Non, jeune demoiselle. L'exercice est fini pour aujourd'hui, tu feras mieux demain.
Frustration. Eden n'aime pas échouer. Sans doute est-ce lié au traumatisme de sa naissance. L'idée inconsciente et pourtant tenace qu'elle avait échoué à se faire aimer de sa mère. La peur inconsciente refait donc toujours surface quand elle ne parvient pas à réaliser quelque chose aussi bien qu'elle l'aurait souhaité. Les sourcils se froncent, et gamine lutte un peu contre ses émotions lointaines et pourtant violentes, augmentée par la frustration bonus de n'obtenir de réponse à sa question pourtant essentielles. Sécurité, confiance, curiosité - trois piliers du caractère édenéen - se prennent donc une petite brise dans la face.
Fort heureusement le sourire de l'Oisal, la reprise de la marche et la devinette viennent effacer rapidement les doutes enfantins. D'autant que le sourire est la leçon du jour. Bien écouter, ça c'est facile, elle est plus que capable d'y arriver. Surtout quand c'est Rouge qui parle. Brunette est captivée. Elle est toujours captivée par les propos colorés. Les mots résonnent dans la tête enfantine avec une puissance décuplé par l'admiration respectueuse et l'envie de bien faire. Et à bien y réfléchir, elle se remémore qu'elle n'a jamais vu Rouge triste. La colorée, dans tous les souvenirs qu'elle a d'elle, a toujours le sourire, et paraît aussi vive que créative. Sourire. Là, tout de suite, cela semble paraître assez simple. Un bout d'explication scientifique qui amène les doigts de l'oiseau sur ses joues tire à la fillette un sourire timide mais sincère. Cette femme, en plus d'être charismatique et drôle était savante. Voilà ce qui traversait les pensées edenéennes.
Ecouter, et regarder. Rien de plus simple ! Toute son attention est toujours centrée sur cette demoiselle pétillante qui se balance devant elle, de droite à gauche et prend un sourire qui lui paraît tellement triste qu'elle en a la chair de poule. Comment peut-elle sourire tristement ? C'est incroyable ! elle écoute malgré tout les paroles, observe l'évolution du visage souriant en parallèle de l'histoire que tisse la chanteuse sous ses yeux. Fillette n'applaudit pas, mais reste béate d'admiration quelques secondes, tentant d'enregistrer tout ce qu'elle peut, et s'essayant plusieurs secondes durant à faire varier la forme de son sourire... Mais rien à faire, le sourire reste un sourire. Elle, elle a du mal à le faire triste - sur commande du moins.
L'apprentie va prendre place là où se trouvait son professeur talentueux quelques instants plus tôt. Les images défilent dans sa tête à la recherche d'un souvenir qui permettrait d'exprimer plusieurs émotions différentes en même temps. Finalement c'est la douceur et la présence précieuse de Clémence qui s'affiche dans sa petite tête, et vienne lui tirer un sourire sincère. Un véritable sourire d'amour profond et véritable. Un sourire serein et confiant, parce que ces deux là, elles s'aiment. Gamine n'en doute pas une seconde. Elle entonne alors, sourire lumineux, sourire radieux, sourire heureux, sourire d'amoureux... :
Elle arrive, toute belle
La préférée de mon père, celle
Qui ressemble le plus à une mère
Celle qui adoucit notre colère
Elle arrive toute belle
De ses nuits, la reine
On chante des ritournelles
Auprès d'elle je suis sereine
Puis reviennent en mémoire les départs, les absences, et le manque. Le sourire s'étiole... Moins franc, moins grand... Pourtant le sourire reste. C'est plus facile quand on comprend ce que l'on chante. Quand on ressent véritablement ce que l'on raconte. Le sourire reste pour tenter de redonner le sien à son père. Le sourire reste dans l'espoir de la revoir très vite. Le sourire reste dans la douceur mélancolique des jolis souvenirs vécus en quelques jours, comme à chacun de ses passages. Le chant se poursuit donc exprimant dans un sourire de regret qui n'est plus tellement souriant tous ses rêves enfantins de la seule femme présente régulièrement à ses côtés, mais jamais suffisamment longtemps à son goût.
Toute belle, elle repart
Rêve redevient cauchemar
Lumineuse, elle repart
En emportant tous nos espoirs
De nos tristes vies, la reine
Sans se retourner, repart
Son sang, dans mes veines
J'aurais aimé qu'il batte...
Gamine s'arrête ainsi, regardant son professeur, pas certaine d'avoir réussi. Pas bien sûre d'avoir bien choisi le souvenir, puisqu'il s'agit de L'amie de sa véritable mère. Oui mais des souvenirs avec Sadella, elle n'en a pas encore. Elle n'en a aucun... Avec Clémence, elle en a plein. Le regard interrogateur est ému, et légèrement anxieux... Que dirait son maître-chanteur ? Relèverait-elle l'absence de dernière rime ? Evoquerait-elle ce drôle de souvenirs qui pourtant était bien réel ? Serait-elle dubitative sur la tronche souriante qui avait fini par s'effacer doucement au fil de la chanson, malgré ses efforts ? Ou sur ces sourires plus grimaces qu'autres choses qu'elle avait tenté de garder pour autant...
Mais comment tu fais le sourire triste du début ?! On dirait presque... que tes lèvres sont contentes mais que ... tes yeux ! tes yeux sont triste ... ?!