de son cent vingt-quatrième mandat de maire, alors que la famine régnait dans le village depuis cent vingt-trois mandats, qu'elle avait eu l'idée révolutionnaire de remplacer le pain qui faisait tant défaut par des chouzequettes. En effet, il fallait autant de farine pour fabriquer une miche de pain que pour faire vingt chouzequettes. De plus, une seule chouzequette coûtait moitié moins cher qu'une miche de pain. Ainsi, tout le monde était content : tous avaient à manger, et pour moins cher. Sans parler de la créatrice des chouzequettes, dame Chouze, qui récupérait quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente des dites viennoiseries. Fort étonnamment, les gens ne s'amaigrissaient pas moins...
Nous passerons sur les stands de chouzecroute et de chabichouze, autres nouvelles spécialités culinaires du village, respectivement plat à base de chouze nouvelle variété de chou et de croûtes de pain, et fromage dont la recette avait été discrètement copiée en Poitouze. Pardon... en Poitou.
À noter que le bois en vente sur le marché, réservé à la mairie, fut acheté pour une bouchée de chouzequette par la grande commissaire au commerce de la compagnie Chouze & Fils, dame Chouze, pour le compte personnel de la dite compagnie, présidée par cette même dame. Cette compagnie allait parfaitement de paire avec la nouvelle guilde des marchands ambulants de Chouzeville, dirigée par messire Brett, mari de et totalement dominé par dame Chouze, guilde à but non lucratif uvrant corps et âme de façon totalement désintéressée pour la mairie et le peuple de Chouzeville.
« Oh mon fils, je suis très fière que tu arrives à porter tout ça. Vraiment, je suis fière que tu sois mon fils. » dit-elle en offrant fort généreusement une chouzequette au premier gamin de la file de porteurs qui la suivait.
Un de ses ancien fils, n'ayant pas su porter les huit mille deux cents vingt-trois chouzequettes comme sa mère adoptive bien-aimée lui avait demandé, s'était noyé dès le lendemain matin en prenant son bain dans le Cher. L'enquête, menée par la société de détectives privés « Chouze et Fils » avait conclu à un suicide du malheureux.
Regardant le convoi de marchandises en partance pour les entrepôts de la compagnie « Chouze & Fils » se diriger vers la porte nord de la ville fort intelligemment baptisée « Chouze Nord », par opposition avec la porte « Chouze Sud » elle poursuivit sa promenade, la tête haute, en direction de l'ancien orphelinat de Chouzeville, où étaient maintenant hébergés la quasi-totalité de ses huit cents soixante-douze enfants adoptifs. Ou à peu près. C'était dur de tenir les comptes en temps réel. Sur la porte, un panneau vide d'écriture. Un de ses fils adoptif, le cinq cents vingt-deuxième, si nos calculs sont exacts, avait dans un trait d'humour proposé d'apposer au-dessus du portail l'inscription « Plus on est de cons, plus on rit ». Affreusement pris de remords, le malheureux s'était tragiquement suicidé le soir-même en se jetant sous les roues d'une charrette qui passait là.
Chemin faisant, elle rencontra un attroupement de personnes fort agitées. Demandant ce qui causait ce remue-ménage, un homme tremblant lui indiqua un parchemin cloué à la va-vite sur un mur. Elle s'approcha, les sourcils froncés et la bouche en cul de poule, et lut les termes suivants :
Citation: Énigme de l'année : Qui est le fils légitime de Chouze ?
De rage, elle arracha le pamphlet en jurant et pestant, les yeux sortant presque de leurs orbites.
Une de ses filles adoptives, qui cheminait à côté d'elle, se suicida immédiatement après en s'étouffant dans les jupons de sa mère. Elle aurait posé la question :
« Maman ? C'est quoi un fils légitime ? » À croire que tous ceux qui gênaient dame Chouze ou lui déplaisaient, même pour des choses minimes, finissaient irrémédiablement suicidés. Que de coïncidences...
Fort mécontente, elle fit prestement demi-tour. Elle repartit en direction du siège local du BIER où Tonton Gépé, dit « Mouzot », grand ponte du parti et accessoirement duc de Berry, faisait quotidiennement ses siestes au milieu de plusieurs ouailles béates qui n'avaient d'autre occupation que se faire remarquer par leur idole. La séance de ronflements n'était troublée que par dame Mata-Hastérie, médecin de Chouzeville, médecin personnel de Tonton Gépé et accessoirement juge de Berry, qui apportait au duc valétudinaire ses tisanes de camphre.
« Mmmh... le Chouzouzouzouzouze est-il... vert ? ! »C'est à ce moment précis que la porte s'ouvrit à la volée, et qu'apparut dans l'embrasure de la porte la silhouette de dame Chouze, dans le même état que ses cheveux : en pétard.
« Bouhouhouhou Tonton Gépéééé... ton affreux maire Cokorico a encore médit de môaaah ! Il dit que j'ai pas d'enfant légitiiiiiimme bouhouhouhou... En plus à cause de lui ma fille chérie s'est suicidée tellement elle avait de chagriiinnnn.... bouhouhouu. C'est insupportable ! Il faut le virer du parti ! Le bannir du Berry ! Bouhouhouhou Tonton Gépéééé. »Puis, se reprenant.
« Écoute Tonton, je vais te faire une offre... que tu ne pourras pas refuser.[Inaudible]
... et tu auras un dentier aux dents en or massif que je fais venir à grands frais de La Rochelle, en Provence. »Pour préserver le lecteur de la souffrance de voir Tonton Gépé accepter le pot de vin presque pas à contrecur, nous indiquerons juste que Chouze sortit satisfaite des locaux du parti. Pour fêter cette grande victoire, elle décida d'aller prier un peu au sanctuaire de Sainte Chouze l'Innocente, où se trouvait la fameuse tapisserie retraçant le périple de Sainte Chouze, haïe et honnie en Bretagne d'où elle dut s'exiler pour traverser, au péril de sa vie, la mer hostile du Domaine Royal avant de débarquer sur les rivages de la terre promise : Saint-Aignan. Arrivée à l'édifice, elle en profita pour ranimer la flamme de l'enfant adoptif suicidé inconnu, et se recueillit un instant. La famille, c'était vraiment trop sacré pour elle. Elle essuya une larme en voyant la plaque commémorative de ses deux premières filles adoptives, Maliss et Mina. La première avait fui le Berry un mois après son adoption, et la seconde était morte peu après dans des circonstances encore non élucidées. Elle blêmit lorsqu'elle vit un croque-mort s'approcher de l'endroit. Elle haïssait ces gens-là. Trop morbides... qui se faisaient de l'argent sur la mort des gens. Elle trouvait ça vraiment odieux. Elle cria de façon stridente pour attirer quelques-uns de ses fils qui devaient forcément l'entendre, afin qu'ils rossent l'importun. L'histoire ne dit pas si le croque-mort prit soin de prendre ses mesures avant de se suicider.
Pour se changer les idées, elle décida d'aller asticoter le nouveau maire de Chouzeville, Cokorico, qui avait vilement et sournoisement battu Arthus-de-Normandie, son fils adoptif chéri, aux précédentes élections municipales suite à une ignoble campagne de dénigrement de sa personne. Elle qui était si gentille, si attentionnée, si... Un autre de ses fils, jaloux de celui qu'elle avait choisi pour lui succéder à la mairie, avait traité ce dernier de chouchouze. Il paraît qu'il s'était pendu la nuit suivante. Arrivée devant la mairie, dame Chouze fendit la foule de ses enfants qui manifestaient pour protester contre la gestion tyrannique du maire élu la veille, que c'était un scandale que les gens meurent de faim, que c'était donc un arriviste, et patati, et patata. Certains s'essayaient au jeu de fléchettes que l'ancienne mairesse Chouze avait installé lors de son premier mandat. Il s'agissait de portraits de deux anciens maires de Saint-Aignan, dame Vroqu et messire Alfred qui avaient, d'après dame Chouze, irrémédiablement nécrosé la ville par leur présence incompétente et que ça n'était que justice rendue de les percer de fléchettes. À ce sujet, n'ayant pu suicider messire Alfred qui avait lâchement fui la ville, elle s'était résignée à supprimer son nom de tous les actes et registres que contenait la mairie, afin qu'il soit rayé de l'histoire du village. Puis elle avait condamné la porte. Deux précautions valent mieux qu'une, n'est-ce pas ? Elle sourit en passant devant le tableau des arrêtés municipaux. Arrêtés qu'elle avait elle-même établis de sa blanche main innocente :
Citation:- La vente de poissons est strictement réservée à la mairie. Sauf pour dame Chouze qui peut en vendre pour son profit personnel.
- Les stères de bois à 3,50 écus sont réservés à la mairie. Sauf pour dame Chouze qui peut en acheter pour son profit personnel.
- La spéculation est formellement interdite sur le marché de la ville. Sauf pour dame Chouze qui peut spéculer librement pour son profit personnel.
- Aujourd'hui est un jour férié. Mais uniquement pour dame Chouze.
Ces arrêtés lui avaient d'ailleurs permis d'être relaxée de tous les procès qui avaient été lancés contre elle, grâce à la partialité totale de la juge, Mata-Hastérie, nommée par Tonton Gépé qui avait fortuitement dû oublier de lui expliquer en quoi consistait cette charge, très certainement parce qu'une cassette remplie de pierres précieuses « stolen in Losses » avait par hasard atterri sur son bureau.
La mairie fermée par ses soins, Chouze avait effectué toutes les tâches de son mandat de maire depuis la taverne de son époux, « Aux Bretons et Berrichons réunis ». Elle en avait profité pour bannir toute la population de la taverne municipale, afin que nul ne soit tenté d'enrichir la mairie à ses dépens. Elle siégeait en permanence derrière son comptoir, se montrant toujours très occupée dès lors qu'elle n'y dormait pas mais était discrètement toujours très attentive aux potins et racontars de sa taverne.
Pendant sa partie de fléchette, elle entendit le maire Cokorico parler à la foule composée exclusivement denfants adoptifs de Chouze depuis une fenêtre, tâchant de la disperser. Il haranguait la populace en expliquant bien clairement que s'ils avaient tous faim, ça n'était pas sa faute à lui qui n'était là que depuis la veille, mais à celle de la mairesse précédente, dame Chouze, qui avait laissé un trou de 20000 écus dans les caisses de la mairie, qu'elle s'était d'ailleurs certainement mis dans les poches vu la facilité qu'elle avait à déstabiliser le marché. Sous les huées, il dut refermer son volet. Chouze prit à son tour la parole, les larmes aux yeux.
« Vous voyez bien que ce Cokorico n'est qu'un imposteur ! Il ne sait que dénigrer le travail d'autrui ! Et en plus dire du mal en public de quelqu'un du même parti que lui c'est... insupportable. Intolérable ! » Et elle éclata en sanglots, alors que la foule scandait son nom, bombardant la façade de la mairie de chouzequettes, briques et tout autre chose pouvant leur tomber sous la main. C'est d'ailleurs en se jetant avec force contre le mur de la mairie qu'un des fils de Chouze se... hum... peut-être allons-nous passer sur ce détail totalement anecdotique... Toujours est-il que tous se mirent à chanter en chur le nouvel hymne du village :
« Savez-vous voter pour Chouze, à la mode, à la mode... savez-vous voter pour Chouze, à la mode de Chouzeville. »Vous n'avez rien compris à cette histoire ? Rassurez-vous, il n'y avait rien à comprendre.