Dans la forêt béarnaise, célèbre pour ses ours et ses montagnes, un tumulte extraordinaire attira l'attention des gardes placés à la frontière avec la Gascogne. Leur curiosité éveillée, ils prirent rapidement leurs armes et boucliers et vinrent s'enquérir de l'origine de ce vacarme. Ils furent stupéfaits par l'incroyable équipage qui s'offrait à leurs yeux et , saisis par l'effroi, ne purent que le laisser passer sans esquisser le moindre geste d'interdiction, ayant trop bien compris le danger qu'il y avait à s'opposer à un tel groupe.
Une barque géante - d'au moins 50 pieds de long sur 20 de large, pour une hauteur d'environ 15 pieds , faite de bois de suède avec des poutres à peines retouchées, ce qui assurait une épaisseur d'au moins 1 pied, le tout assembler selon des techniques novatrices que ne connaissaient que les meilleurs ingénieurs nautiques, consistant à entre croiser les planches selon un certain intervalle pour assurer meilleur équilibre et plus grande solidité à ce fier navire - s'avançait à travers la forêt. Non pas qu'elle flottât sur la terre meuble du Béarn, mais de petites roues avaient été astucieusement placées sous sa coque, de sorte qu'elle puisse rouler comme le ferait un char, même si sa masse considérable et le relief accidenté de la région ne lui facilitait guère les choses. Outre sa constructionsingulière, la barque était en partie recouverte de coquillages aux couleurs étincelantes, une voile tissée à partir d'un assemblage de peaux de poissons - vraisemblablement des raies - qui ne battait pas, faute de vent, des cordages constituées de dizaines de boyaux de requin finement enroulées les uns autour des autres, une gaffe ornementale, qui aurait du servir à déterminer l'orientation du navire dans l'eau si tant est qu'il puisse flotter, en corne de narval, et ainsi de suite, mille et un détails ornementaux qui attestaient de la nature maritime de l'objet. Certains pourraient même penser que le bois est tiré des épaves échouées, mais le propriétaire du navire n'est pas dément à ce point - bien qu'il le soit déjà fort - pour affaiblir ainsi la structure de son vaisseau.
Car le voila le propriétaire, le maître des lieux, juché sur un énorme trône fait de crânes de dauphins, portant un regard conquérant et mégalomaniaque sur la forêt, sur la pauvre escouade de gardes qui a su éviter de lui opposer une résistance aussi futile qu'inutile : Lorca. Oui Lorca, fils de Neptune, prince de l'Océan, empereur des fleuves de france, conquérant de l'Atlantide et d'Ys, seigneur de l'écume. Lorca, prêtre guerrier, avocat du dragon rugissant, ennemi du mal, des brigands, des lâches, des faibles et des veuls. Lorca, la légende de Bordeaux, repoussant de sa seule croix de prêtre un régiment entier de Béarnais lors du siège de Bordeaux. Lorca, car c'est plus fort que toi.
Et dans sa main, il tient sa célèbre croix de guerre, une croix aristotélicienne en argent - forgée à partir d'une épée légendaire dont il tait le nom - enchâssée sur un simple bâton. Mais ce n'est pas que cela, car caché dans les plis de sa robe, à l'autre extrémité du bâton, se tient la véritable arme, son harpon aux cent barbelures en dents de requin, une arme terrifiante qui sème la mort parmi les hérétiques et les ennemis de la Guyenne. Un harpon d'au moins 10 livres, au fer large d'un pied, long de 18 pouces, et qui peut - dit on en chuchotant - trancher l'air lui même. D'un côté il tue, de l'autre il bénit. Ainsi est Lorca, l'être difforme et double qui provoque l'effroi de villages entiers sur son passage. Bossu, boiteux, gouailleur, bagarreur, à la peau bicolore - noir sur le dos, blanche sur le visage et le ventre- avec un nez en forme de museau, un front bombé, de petits yeux enfoncés dans leurs orbites, des mains en forme de nageoire, une haleine fortement iodée, et sur son dos, une armure tirée d'une cage thoracique d'orque - l'animal qui lui a donné son nom et sa force - sur laquelle ont été fixées des écailles de tortue, formant ainsi une cuirasse d'une solidité extraordinaire, meilleure que les broignes ou les armures de plates. Voici Lorca, le messie de Guyenne...
Et en regardant sa barque, on se rend compte en outre qu'elle se meut seule, avançant de sa propre volonté, comme dirigée par une volonté démoniaque qui n'est peut être que le reflet de la fureur de Lorca, à moins que de manière plus prosaïque, il n'est mis au point un système de propulsion, ce que semble confirmer l'odeur méphitique s'échappant de la poupe, mélange de naphte et d'huile de foie de morue, associée à une fumée aussi noire que la nuit qui fait tousser les malheureux placés derrière. Et ils sont derrière à trébucher derrière, tentant de se couvrir le nez de leur mouchoir. Ce sont tous les pêcheurs, tous les matelots, les forçats, les galériens, les moussaillons qui, sur la foi de la seule parole de Lorca, celui qui ose désormais se faire appeler "Le Messie de Guyenne", se sont joints à lui pour porter le fer et le feu en Béarn. Et tous, du plus frêle au plus costaud, sont de redoutables combattants, équipés de harpons du maître, avec des armures calqués sur celle du maître. Ils sont ses servants, et en tant que tels, le défendront jusqu'à la mort.
Et le vaisseau passa, dans un silence funèbre, seulement entrecoupée par les toussotements de la machine qui, vraisemblablement, donne vie au vaisseau de Lorca, par les pas des soldats marins, par le grincement des roues des multiples chariots suivant la procession et par les hoquets de stupéfaction des béarnais. Ils se rendent compte avec horreur que cette armée de bric et de broc sera sous les murs de pau d'ici quelques heures. Et déjà, ils savent les desseins du monstre qui commande cette étrange légion, Lorca, le futur tyran de Pau...