Gabriele.
- « Faudrait que je speed un peu moins aux novocaïnes
C'est pas que je sois vraiment fêtard
C'est juste qu'il me manque
Mon héroïne»*
L'échange banal ne l'est pas resté. Je n'ai pas envie d'arrêter de me droguer, malgré les injonctions de ma sur. La retenir ne la fera pas revenir. J'en ai conscience, mais c'est plus fort que tout. Ce « Nous » me dévore, et je ne parviens pas à le laisser s'échapper pour de bon. Alors je sombre dans la pire des addictions, enchaînant les prises de datura, lorsqu'elles devraient être espacées d'au moins plusieurs jours. Je m'en fous, mourir me semble tellement dérisoire, alors qu'Elle m'a précédé dans le tombeau ; mais même ça, je n'arrive pas à le faire. Les longues années passées à m'immuniser contre les poisons les plus courants semblent avoir malheureusement portées leurs fruits.
J'aime cette sensation. L'herbe du diable me fait décoller. Je me sens voler, et surtout je ressens sa présence, à mes côtés. Fou, et heureux de l'être. Prisonnier volontaire d'une geôle décadente pour tout ce que je suis. Pourtant avec elle, je me sens Moi. Putain d'égoïste. C'est sa faute, après tout, elle n'avait qu'à pas me rendre dépendant d'elle. Foutue garce. Je t'aime. J'te déteste.
Ça fait mal et ça fait du bien.
Quand ça ne concerne que moi, c'est une chose. La blonde a poussé le vice. Elle m'a parlé de la datura, la première. Forcément, ça donne une envie de partage. Juste pour voir. Ça fait des histoires, et ça cause de borgnes qui font des actes salaces de leurs orbites vacantes. C'est dégueulasse. Tu ne veux pas imaginer, et pourtant l'image te viole l'esprit sans que tu puisses rien y faire. Saloperie de drogués, incapables de se contrôler.
La graine a été ingérée, et l'engrenage s'est mis en branle. Mydriase caractéristique. Et tu sens le sang qui pompe dans tes artères, et qui se galère. Ça bouillonne et tu demandes pourquoi, mais tu le sais déjà, c'est la drogue qui joue avec ton carmin, s'y mélangeant comme le feraient deux êtres en pleine jouissance. Extasie extatique. L'effet est crescendo. Au départ, on se contente de sourire bêtement. On rigole sans raison. C'est une joie illusoire, ça reste pourtant une sorte de bonheur, même si artificiel. Ça s'éternise ou pas, c'est selon le goût de chacun. Je sens qu'elle aussi, elle s'envole, je tente ma chance. Je vole un baiser à celle qui représente pour moi, ce soir, l'épouse éperdue et disparue.
Elle y répond, la folle. Elle nourrit mes délires.
Elle se jette dans mes griffes acérées, et je m'en vais la bouffer toute crue. Trop tard pour crier au loup. L'expérience n'est pas si désagréable...Elle a les traits de ma femme qui se superposent sur les siens, et le désir qui me tiraille de goûter encore une fois la saveur de ses lèvres que j'avais presque oublié. L'invitation est lancée, puis acceptée, et elle n'a pas tardé à me retrouver.
Les détails, impossible de m'en souvenir lorsque je m'éveille, la nuit déjà bien avancée, la bouche pâteuse et le corps dévêtu. Mes sourcils se froncent : même réveillé je peine à voir nettement ce qui se passe autour de moi. Je ne sais pas ce qui est le plus urgent pour moi, boire ou comprendre. Quelques scènes me reviennent alors que j'attrape la bouteille au pied du lit, et je manque de m'étouffer en découvrant à mes côtés à la faveur de l'astre lunaire qui chasse les ténèbres pour laisser place à une déchiffrable pénombre le corps féminin, aussi nu que le mien, de ma comparse de trip.
Un hoquet de surprise, je détaille les courbes allongées là. Un beau tableau, mais confus, alors que je me suis persuadé de coucher cette nuit avec ma femme. La main dans mes cheveux, je comprends que l'hallucination a sans doute été à double sens. Je la pleurais, et j'ai cru la retrouver, l'espace de quelques heures. La voici partie à nouveau, me laissant dans de beaux draps.
Comment expliquer ça ? Le désir inconscient ? La stramoine qui aura eu la main-basse sur nos raisons ? C'est toi que je voulais. Est-ce un cadeau de ta part ? Tant de questions. Si peu de réponses. Tu auras toujours le dernier mot, encore te faudra-t-il le prononcer.
Machinalement, je replace l'une des mèches blondes éparses. Elle est belle mais n'est pas Elle. C'est à présent que je le réalise. Un peu tard, me diras-tu. Il y a du Mal à se faire du bien. Surtout si c'est pour ne pas s'en souvenir ensuite. Les corps, cependant, ne mentent pas, et tout chez elle comme chez moi témoigne de l'expérience charnelle qui nous a uni, cette nuit.
« - Astana...? »
Va-t-en expliquer ça, toi, maintenant.
*Saez
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