Gerfaut Jai réfléchi, et peut-être quon aurait du panser comme on pourrait
mettre lécharpe en travers.
Il est entré en essayant de ne marcher sur rien, entre la bouteille, la chemise tachée, et dautres choses. Lorsque Gerfaut a finalement levé les yeux sur la blessée, son débit de parole déjà calme sest soudainement ralentit encore. Trois secondes de silence. Il finit par tendre le bras et récupérer létoffe, tout en formulant le constat que :
Comme dans mon souvenir
Vous avez boutonné dimanche avec lundi.
Mais il ne sy attarde pas. Déjà il est passé dans son dos. Quelques plis lui permettent dobtenir de létoffe un lé de largeur davant-bras plus un empan, quil vient placer en bavette autour du coup dAstana mais une bavette dotée dun repli, où elle peut poser le bras.
Si votre nuque fatigue, et si vous ne craignez pas que lécharpe appuie dans votre dos sur la plaie, on pourra toujours essayer de la poser en travers, de sous laisselle gauche à lépaule droite. En attendant, placez votre bras, que je noue à bonne hauteur.
Et tout en finalisant lopération :
Après ça, vous vous posez, et vous fermez les yeux.
Gerfaut A quelle occasion se sont-ils déjà trouvés ainsi, debout et si près lun face à lautre ? Le sol daujourdhui est égal comme il y a presque deux mois au Blaireau Pontife, et de même à hauteur de ses yeux, ceux dAstana grisonnent.
Soit. Si vous voulez bien vous retourner, que je recommence.
Le nud premier nétait pas si serré. Il est rapidement défait, et létoffe repositionnée non plus en bavette mais en véritable écharpe. Le bras de la blessée est ainsi davantage maintenu contre son torse, et désormais, le large bandeau traverse son dos en diagonale depuis sous laisselle gauche jusquà lépaule droite. Cest à cette hauteur que Gerfaut, attentif à ce que le maintien ne soit ni trop lâche ni trop serré, noue finalement les deux bouts de tissu.
Mieux ?
Gerfaut Réprobateur, le regard ? On y lira ce quon veut, les traits de Gerfaut sexpriment peu.
Si cest la dernière
Il recule un peu, englobant du regard le petit espace de tente avec léchalasse en son centre, avant dentreprendre en quelques mouvements mesurés de remettre de lordre sous la tente.
Nous sommes déjà en fin de matinée. Quimporte la méthode, reposez-vous. Mais ne vous assoupissez pas tout laprès-midi, ou vous manquerez de sommeil pour cette nuit. Jy veillerai.
Ce qui avait déplacé plus tôt retrouve sa place ou son rangement : le plateau daccessoires de couture, le couchage. Au passage, il pousse du chemin la bouteille vidée, et ramasse au sol la chemise souillée quil glisse à sa ceinture. Enfin, il se dirige vers la bougie, et tout en sy affairant :
Votre eau doit encore être changée, et votre chemise sera bientôt propre. Des fois que vous dormiez, je ne mannoncerai pas, mais si vous êtes éveillée, vous saurez à la lumière que cest moi ; jentrouvrirai le bas de toile quelques secondes, avant dentrer.
Une lueur rouge éclot entre ses doigts. Lorsque lallumage paraît certain, il sen écarte. Un dernier regard sur Astana, qui éclairée par contrebas, est sublimée dans ses contrastes. Puis il sort.
Dehors, contraste aussi : le camp baigne dans la lumière et la chaleur dun soleil de juin, mais un petit souffle court dans les allées, véhiculant le brin de fraîcheur bienvenu et balayant les dernières fatigues de la nuit. Entre les tentes et les brouhahas annonciateurs de déjeuner, lhumeur semble bonne. Cest un beau lendemain de bataille. Tout en rejoignant son quartier, Gerfaut se frotte machinalement le bras, et remarque une chair de poule. Sa chemise est encore un peu humide dans le dos, mais elle aura tôt fini de sécher.
Gerfaut Pendant ce temps, ailleurs.
Il na pas vu venir le coup. Paré trop tard, trop de travers, la puissance portée lui arrache son bouclier. Il sent larme lui pénétrer le ventre, puis sen dégager en même temps que le sol se rapproche et quun coup de pied le cueille dans les côtes. Et déjà, ladversaire séloigne avec son fer rougi.
A un moment, il a trouvé une palissade contre laquelle sappuyer. Ses deux mains sont en compresse sur le flanc gauche, et dentre ses doigts fuit un sang noir. On court devant, sans sarrêter pas, car la nuit est loin dêtre finie. La vue brouillée, les dents serrées, Gerfaut lutte contre linconscience. Second combat perdant.
~ Campement des Lames dAmahir, près de Vesoul.
Dimanche 14 juin, autre lendemain ordinaire de bataille. ~
Retour à une réalité confuse. Ballet de bourdons à ses tympans, de lumières sur lécran de ses paupières closes. Ça fourmille jusque dans ses doigts gourds, lorsquil porte mollement la main gauche à son front moite. Puis ça se réveille dun coup. Peut-être un faux mouvement, une inspiration mal inspirée : vannes ouvertes sur une déferlante de douleur.
Pas de transition de lengourdissement total à une conscience aigue de ses blessures. Il sentend gémir, serre les dents, crispe les poings, et tente de modérer son souffle. Après une courte série de cycles respiratoires qui lui arrachent chacun une grimace, il finit par dégager ses yeux de leur colle. Il est temps de constater visuellement létendue des dégâts. Mais ce temps est très court ; il rompt l'effort dans un halètement douloureux. Il a tout juste entraperçu de généreuses fleurs purpurines couvrant la surface dune main ou plutôt dun pied dhomme au niveau de ses dernières côtes gauches ; et à peine plus bas, à trois pouces de son nombril, des pièces de charpie imbibées décarlate.
Il referme les mirettes sur un sourire crispé. Sil est torse nu, cest quon a sans ménagement déchiré son vêtement du col au bas. Cette chemise néchappera donc pas à son destin celle-là même quil avait pris soin de recoudre la veille après la démonstration dAstana.
Astana. Il rouvre des yeux attentifs sous un front froissé. Quelque part sous la grande toile de tente, entre les soignants qui circulent, ceux comme lui allongés à même le sol, et dans les relents de sang et de sueur, quelquune gueule dun accent inimitable. Dautres semblent tenter lapaisement du sujet vociférant, sans succès.
Gerfaut expire silencieusement, renonçant à garder les yeux ouverts. Son flanc gauche entier irradie dune sensation chaude, sourde, martelée, qui l'assaille par vagues de souffle. Il attend.
Gerfaut Linconscience guettait derrière lattente. Cest dabord par réflexe animal quil sest vivement dégagé du contact, un peu comme en somnolence, on se débarrasse dune mouche sans ouvrir les yeux. Et comme on ne souhaite pas quelle revienne, on sen protège derrière le couvert de son bras.
Quelques minutes.
Gerfaut finit par tomber mollement le rempart, après sêtre recomposé un peu desprit derrière.
Vous ne dormez pas.
Des mots empotés, ou en potée : ça manque de clair dans sa bouche. Ses yeux en revanche recouvrent peu à peu de leur flou, et leffort de rassemblement mental est lisible sur son visage. Celui de de ne pas céder à la douleur lest tout autant, lorsquil entreprend de se dresser sur les coudes. Le projet avorte cependant sur le cuisant rappel de ses blessures aux côtes et à labdomen. Il serre alors les dents, et laisse échapper :
Partez.
Gerfaut Les bras le long du corps, après avoir sommairement rabattu ses deux pans de chemise déchirés sur la peau, il na plus bougé dun iota. Sinon pour soutenir du regard le jeu de lautre. A l'issue de quoi, prenant la peine darticuler, et bien planté dans ses mirettes :
Partez.
Gerfaut Cest la main poisseuse de son propre sang séché que Gerfaut couvre lécart restant. Est-ce parce que le sens du haut et du bas ainsi que celui de ne pas épancher de liquide est un peu faussé lorsquon est allongé, que la douleur handicape son mouvement, ou que le geste est de mauvaise volonté ? ; il cueille lentement son verre.
Merci.
Il a cependant posé la timbale sur le côté sans y boire. Son regard sest lui tourné vers le plafond de toile. On devine la pensée faire son chemin, et la souffrance aussi, qui remonte occasionnellement de son ventre pour paraître sur ses traits soudain crispés. Hors le souffle, il demeure taiseux. Et tout aussi silencieusement entame-t-il une nouvelle manuvre en vue de se redresser.
Par gestes lents mais continus, il bascule sur son flanc droit lintact , tournant ainsi le dos à la blondeur. Puis, repliant les jambes et sappuyant sur les bras, il parvient, à grand renfort de respiration retenue et sans excessivement solliciter sa ceinture abdominale, par atteindre une position assise de tailleur. On devine ensuite quil entrouvre le pan gauche de sa chemise pour examiner ses blessures. Un sifflement séchappe dentre ses lèvres lorsquil écarte le bouchon de charpie quon lui avait apposé, sans doute pour pour étancher lécoulement de sang. Il le remet rapidement en place, et moins rapidement, récupère de son opération.
Enfin, il sempare du verre deau pour en vider le premier tiers. Puis, sans se tourner par-dessus son épaule, il sadresse à celle qui est demeurée.
Rien ne vous oblige à rester plutôt que de vous reposer comme vous le devriez.