Elias_romanov
Quelques jours plus tôt, il y avait eu un serment entre lui et Eliance, dans un champ, avec leurs compagnons d'armes en guise de témoins. Au fond de lui, le russe, alors qu'il prononçait tout cela, avait eu la certitude que ce n'était qu'un faux-semblant, une parodie de ce qu'il souhaitait. Pourtant, il ne voulait pas s'engager dans le formalisme de l'Aristotélisme. Il était dans cette incertitude, cette envie de simplicité qu'il ne pouvait obtenir, cette envie de renouer avec ce qu'il avait longtemps mis de côté.
Bien entendu, il n'en avait jamais parlé franchement à la roussiblonde, tergiversant ou esquivant les questions délicates au sujet de la religion. Il ne se sentait pas d'affinités particulière avec ce qu'on lui servait dans les offices auxquels il avait assisté. Trop de paroles déclamées, de vérités imposées. Même au mariage de sa soeur, il n'avait été que d'un enthousiasme tiède, préférant considérer le bonheur de Cyrielle plutôt que la solennité de l'instant.
Ce soir-là, il était en taverne, les gens passaient, se levaient, s'asseyaient dans un ballet qui le laissait souvent indifférent. Homme avare de mots, Elias n'en accordait que peu aux étrangers, toujours avec réserve et précaution. Il n'y avait bien que lorsque ses compagnons mercenaires l'entrainaient à trop boire qu'il se laissait aller à dévoiler un humour pince-sans-rire, mais pour l'instant, il restait contemplatif des choses. Son regard fut attiré par un éclat clair, porté par l'une des convives. Il avait déjà remarqué ce pendentif, et en connaissait le sens, sans toutefois avoir jamais creusé la question.
Ce ne fut qu'après un instant intense de contemplation des reflets d'argent de la croix poissonnée qu'elle portait autour du cou qu'Elias releva ses yeux gris vers le visage de la jeune femme, auréolé d'une blondeur que n'auraient pas renié les anges.
Merde. Avec tout ça, elle devait croire qu'il matait son décolleté.
Elias_romanov
La réplique ne se fit pas attendre, alors qu'Elias venait d'être pris en flagrant délit d'indécence. Fort heureusement, ce n'était qu'un bijou qui était visé, cela éviterait les jugements à l'emporte-pièce sur ces hommes qui ne pensaient qu'à cela. Quoique...
Le jeune homme ne se démonta pas, soutenant le regard acier de la blonde face à lui.
Bien sur, elle est à la vôtre.
Les "r" d'Elias roulaient comme autant de barriques, bousculant les voyelles sans ménagement. Un accent du nord, vraisemblablement, surtout si on se fiait à la peau pâle du tailleur, que même le soleil du Sud ne parvenait pas à brunir. Dans le genre expatrié polaire, il se posait là également.
Finalement, il convint qu'il avait manqué de tenue (le comble pour un tailleur) :
Pardon, c'était impoli.
Difficile de lancer un bonhomme "Alors c'est comment d'être réformée ? Bien ou bien ?" Déjà parce que cela n'était pas son genre, et qu'ensuite, c'était un peu convenu.
Ce n'est pas si souvent que l'on en voit.
Il fallait admettre qu'il ne manipulait pas ce type de bijoux en temps normal. Il décida d'y aller sans ambages, mu par une impulsion de curiosité.
Je m'appelle Elias. Vous me pardonnez si je vous offre la prochaine ?
Elias_romanov
La blonde réformée ne lui en tint pas rigueur.
Il manqua répondre de cet humour affreusement pince-sans-rire qui le caractérisait qu'elle était peut-être à ses yeux, ou à ceux des autres, une bête bien curieuse, mais il ne tenait pas à la vexer, alors qu'elle l'invitait à sassoir à côté de lui.
Elias se leva donc, et fit signe au tavernier de resservir deux godets de ce que la blonde buvait. Le russe était assez grand, et à voir les doigts fins qui enserraient la timbale, il n'était pas habitué à travailler dans les champs. Sobrement vêtu, dans un flou entre l'habit bourgeois et celui d'artisan, il semblait avoir la vie aisée en ce moment.
Il prit place sur la chaise à côté d'Astana, avec une légère indolence due aux deux bières précédentes. Ce fut peut-être ce qui induit la question suivante :
Et votre chaise, qu'en pense-t-elle de tout cela ?
Sérieux, toujours sérieux était cet air sur le visage du jeune homme, comme si il n'en connaissait pas d'autre. Difficile de savoir si il se moquait d'elle ou non.
Elias_romanov
Astana ne trouverait effectivement rien en guise de bijou chez le russe. La seule chose qu'Elias avait pu porter au cou ornait désormais celui d'Eliance. Le médaillon familial s'était retrouvé collier de pseudo - fiançailles improvisé quelques semaines plus tôt, et parfois le russe se surprenait à le chercher inconsciemment sur sa poitrine.
Ainsi, on parlait de chaises et de mystères. Le russe lâcha d'un ton solennel :
C'est parce qu'elles manquent de conversation. J'ai déjà essayé.
L'histoire ne dit pas combien de bières il avait bu ce soir là. Une brève étincelle naquit dans l'acier des yeux d'Elias, alors qu'il adorait plus que tout ces instants à déclamer des choses sans queue ni tête. Mais revenons aux choses plus sérieuses, alors qu'Astana lâchait le mot qui fâchait. Elias retint le réflexe de vérifier que toutes les discussions ne s'arrêtaient pas pour que les regards convergent vers eux. Mais on ne s'intéressait pas à eux dans cette taverne aux relents alcoolisés.
Après tout, peut-être pouvait-on croire qu'ils en étaient à une étape préliminaire de tout autre chose, alors que le tavernier amenait ce que le russe avait commandé. Les piécettes passèrent de main en main, et la discussion put reprendre.
Je vous avoue que je suis curieux.
En même temps, c'était assez évident, alors qu'il avait longuement observé la croix portée par Astana.
Voudriez-vous bien... m'initier aux pénétrables mystères de la Réforme ?
Ce fut en le formulant à haute voix qu'il trouva tout ça un peu alambiqué comme formulation.
Bien entendu, je paye la bière.
Elias_romanov
Bien entendu, le double-sens malheureux des propos d'Elias fit rire la réformée. Quelque part, ce genre de réaction était plus agréable, et propice à la tenue d'une conversation détendue, même en abordant un sujet de ce genre. Habitué à ce genre de réaction, Elias ne conserva qu'un sourire un peu guindé le temps qu'elle se calme.
Astana évoqua un cousin à elle, visiblement peu enclin à l'hilarité et l'ébriété. Mais tout de même, cela interpella Elias sur un point tout à fait stratégique de ses occupations quotidiennes :
Oh... il ne faut pas boire d'alcool ?
Flûte, cela risquait d'être ennuyeux, et suspect. Toutefois, le fait qu'Astana savait parfaitement bien lever le coude face à lui allait à contrario de tout ça. Il faudrait aviser en fonction des réponses d'Astana, même si bon... renier une religion à cause de la non-consommation d'alcool était assez spécieux.
Elle l'invita alors à lui poser des questions. Elias décida de commencer par le début, tout simplement :
Et bien... comment on le devient ?
Elias_romanov
Pour le Romanov, un verre vide était seulement un verre attendant d'être rempli. Ainsi cela n'était pas triste, c'était juste l'attente d'une situation plus agréable. Astana posa son doigt sur sa poitrine, mais il ne s'en offusqua pas, tout comme il ne prit pas cela pour une tentative de séduction, la discussion qu'ils tenaient étant loin d'amener un climat romantique ou trouble.
Elle parla alors de ce qu'elle avait vécu, mais le tailleur fut circonspect.
Je ne sais pas... Cela m'a jamais fait cet effet.
Elias avait été éduqué, mais ZE révélation, il ne l'avait pas eu. Jamais il n'avait été transcendé par les lueurs tremblotantes des cierges se réverbérant sur les antiques statues. Aucun sermon n'avait pu lui faire entendre les échos du Très Haut. Les églises et chapelles n'étaient que des plafonds ornés cachant le ciel, ce qui lui avait toujours semblé étrange pour une foi leur promettant le Soleil. Parce qu'il était tailleur, il ne voyait sous les voiles et les tissus des officiants et témoins qu'hypocrisie et faux-semblants, soupçonnant ce que nombre de gens dissimulaient sous les broderies, les galons et ornements qu'il cousait.
Il disposait d'une foi raisonnable, ancrée en lui, mais dormante, attendant un déclic, peut-être. Il savait pourtant qu'il n'y avait pas de recette toute faite, tout comme il n'était pas certain de trouver ce qu'il cherchait dans la Réforme. Mais il pouvait arpenter ce chemin, en tout cas essayer.
Je connais... ce qu'ils disent dans les églises, dans les messes.
Il allait commencer à exposer ce qui lui passait par la tête, mais il changea brutalement de sujet, comme si tout cela était un peu erratique dans sa tête.
J'ai assisté au mariage de ma soeur, une cathédrale à Bordeaux, des nobles et des couronnes à ne plus en finir. Et... c'était... creux. Vous savez... Je couds des tenues, des robes pour des nobles, et je pense que l'apparat est là pour cacher quelque chose... Pas toujours, mais souvent.
Des masques que l'on met.
Tout cela était très décousu, et le russe plongea le nez dans son godet pour tenter de rassembler ses idées.
C'est idiot ce que je dis.
Elias_romanov
Elias répondit, tout en faisant venir d'autres bières, ce qui pouvait s'assimiler à une provocation. Pourtant, le ton dont il usait restait courtois.
Peut-être portent-ils simplement des masques différents.
Le russe n'était pas adepte de la dichotomie. Rien n'était jamais ni tout blanc, ni tout noir, même pour quelqu'un qui manipulait les tissus. Toutefois, il était d'accord sur le fond du discours d'Astana.
La Réforme se construit-elle uniquement en opposition avec ... l'aristotélisme ?
C'était ce qu'il retenait de la conversation, pour l'instant.
L'opposition.
Astana lui demanda alors si c'était parce qu'il discutait avec elle qu'il s'était arrêté en plein milieu de sa réflexion. Après un bref instant de scepticisme, clairement visible, il secoua la tête, en signe de dénégation.
Non, ça n'a rien à voir avec vous.
C'est juste que je n'aime pas dire du mal des gens.
Formulé comme ça, cela sonnait bizarrement. Pourtant, le tailleur était sujet à quelques défauts, comme l'orgueil et la colère, et s'en préservait par une rectitude des actes et paroles, qui fonctionnait assez bien, le plus souvent. Il n'était pas parfait non plus.
Elias_romanov
La remarque d'Elias jeta comme un froid chez la déjà-frigide-nordique. Si la remarque se voulut neutre, le tailleur en perçut bien quelques non-dits. Elle le reprit sur sa conception de la Réforme, il lui faudrait faire attention aux mots par la suite.
Mais après tout, il débutait.
Et avant qu'il ne formule quoi que ce soit, Astana enchaina, l'éclairant sur les quelques concepts phare liés à la croix poissonnée. Il lui faudrait néanmoins réfléchir à tout ça, sortir des chemins délimités par l'aristotélisme romain.
Ainsi il y eut un léger silence, mais pas de ceux gênés qu'il pouvait y avoir entre deux personnes, alors qu'il repensait à ce qu'Astana venait de dire. La bière aidait étrangement à faire couler tout cela dans l'esprit d'Elias, ou du moins cela lui en donnait l'impression.
Cela doit être déroutant, au départ, de ne plus avoir de... professeur.
L'idée d'assister à un prêche lui parut pertinente, mais il ne put s'empêcher de taquiner la jeune femme.
Et vous mettez des affichettes pour les annoncer, ces prêches ?
Pour sa part, il ignorait ou les réformés pratiquaient leur foi.