Astana
- [Angers, Décembre 1468]
Pleine sorgue. Une rue d'Angers.
- « C'est encore loin ? »
- « Non. »
Concis.
- « Dans combien de façades ?»
- « Quatre. »
Disant cela, la plus haute des deux figures qui arpentent la rue plisse les yeux, amenant sa lanterne à hauteur de châsses. Grises, comme les quelques tifs qui dépassent de sa capuche.
- « Tu sais plus ? »
- « Je pourrais y retourner les yeux fermés. »
- « Et la lanterne, c'est pour quoi alors ? »
- « Nous sommes en Anjou... »
Astana laisse mourir la fin de sa phrase comme si le reste coulait de source. Une évidence. « Nous sommes en Anjou » cest un peu comme dire « Tiens, il fait tout noir » ; est-ce vraiment la peine de préciser quon ny voit rien ? Non.
Et puis le silence.
La plus jeune des deux figures ne suit plus. Elle sest arrêtée net au milieu de la rue. Tiens, cest rigolo mais ce penchant taiseux me rappelle quelquun. Pas toi, Sa Blondeur ? Marquer des arrêts pour faire valoir son propos aussi, dailleurs.
La danoise opère un demi-tour et ramène sa lanterne à hauteur de trogne. Cest un minois juvénile tout blanc, encadré de blond cendré, au milieu duquel trônent deux billes noires qui la défient. Ho, ça pourrait durer longtemps. Mais Astana avait intégré depuis quelques années maintenant qu'elle avait engendré un monstre qui gagnait bien plus souvent qu'elle au petit jeu du chien de faïence quest muet. Claquant sa langue contre son palais, Astana signale à sa fille quelle a remporté une nouvelle victoire.
Et puis on se les pèle en plus.
- « Nous sommes en Anjou donc il faut faire attention aux pièges. »
Le dernier mot est volontairement accentué. Ça donne un petit ton dramatique à cette révélation. Lenfant acquiesce dun air grave, comme soudainement investie dune mission importante.
Débusquer des pièges. Tous les trouver. Pas sfaire avoir.
Cest sans compter lappui de sa mère, qui vient passer un bras passablement gelé par-dessus ses épaules. Parce que ouais, on est toujours plus fortes à deux. Elles font ainsi encore une quinzaine de pas avant de trouver la façade tant attendue. Pas de piège angevin en vue. Un jour, Astana lui contera l'histoire des pièges angevins, des pièges du Royaume tout entier même. Mais pas là. On se les pèle, on a dit. Les carreaux du Blaireau sont tellement crades quon ny voit pas à travers, mais la porte est toujours là. En un seul morceau. Béni soit ce roussâtre dAthelstan davoir veillé au grain. Après avoir fait jouer la clef dans la serrure de létablissement délabré et un, deux, trois coups de pied dans le coin inférieur gauche, la porte cède.
Ça pue lhumidité, labandon et le froid.
- « Jaime pas. »
Merci. Ça fait toujours plaisir.
- « Patience, on est pas encore arrivées arrivées. »
- « »
- « Viens. »
La Maison, c'est dans dix marches.