Astana
- [Courant octobre '64]
Pleine sorgue.
Sørensen lorgne une porte, une bougie à hauteur de museau, l'esgourde à l'affût d'un bruit qui pouvant trahir une présence éveillée derrière. Fort heureusement, l'endroit ne semble pas fréquenté par des pochards habitués aux escapades nocturnes, auquel cas il lui aurait été difficile de rester plantée là, comme ça, sans tendre la perche à quelques réflexions foireuses à un moment donné. « Ho Blondie ! T'emmerde don' pas, la mienne de porte elle est ouverte ! ». Ha. Ha. Ha. Fou ce qu'on se marre. Manque de pot, Blondeur est trop préoccupée pour se gausser dans la pénombre du fait de ses propres divagations.
Inspire. Expire.
Elle pose une main sur la poignée et souffle sur la bougie en même temps qu'elle entrouvre la porte.
Pas un grincement pour annoncer sa présence jusqu'ici. Elle se glisse dans lentrebâillement, et une fois à l'intérieur, fait un pas puis deux en direction du centre de la pièce ; où elle demeure le temps que ses yeux s'accoutument à la pénombre. Ainsi, elle devine bientôt le contour des meubles, les coins vides et leurs semblables. Des possessions éparpillées ici et là, peut-être un sac pas encore défait, qui n'éveillent pourtant pas sa curiosité. Astana n'est pas là pour ça. En retrait du reste se trouve une forme allongée, planquée sous les draps. En écoutant attentivement, elle peut saisir sa respiration. Tranquille, posée. Sans anicroches. On dort du sommeil des Justes ici.
Qu'est-ce que tu fous, Sørensen ? Tu peux pas attendre que le jour se pointe, comme tout le monde ?
Par habitude, comme chaque fois qu'elle observe quelque chose en même temps que les pensées galopent, la tête est penchée d'un côté. Elle redessine les traits endormis de mémoire, cherche des réponses dans le noir. Dans sa poche se trouvent une lame et des instructions, qui auraient pu être la raison première de sa venue ici si la danoise n'était pas si têtue. Tellement déboussolée qu'elle se retrouvait maintenant plantée au pied du lit, indécise.
On le sait que tu peux être gauche, Sa Blondeur.
Que t'as le carafon fêlé et que parfois, il se passe des choses pas bien jolies là-haut.
Mais quand même.
Alors quoi, t'as les jambes qui flanchent ?
T'as raison, prends une chaise. Assieds-toi.
D'ici l'aube, t'auras peut-être trouvé la résignation suffisante pour lâcher ce que t'es venue donner et de filer à l'anglaise. Comme d'habitude.
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