Astana Non.
J'ai dit non.
Sa Blondeur s'acharne à ponctuer chacune de ses phrases par une négation de la tête, dont on naperçoit guère plus que le front et une paire de châsses, tant le col est remonté haut sur le nez. Beaucoup de phrases, beaucoup d'infirmations, beaucoup de tête secouée. Finalement, d'Assay voit flou mais impossible de dire si c'est le froid qui saisit la rétine, les pintes ou tout simplement la nuit. Probablement les trois. Elle accuse un petit rire, tout étouffé qu'il est dans l'étoffe. Les plans foireux d'Astana sont légion et naissent souvent d'une nette mésentente entre les deux parties. Alors pourquoi ce soir ferait exception ? J'te le demande.
- « Une fois encore, nous parlions de chauves. Les chauves nont pas un poil sur le caillou. Cest bien pour cela que vous mavez demandé si je navais pas attrapé froid, du temps où jétais déplumée. Non ? »
Hyacinthe à sa gauche, elle le pousse à prendre plus à gauche encore, dans une venelle déserte et pas bien large, à limage de lAnjou daujourdhui réduit à sa seule capitale : Angers.
- « Vous nauriez jamais demandé ça si jvous avais dit : "On ma coupé une touffe de cheveux". Avouez. Navrée mais vous en perdez tout le sens, là. »
Non mais c'est vrai. Tu vas pas demander à tes amis comment ils se sentent après s'être offert un relooking chez le coiffeur, si ?
Elle ralentit le pas tandis qu'ils passent aux abords d'un rade allumé, où se pintent quelques rares âmes ayant osé braver le froid. Peut-être causent-ils d'arbres généalogiques, eux aussi. Peut-être se réveilleront-ils également soulagés de quelques tifs inutiles, des suites d'une proposition tout ce qu'il y a de plus innocente. En gros titres dans toutes vos gazettes dès demain : "Les armées de la Couronne sont chauves : encore un coup des Angevins ?"
Blondeur se gausse.
- « Et puis on dit "une touffe de cheveux" » elle sort une patte jusqu'alors bien au chaud dans son vêtement pour désigner ce qui trône sur le crâne de Hyacinthe. « pour désigner un ensemble. »
Hyacinthe.
Une lumière jaune frappe le profil de Barbara, qui semble presque doré. Manquerait plus que les flocons de neige se mettent à tomber pour quelle ressemble à une fée dhiver, en train dagiter sa baguette de pisseuse autour de son crâne à lui, histoire de désigner un ensemble. Désigner un ensemble. Dés.
« Désigner un ensemble. Sauf que pour que désigner, il faut bien poser une limite. Si on veut un dedans il faut un dehors. Sinon, ça nest plus lensemble, cest linfini. Et linfini, cest divin. Donc à moins que Dieu ait élu domicile dans mes tifs, une touffe reste une touffe. »
[...]
Peut-être quelle a appris à parler en suivant les leçons dun caillou. Ou alors cest la mauvaise foi qui lemporte.
« Le froid mclaque les couilles. »
Tas lair dy tenir, à me rendre chauve.
« Jsens plus mes mains. »
Comme si tavais une lubie passagère et bien chiante.
« Cest loin chez toi ? »
Hyacinthe se fait à lidée dêtre chauve. Son raisonnement ne mérite pas de développement tant il est simple : les poils, cest pas important et ça repousse. Pourtant, il garde le clapet fermé dans son écharpe. Faudrait pas gâcher les négociations.
Edit : manquait des bouts.
Astana Mais Sa Blondeur en a posé, des limites. T'as pas vu ? Quand elle a désigné ta touffe dans l'air glacial, c'était pas juste pour l'effet de style. Oh. Pas n'importe quelle touffe non, la tienne. Ni à côté, ni derrière. Là, sur ton crâne. Simple. Clair. Défini. Alors Dieu peut rester au chaud, peinard, on va pas le déranger pour si peu.
- « Tas survécu des plombes tout troué et à moitié à poil dans la cambrousse il y a de ça deux hivers. Tu peux bien encore attendre cinq minutes. »
Tes valseuses survivront, jen suis sûre. Parole de moi.
- « Cest juste au coin. »
Un mouvement de tête montre une bâtisse siégeant à langle droit de la venelle. Bientôt, on distinguera des lueurs dans les étages. A ses fenêtres aussi. Alors, lesquintée tique un peu. Cest pas un mouvement de recul évident. Plutôt comme un petit froissement du visage. Bah ouais, ya ta progéniture là-haut, mignonne. Ta progéniture brise-ovaires qui ne pionce donc toujours pas, et qui gagne chaque année un échelon sur l'échelle des pisseuses, des vraies. Sûr que c'était plus marrant d'imaginer l'introduction tout à l'heure. Moins depuis qu'Astana réalise que la jeunesse amène son lot d'interrogations très terre à terre comme, notamment, demander ce que sa mère peut bien foutre à ramener un gars en pleine nuit pour lui raser la boule et pourquoi ça ne pouvait pas attendre qu'il fasse jour. Est-ce que c'est pressé ? Doit-il se faire beau pour rencontrer une princesse ? ou la Reyne ? Elle ne manquera pas non plus de faire remarquer qu'un crâne chauve n'a jamais rendu personne présentable.
Comme ils atteignent la porte du bas, Sørensen lâche à l'adresse de Hyacinthe :
- « Tu peux encore te sauver, Rose. »
Me sauver. Nous sauver. Sois courageux pour deux !
Parce que la gamine aux châsses noires a des questions plus vicelardes encore. Qui n'ont pour le moment jamais trouvé de réponse.
La main sur le panneau, prête à ouvrir la boite de Pandore, Blondeur tente une dernière parade :
- « Surtout, si ma fille demande si tu veux bien être son père vivant, refuses de manière catégorique. Cest un piège. »
Hyacinthe.
Bah ouais. Et puis je finirais par venir poser mes affaires chez vous, fatalement, pour combler le vide paternel de ta maisonnée. Ta gosse et moi, on srait potes. Comme les deux doigts de la main. On ferait des batailles de brouet. La course pour aller acheter des miches de pain toutes fraîches au marché. On aurait quelques accrochages, parfois, mais les larmes seraient vite séchées, dès le moment où se confierait nos sentiments, à grand coup de morale, en regardant le plafond de concert. Après elle me murmurerait que son feu papa lui manque, et je lui répondrais quil vivra toujours dans son cur. Et toi Barbara, tu sécheras une petite larme démotion, flanquée au bas des escaliers, alors que tu espionnais la scène des réconciliations entre ta gamine et son père pas mort.
« Vraiment ? Tu as bien fait de me prévenir, je pourrais déraper sur une fin de phrase, et dire oui. Oui, et non, cest des mots mal foutus ; ils se confondent facilement. »
Tu tdégonfles Barbara ? Interroge-t-il du regard, passant, peut-être pour la dernière fois, sa main dans sa tignasse. Jmdégonfle pas moi. Regarde. Jsuis prêt. Même pas peur. Regarde, je sors une petite bouteille de liqueur de ma besace. On en trouve partout au coin des rues en ce moment, pas même entamées. Cest bizarre, mais cest parfait pour les moments comme ceux-là, les petites bouteilles de liqueur. Ça va taider. Ça va ten donner, du courage. Je prends même la première rasade avant de te la tendre.
« Tiens, bois. Mais pas trop. Jaimerais garder un peu de peau sur lcarafon, si ça te va. »
Ô petite fleur, nentre pas dans le donjon,
Où se terrent les enfants aux yeux noirs.
Pwarf.
Astana Non, pas de sauvetage ? Pas de place pour deux sur la planche ? C'est fort stupide, Rose. Fort stupide. On pourrait t'en vouloir pour ça.
- « C'est à dire qu'elle est du genre borné. Elle sait se montrer retors, aussi. »
C'est que le pois n'est pas tombé loin de la gousse.
Elle accueille la fiole de liqueur sans faire d'histoires, tout en poussant la porte de l'épaule. Une fois à l'intérieur, Astana lorgne brièvement les planches au-dessus de leur tête, comme si elle pouvait voir à travers le sol de l'étage supérieur et lape une gorgée. Je sais que tu tends l'oreille, vilaine.
- « Jferai de mon mieux pour pas técorcher, mais jgarantis pas la finition parfaite. Rappelle-toi : la marge derreur. »
Une flopée de marches qui grincent plus tard, une seconde porte. « Tes prêt ? » interroge-t-elle dans la pénombre. Mais oui, il est prêt. Il sen tamponne les orbites. Ya que toi que ça rend nerveuse, de toute évidence. Astana brise le suspense en faisant tourner la clef dans la serrure. La lourde souvre sur une drôle de pièce principale où se mélangent bordel de gosse et coins organisés, ferraille, livres, bouts de parchemins gribouillés et
poupées. Sympa, la déco. T'as fait appel à quelqu'un ? Ouais, Sørensen a officiellement embrassé son rôle de mère célibataire. Et ça lui fout toujours un choc de voir ça, comme si c'était chez quelqu'un d'autre à chaque fois. Dans son champ de vision se matérialise lespace dune seconde un bout de tignasse blond clair, à demi masqué par lencadrement dune autre ouverture qui donne sur la chambre. La mère planque un sourire dans son col, avant de le rabaisser sur sa gorge et de commencer à défaire son manteau.
- « Fais comme chez toi. Jen ai pour une seconde » dit-elle en désignant table et chaises sommairement éclairées par un chandelier. « Je vais nous chercher plus de lumière. Il faudra au moins ça pour pas que je te loupe. »
Mais oui, mais oui.
Et tandis qu'elle va pour s'engouffrer dans la chambre à la recherche de bougies supplémentaires, mais surtout à la poursuite de sa descendance aux yeux noirs, elle lâche comme si de rien n'était :
- « Fais juste gaffe où tu mets les pieds. On sait jamais avec les toupies. »
Hyacinthe.
Hyacinthe baisse instantanément les yeux au sol, à laffût de ces toupies qui sonnent comme une évidence pour Barbara, et auxquelles il navait même pas songé. Le territoire est miné. Il scrute son chemin pas à pas jusquà la première chaise venue, où il pose son derche.
« Aïtch ! »
Un coup de toupie dans le gras de la fesse ça fait rarement plaisir. Enfin, peut-être que ça fait plaisir à certains ou certaines, mais Hyacinthe, lui, il trouve ça franchement moyen. En plus cest pointu une toupie. Et avec la guerre, il a plus tellement de gras nulle part.
Barbara a disparu. Le moment étrange de lattente a démarré. On mate la pièce à la lueur de la bougie. Cest plutôt bordélique. Cest
plutôt bordélique. Quelques têtes de poupées lancent des sourires figés. Y a un bouquet dherbes, qui pend dun bout de métal, qui pend dune poutre. Y a une pomme, aussi, sur la table.
Quest-ce que je fous là, déjà ?
La dame a dit fais-comme-chez-toi-jen-ai-pour-une-seconde... Docile, Hyacinthe essuie la pomme avec sa manche et croque la première bouchée.
Queche que jvfous là déch
Des petits bruits de pas se rapprochent furieusement. En relevant le nez, il voit accourir une gamine, en train de chercher du regard la première poupée quelle pourra torturer coiffer, ou sa toupie préférée, ou peut-être un bol de lait, il nen sait rien Hyacinthe, ça fait longtemps quil na pas été enfant.
Ah, elle la remarqué.
Le premier regard quHazel lui lance peut être aisément traduit par un : quest-ce que tu fous dans ma maison ?
La tête qui penche légèrement sur le côté par un : et tes qui dabord ?
Hyacinthe avale sa bouchée, en reprend une seconde et soulève le menton à ladresse de lenfant.
« Bonchoir. »
La base quoi.
Hyacinthe.
Hyacinthe bloque ses crocs. Il interroge Barbara du regard.
Léus, cest un drôle de nom pour une variété de pomme. Peut-être quelle vient dun verger romain. Les gens trimballent de ces choses exotiques de nos jours, pourquoi pas une pomme après tout ? En tout cas, lindex levé nest pas trompeur : laffaire est dimportance. La pomme avait un destin tracé, cette pomme, ça nétait pas une pomme comme les autres, elle ne devait pas finir dans nimporte quel estomac, elle jouait un rôle dans cette maisonnée. Hyacinthe doit choisir,
entre remettre les pieds de tout lmonde dans la réalité,
Mais enfin regarde, cest une pomme ! Cest juste une pomme ! On ten retrouvera une autre de pomme, enfin mais quelle est neuneu cette enfant ! Elle va pas pleurer pour une pomme tout de même ! Ro, lala
accepter le délire ambiant,
Oh ! Pardon ! Pardon je suis désolé ! Ta Léus ! Ta mignonne petite Léus
Tu
Tu penses quelle me pardonnera ? Regarde, je la pose gentiment sur la table
jai presque rien croqué
Oh, jai encore un bout de peau coincé entre les molaires, regarde, je vais tout bien recoller
Ou finir sa bouchée.
Ce quil fait.
Crânement.
Il repose la pomme sur la table, bien en face de lui. Regarde la pomme. Hazel. Barbara. Hazel. La pomme. Cest symétrique. Cest beau. Ça fait comme une pyramide des regards. Il remonte au sommet, et décrypte le langage corporel de Barbara, Barbara, des trucs calés contre sa hanche, Barbara qui crie avec ses sourcils, bah vas-y, démerde-toi, tas croqué dans la pomme, tassumes, tavais quà aller plus souvent à léglise, là taurais appris que ça se fait pas, de croquer dans nimporte quelle pomme qui te fait de lil, que cest une connerie universelle.
« Hazel, je crois que votre maman a amené de quoi me punir. »
Il glisse une main dans ses tifs. Maso va.
Astana - « Il y a des punitions pires que celle-ci. »
- « Comme le cachot ! »
- «Hazel. »
Oui, Sørensen crie avec ses sourcils. Avec ses yeux juste en-dessous, aussi. Cest quand même bien foutu lanatomie, quand on y pense : de cette façon même les muets peuvent crier de quelque part. Et les aveugles avec leur bouche. Les malchanceux qui nauraient plus ni lusage de leurs yeux ni celui de leurs cordes vocales peuvent aussi crier avec leurs mains. Et aux manchots, il reste toujours le reste du corps. Alors Sørensen crie des sourcils et des yeux tandis quelle traverse la pièce. Vers Hyacinthe, dabord, tandis quelle se décharge de la bassine et du chandelier sur la table, puis vers Hazel dont le rouge a marqué les joues. De honte ou de colère ?
On ne va pas passer la nuit sur une histoire de pomme, si ? Les châsses grises passent de lun à lautre mais ne crient plus. Elles se posent finalement sur la pomme que Hyacinthe tient encore en main. La blonde la réquisitionne pour planter les dents dedans à son tour, sous le regard médusé dHazel qui a croisé les bras contre sa maigre poitrine. Elle doit se douter quil y a baleine sous graviers. Astana essuie une perle de jus de son pouce, savançant dans le même mouvement vers sa fille.
- « Cest un signe. Maleus a rempli son rôle. Il y a dautres histoires à raconter que celles des prêches de Limoges. »
Quand bien même le remake de Sørensen deuxième du nom ait été plaisant à regarder, au moins les trois premières fois. La danoise tend la pomme à sa fille, linvitant à croquer dedans en guise de signe de paix. Hazel sen saisit par la tige en plissant les yeux. Hésitante, elle approche la bouche d'un côté encore plus ou moins intact. Froissement de nez.
- « Deux poupées. » fait Hazel en levant deux doigts vers sa mère, déterminée.
La danoise répond du tac au tac avec le même aplomb :
- « Adjugé. Mais à ce prix-là, nespère pas rester là les bras croisés. Remets de leau à chauffer pour notre invité, tu veux ? Ni brûlante, ni glaciale. Tiède. »
Scrounch.
Alléluia, on va enfin pouvoir passer à autre chose.
Et tandis que la môme sen va remettre un bout de bûche sur les braises encore vives de lâtre, la blonde sen retourne vers Hyacinthe. Méthodiquement, elle sort et aligne le matériel récolté siégeant au fond de la bassine : deux couteaux dont elle vérifie le tranchant de la lame avec son pouce, un linge, un savon, un amadou. Les trois bougies dans ses poches trouvent leur place sur le chandelier, désormais recentré au milieu de la table avec son jumeau, une fois allumées. Un éclair de sourire gouailleur passe sur le minois de la blonde.
- « Je te facturerai la deuxième poupée. »
Elle avance une main vers le fouillis de cheveux de son vis-à-vis, et suspend son geste au-dessus de sa tête :
- « Tu veux commencer par où ? »
Hyacinthe.
Hyacinthe renverse la tête en guise de réponse.
« Allez. Éclate-toi. »
Cest cadeau. Pas la peine de me remercier.
Plus docile quun mouton, il mate un coin de plafond pendant sa tonte dhiver. A chaque passage de lame, il sent que son front devient un peu plus léger.
« Fais gaffe parce que je dois avoir un trou par-là. »
Si si. Un revers de lame qui ma rentré dans le cabochon. Tu ten souviens peut-être pas, mais cest sans doute toi qui lavait platré. Ou Alain
Alain Devoux. Pourquoi jpense à Alain Devoux ? Et cest qui ctype ? Cétait peut-être un soldat royaliste. Peut-être quil est mort depuis, ou quil est rentré chez lui, dans sa petite maison, dans son petit village.
Hyacinthe croise tout à fait intentionnellement le regard de Barbara. Tu le sens, lair de déjà-vu ? Faudrait peut-être quon change nos plans pour lhiver, non ? Cest pas que ça me dérange, les tête-à-tête inversés, mais si jdois lâcher un bout de moi-même à chaque fois, à la fin, il va plus rester grand chose.
Et puis ça devient gênant, de se reluquer dans le blanc des yeux comme ça.
Pour masquer lembarras, il baisse les yeux, là où devrait se trouver Hazel, en train de croquer les derniers morceaux de la pomme de lamitié. Une poignée de tifs blonds remue en bas de son champ de vision. Il demande :
« Alors, Hazel... raconte-moi ce que cest, de vivre avec une mère pareille. Elle nest pas trop chiante ? »