Astana
~ Rouen ~
Été 1468
Été 1468
Vous connaissez les foirades ?
- Elles peuvent arriver à tout le monde.
Débarquée de frais en territoire français après deux piges d'absence, Astana n'avait pas tenu plus de trois jours avant d'aller rencontrer le bailli du coin en quête d'une prime pour se décrasser après un séjour en mer toujours trop long à son goût. Ainsi, le jeune bailli, qui avait la peau encore marquée par des séquelles d'une adolescence dont il ne semblait pas tout à fait sorti, avait fouillé dans ses petits papelards jusqu'à tendre l'avis à la danoise. Un trimardeur à rapatrier fissa dans la sécurité - relative - des geôles de Rouen. Soit. La raison importait peu. Elle était rentrée à l'auberge dans laquelle elle créchait, avait troqué sa brigandine de cuir contre un équipement moins tape-à-lil, embrassé sa fille sur le sommet de son crâne trop blond, glissé quelques instructions à son homme de main et avait pris la porte. Elle irait seule. Parce que j'ai besoin d'air.
La grande tige nordique avait fini par loger son oiseau dans un tripot du port. L'été était frais, pour sûr, mais les effluves mélangés de poiscaille, de bière frelatée et d'épanchements divers et variés de la clientèle rendaient les abords du rade relativement lourds à la respiration. Alors, Sørensen avait posé ses miches sur un rebord de muret, prenant le temps de sortir sa pipe, d'en bourrer le foyer avec quelques miettes de chanvre et d'embraser le tout, s'entourant le minois d'un petit nuage de gris. Et avant que le soleil ne soit tout à fait descendu, elle avait poussé la porte du Satyre mystérieux. Tu parles d'un putain de présage.
Une heure et des poussières plus tard. Peut-être deux. Atmosphère enfumée et bruyante. Le boui-boui n'a pas désempli, au contraire, et c'est attablée avec sa cible et deux autres zigs que l'on retrouve la blonde. Entre eux, un tas d'écus et de cartes. T'es en train de te faire plumer, Sa Blondeur. T'inquiètes, je récupèrerai ma mise lorsque l'horizon sera plus clair et moins dangereux. Trop de monde ici. Il abat ses cartes et remporte encore une fois la partie, sous les protestations de leurs voisins de godets.
- « C'pas possible d'avoir un cul pareil ! »
- « Ouais. T'es cocu Petrus ? »
- « C'ça ou tu triches ! »
- « Allons, allons. Soyez pas mauvais les gars. »
- « Écoutez la d'moiselle bande d'pouilleux. Pas b'soin de tricher face aux cons ! Hinhin. »
Petrus étire un sourire plein de trous et de dents tordues en raflant son magot. Bien sûr que l'enfoiré a des cartes dans sa manche. C'est tellement flagrant que l'on pourrait considérer comme miraculeux qu'il ne se soit pas déjà fait refaire le portrait par les habitués. Quoique vu les dents manquantes... Il éructe bruyamment et se lève en se tenant la ceinture. Les châsses grises suivent le mouvement jusqu'à s'arrêter sur la lourde en arrière-plan.
- « R'distribuez pendant qu'j'vais m'la dégourdir té. »
Tu vas fuir à l'angloyse, Petrus, c'est ça ?
Plus il pensera être en contrôle de la situation, mieux le vieux Petrus se fera enfumer.
- « Magne-toi j'ai encore espoir de me refaire. »
Il s'éloigne dans un rire gras et louvoie entre les soiffards pour se frayer un chemin. Encore une trentaine de secondes, et la ferrailleuse prendra congé également pour aller, disons, remettre à niveau son godet. Et advienne que pourra.
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