Jhoannes
Premier contrat : La bande au gros Jacquot
Sous le ciel de pierre vivent et se croisent les bons et les sages, les fous, les brutes, les truands et les redresseurs de torts, les pénitents et les insouciants. Foutaises. Sous le ciel de pierre nous sommes tous gris.
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On se tenait tous les trois à lentrée du domaine de Boisseuil, lorsque le poméranien eut une question lumineuse.
- « Bon. On a un plan d'attaque ? »
Nous étions partis à l'aube pour s'enfiler deux heures de marche dans la neige, mais ce n'est qu'une fois là, plantés face à deux étages de ruines occupées par des hommes prêts à en découdre, qu'on a enfin songé à s'organiser. Il faut dire que notre compagnie en était à ses balbutiements, nous n'étions pas encore les Quatre ni les Trois, d'ailleurs, car nous n'avions pas posé de nom sur notre association. Quelques jours plus tôt, la danoise avait été séduite par les manières du poméranien dans une taverne limougeaude. Limoges est devenue une ville-refuge du royaume, où s'entassent bon nombre de ferrailleurs, une tripotée de nobles et de gens de passage usés par le désert qu'il faut traverser lorsqu'on se balade aux alentours. Les temps sont durs pour celles et ceux en quête de chaleur humaine, et dans la mesure inverse, Limoges, elle, est étouffante.
L'avant-veille de notre expédition, la danoise m'a fait lire la proposition du poméranien. J'ignore à quel moment ils ont conclu leur affaire ; les mercenaires parlent un langage qui m'est étranger, bien que je me doute qu'au travers des récits d'armes et des blagues de cul se cachent des codes bien connus d'eux. N'empêche qu'elle a du flair, la perche scandinave, pour rameuter les bons candidats quand elle a une idée en tête.
Le bailli avait fait mettre à prix la tête de Jacquot, gros paysan par le poids et l'audace, et pilleur de bétail. Je suppose qu'il a volé beaucoup de vaches pour se mettre le Conseil à dos comme ça. Jacquot avait flairé la rumeur d'une chasse à l'homme et s'était retranché, avec ses quatre frères, à Boisseuil, une zone au sud-est de la capitale. Le bailli offrait une récompense de six livres parisiennes pour la capture, que le poméranien proposait de se partager entre nous trois, à condition bien sûr qu'on mette la main sur le gros Jacquot et ses frérots, morts ou vifs. J'ai replié la lettre et demandé à la danoise s'il n'y avait pas anguille sous roche. Moi, je n'ai jamais tenu une lame de ma vie.
- « Vous voulez que je vienne parce que j'ai une bonne tête d'appât, c'est ça ? »
- « Vous dites n'importe quoi. » Elle avait un regard sincère, mais je n'avais pas tort.
Retour à Boisseuil. J'avais froid aux pieds pendant que les deux lames échangeaient leurs points de vue sur l'invasion, mêlant leurs accents nordiques dans une bouillie de phrases qui me passait au-dessus de la tête. J'observais les experts. Le poméranien s'appelle Siegfried : une bête de guerre, un colosse blond mesdames, balafré et menton dur, carapacé de noir du crâne au trouffion. La danoise ah, danoise on la nomme Astana : haute, réfrigérée, jugeant que le port seul de sa broigne la protégera des coups d'une famille de péquenauds. Le troisième pion de l'aventure, vous l'aurez compris, c'est ma pomme, l'archiviste. Pour éviter de trop me faire peler, j'ai revêtu un pourpoint matelassé et une paire de chaînes de jacques que Siegfried, bon prince, m'a dépannés pour la défense. Pour l'attaque, Astana m'a fait le don d'une fronde.
J'ai décidé de profiter du temps de palabre pour apprivoiser ma nouvelle arme. Mon premier caillou volant a décrit un arc de cercle au-dessus des feuillages pour atterrir par-delà des débris de mur. Notant qu'aucun des deux conjurés n'avait remarqué mon exploit, je me suis éloigné pour récupérer ma munition. J'aime pas le gâchis. Arpentant la pièce en ruines, ouverte sur le ciel un ancien vestibule je crois, j'ai cherché la trace de l'impact dans la neige, et puis j'ai entendu une sorte de rire, et un choc sur ma nuque a projeté ma tête contre une colonne en grès. Je fais confiance à ma stupidité pour être un appât de choix.
Lorsque j'ai rouvert les yeux, j'avais l'estomac en pelote et je voyais trouble. Quatre personnes se battaient dans la pièce. Siegfried a embroché le bras d'un type avec le manche de sa hache. Le paysan a hurlé, je crois qu'il ne s'attendait pas à tomber sur des durs à cuire après être tombé sur moi. Surprise. Échauffé, le poméranien s'est mis en tête de jouer au bélier fou, et a fracassé sa tête contre la sienne. Le heaume du mercenaire a gagné, parce que j'ai plus entendu le gars crier ensuite. Astana a décidé de se charger de mon agresseur personnel, mais je ne l'ai vue gigoter que du coin de l'il. Je reprenais encore mes esprits. Je crois qu'elle a envoyé la sauce, parce que ce frère-là de Jacquot a terminé avec des trous dans son grand sourire rouge.
Des ordres ont été lancés : il était temps de se bouger. Jacquot et ses lurons avaient découvert notre comité d'accueil et on les entendait descendre de leur étage pour venir nous rendre les honneurs. Astana et Siegfried se sont précipités à leur rencontre. J'ai enjambé les corps inconscients en suivant leurs pas le long d'une galerie en décomposition, mais j'étais à la traîne. J'ai aperçu des bribes de bagarres au loin, et j'ai ressenti l'envie soudaine de tous les abandonner là, danoise, poméranien et le reste de la bande à Jacquot, pour faire demi-tour seul jusqu'à Limoges. Démerdez-vous. Quand la mort chante au bout du tunnel, moi, je suis du genre à vouloir rebrousser chemin. Mais pas eux. J'ignore pourquoi j'ai continué à avancer peut-être parce que j'ai une histoire à raconter, de celle que l'on ne peut pas se contenter d'observer sans y tremper les mains. Les mains dans un gros baquet rempli à ras bord de fer puant.
Le gros Jacquot m'avait vu venir et a mis fin à ma course d'un pain dans la tronche. Je suis tombé, et j'ai enroulé ma fronde autour de sa cheville pour qu'il se rétame à mes côtés. Le gros Jacquot ne porte pas son surnom pour rien, et comme je ne suis pas taillé comme notre ami Siegfried, j'ai pas visé l'honneur mais ses couilles, avec mon coude en métal. Voilà pour Jacquot. Astana, elle, a percé l'épaule de plus jeune des frères de la pointe de sa lame, comme on empale un agneau, avant de l'assommer pour passer à autre chose. Quand j'ai relevé la tête, Siegfried venait d'envoyer le dernier de la fratrie dans les choux, et vu comme le bonhomme se tenait encore l'entrejambe à deux mains lorsqu'on lui a passé les entraves ensuite, je pense qu'il a opté pour la même technique que moi.
Et puis on a soufflé un peu. Pas trop longtemps, histoire de leur passer les fers avant que les cinq voleurs ne se mettent en tête de rivaliser de nouveau avec notre troupe. Je soupçonne Siegfried de s'être pris un mauvais coup dans le dos, mais il n'a pas moufté à ce sujet. Il était en sueur, mais il avait l'il exalté. La danoise, fidèle à son sens pratique, a exploré la bâtisse pour nous trouver de la corde, et on s'est tous dit qu'on se ferait une liste de courses, à l'avenir, avant une mission. Même si c'est qu'à Boisseuil, pour des voleurs et des paysans.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Sous le ciel de pierre vivent et se croisent les bons et les sages, les fous, les brutes, les truands et les redresseurs de torts, les pénitents et les insouciants. Foutaises. Sous le ciel de pierre nous sommes tous gris.
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On se tenait tous les trois à lentrée du domaine de Boisseuil, lorsque le poméranien eut une question lumineuse.
- « Bon. On a un plan d'attaque ? »
Nous étions partis à l'aube pour s'enfiler deux heures de marche dans la neige, mais ce n'est qu'une fois là, plantés face à deux étages de ruines occupées par des hommes prêts à en découdre, qu'on a enfin songé à s'organiser. Il faut dire que notre compagnie en était à ses balbutiements, nous n'étions pas encore les Quatre ni les Trois, d'ailleurs, car nous n'avions pas posé de nom sur notre association. Quelques jours plus tôt, la danoise avait été séduite par les manières du poméranien dans une taverne limougeaude. Limoges est devenue une ville-refuge du royaume, où s'entassent bon nombre de ferrailleurs, une tripotée de nobles et de gens de passage usés par le désert qu'il faut traverser lorsqu'on se balade aux alentours. Les temps sont durs pour celles et ceux en quête de chaleur humaine, et dans la mesure inverse, Limoges, elle, est étouffante.
L'avant-veille de notre expédition, la danoise m'a fait lire la proposition du poméranien. J'ignore à quel moment ils ont conclu leur affaire ; les mercenaires parlent un langage qui m'est étranger, bien que je me doute qu'au travers des récits d'armes et des blagues de cul se cachent des codes bien connus d'eux. N'empêche qu'elle a du flair, la perche scandinave, pour rameuter les bons candidats quand elle a une idée en tête.
Le bailli avait fait mettre à prix la tête de Jacquot, gros paysan par le poids et l'audace, et pilleur de bétail. Je suppose qu'il a volé beaucoup de vaches pour se mettre le Conseil à dos comme ça. Jacquot avait flairé la rumeur d'une chasse à l'homme et s'était retranché, avec ses quatre frères, à Boisseuil, une zone au sud-est de la capitale. Le bailli offrait une récompense de six livres parisiennes pour la capture, que le poméranien proposait de se partager entre nous trois, à condition bien sûr qu'on mette la main sur le gros Jacquot et ses frérots, morts ou vifs. J'ai replié la lettre et demandé à la danoise s'il n'y avait pas anguille sous roche. Moi, je n'ai jamais tenu une lame de ma vie.
- « Vous voulez que je vienne parce que j'ai une bonne tête d'appât, c'est ça ? »
- « Vous dites n'importe quoi. » Elle avait un regard sincère, mais je n'avais pas tort.
Retour à Boisseuil. J'avais froid aux pieds pendant que les deux lames échangeaient leurs points de vue sur l'invasion, mêlant leurs accents nordiques dans une bouillie de phrases qui me passait au-dessus de la tête. J'observais les experts. Le poméranien s'appelle Siegfried : une bête de guerre, un colosse blond mesdames, balafré et menton dur, carapacé de noir du crâne au trouffion. La danoise ah, danoise on la nomme Astana : haute, réfrigérée, jugeant que le port seul de sa broigne la protégera des coups d'une famille de péquenauds. Le troisième pion de l'aventure, vous l'aurez compris, c'est ma pomme, l'archiviste. Pour éviter de trop me faire peler, j'ai revêtu un pourpoint matelassé et une paire de chaînes de jacques que Siegfried, bon prince, m'a dépannés pour la défense. Pour l'attaque, Astana m'a fait le don d'une fronde.
J'ai décidé de profiter du temps de palabre pour apprivoiser ma nouvelle arme. Mon premier caillou volant a décrit un arc de cercle au-dessus des feuillages pour atterrir par-delà des débris de mur. Notant qu'aucun des deux conjurés n'avait remarqué mon exploit, je me suis éloigné pour récupérer ma munition. J'aime pas le gâchis. Arpentant la pièce en ruines, ouverte sur le ciel un ancien vestibule je crois, j'ai cherché la trace de l'impact dans la neige, et puis j'ai entendu une sorte de rire, et un choc sur ma nuque a projeté ma tête contre une colonne en grès. Je fais confiance à ma stupidité pour être un appât de choix.
Lorsque j'ai rouvert les yeux, j'avais l'estomac en pelote et je voyais trouble. Quatre personnes se battaient dans la pièce. Siegfried a embroché le bras d'un type avec le manche de sa hache. Le paysan a hurlé, je crois qu'il ne s'attendait pas à tomber sur des durs à cuire après être tombé sur moi. Surprise. Échauffé, le poméranien s'est mis en tête de jouer au bélier fou, et a fracassé sa tête contre la sienne. Le heaume du mercenaire a gagné, parce que j'ai plus entendu le gars crier ensuite. Astana a décidé de se charger de mon agresseur personnel, mais je ne l'ai vue gigoter que du coin de l'il. Je reprenais encore mes esprits. Je crois qu'elle a envoyé la sauce, parce que ce frère-là de Jacquot a terminé avec des trous dans son grand sourire rouge.
Des ordres ont été lancés : il était temps de se bouger. Jacquot et ses lurons avaient découvert notre comité d'accueil et on les entendait descendre de leur étage pour venir nous rendre les honneurs. Astana et Siegfried se sont précipités à leur rencontre. J'ai enjambé les corps inconscients en suivant leurs pas le long d'une galerie en décomposition, mais j'étais à la traîne. J'ai aperçu des bribes de bagarres au loin, et j'ai ressenti l'envie soudaine de tous les abandonner là, danoise, poméranien et le reste de la bande à Jacquot, pour faire demi-tour seul jusqu'à Limoges. Démerdez-vous. Quand la mort chante au bout du tunnel, moi, je suis du genre à vouloir rebrousser chemin. Mais pas eux. J'ignore pourquoi j'ai continué à avancer peut-être parce que j'ai une histoire à raconter, de celle que l'on ne peut pas se contenter d'observer sans y tremper les mains. Les mains dans un gros baquet rempli à ras bord de fer puant.
Le gros Jacquot m'avait vu venir et a mis fin à ma course d'un pain dans la tronche. Je suis tombé, et j'ai enroulé ma fronde autour de sa cheville pour qu'il se rétame à mes côtés. Le gros Jacquot ne porte pas son surnom pour rien, et comme je ne suis pas taillé comme notre ami Siegfried, j'ai pas visé l'honneur mais ses couilles, avec mon coude en métal. Voilà pour Jacquot. Astana, elle, a percé l'épaule de plus jeune des frères de la pointe de sa lame, comme on empale un agneau, avant de l'assommer pour passer à autre chose. Quand j'ai relevé la tête, Siegfried venait d'envoyer le dernier de la fratrie dans les choux, et vu comme le bonhomme se tenait encore l'entrejambe à deux mains lorsqu'on lui a passé les entraves ensuite, je pense qu'il a opté pour la même technique que moi.
Et puis on a soufflé un peu. Pas trop longtemps, histoire de leur passer les fers avant que les cinq voleurs ne se mettent en tête de rivaliser de nouveau avec notre troupe. Je soupçonne Siegfried de s'être pris un mauvais coup dans le dos, mais il n'a pas moufté à ce sujet. Il était en sueur, mais il avait l'il exalté. La danoise, fidèle à son sens pratique, a exploré la bâtisse pour nous trouver de la corde, et on s'est tous dit qu'on se ferait une liste de courses, à l'avenir, avant une mission. Même si c'est qu'à Boisseuil, pour des voleurs et des paysans.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.