Rouge_gorge
Il y a quelques jours de cela, sa Régulière avait tenté de percer ses remparts affables. La Rousse souhaitait se poser comme une pièce importante dans l'échiquier et Rouge ne pouvait pas lui en vouloir. La Borgne avait donc tenter la carte "confidence de famille" mais ce fut un échec. L'Oiseau se mura dans son éternel sourire sans plus de réponses. Pourtant, intérieurement, la faille fut plus conséquente que sur ses lèvres.
La Cendrée avait fuie sa famille il y avait maintenant plus de quinze ans: quelques mois après son agression tandis qu'elle ne pouvait plus cacher son ventre s'arrondissant. C'était un choix désespéré à l'époque, un secret rudement gardé aujourd'hui encore. Avec les épreuves que la vie lui offrit, Rouge ou plutôt Jeanne, de son vrai nom, n'avait jamais eu le désir ni le loisir de renouer contact. Sa Champagne natale lui était une terre maudite et après avoir enterré sa fille, elle s'était promise de ne plus y mettre les pieds.
Pourtant ce jour-là, accoudée au comptoir d'une énième taverne, elle observait son reflet dans son godet. Entre deux clignements d'yeux, elle eut l'impression d'y voir sa mère. Vrai qu'elle n'aurait pas pu la renier, celle-là. Un peu plus haute, un peu moins joufflue, c'était le portrait craché maternel. Sous le Chapal, les songes voguèrent, aidés par les flots d'alcool et les relents de nostalgie.
Jeanne se souvenait brièvement de son enfance, un peu comme d'une autre vie, en faite. Elle ne savait pas vraiment où était la limite de sa mémoire défaillante et celle de son imagination débordante. Elle avait un père, une mère et une fratrie dont elle était la cadette. Des brides de vie parasitèrent son esprit mais en trame de fond, il y avait toujours cette image. Les fragments d'une femme qui pleurait souvent dans les bras d'un époux alors distant. Michel était un bon père, un mari aimant et un honnête travailleur. Le genre d'homme que Jeanne voyait comme un héros, de ses yeux d'enfant, celui avec qui elle se marierait quand elle serait grande. Pourtant, quand les sanglots montaient aux yeux de sa mère, il fronçait les sourcils et maugréait dans sa moustache.
Jeanne ne savait pas pourquoi sa mère pleurait autant, surtout après la messe quand elle parlait avec le curé de leur village. Rouge se souvenait de tenir la large paume rêche de son paysan de père en attendant sur le parvis. Chaque dimanche, elle revoyait sa mère les rejoindre après de longues minutes, les joues rougies et les cils perlant. Avec le temps, Jeanne avait cessé de faire attention à ces crises de larmes. Pourtant, malgré son détachement, elle l'entendait se lamenter sur un manque.
C'est peut-être pour ça, d'ailleurs que Rouge fuit les pleurs comme la peste aujourd'hui.
Si l'Oiseau ne se demandait pas vraiment ce qu'il était advenu des siens, elle se demandait qui était cette personne que sa chère mère pleurait tant. Un amant de jeunesse? Un proche disparu? Pour en avoir le coeur net, il lui fallait mener l'enquête et aux grands maux, les grands remèdes, l'Oisal au Chapal usa de son esprit rusé et fertile ainsi que de ces contacts disséminés dans tout le royaume.
L'échafaudage du plan lui prit quelques jours et ressources supplémentaires mais bientôt, sur chaque panneau d'annonces locales de chaque comté et duché, on pouvait lire ceci:
Qu'il se fasse savoir à chacun que la dévouée champenoise Suzanne Lacourt, mariée Bertinchon a rejoint le Très-Haut ce mardi. Les obsèques auront lieu dans trois jours au cimetière de l'église de Givet. Famille et proches sont conviés.
Rouge serait en première loge de cette mascarade. Trainant à quelques pas d'une tombe fraichement creusée, fleurie et marquée au nom de sa mère...Peut-être encore vivante à cette heure-ci, d'ailleurs.
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Avatar par l'illustrateur Skälv. Oeuvre personnalisée et protégée. Merci de ne pas la réutiliser ou la copier.
La Cendrée avait fuie sa famille il y avait maintenant plus de quinze ans: quelques mois après son agression tandis qu'elle ne pouvait plus cacher son ventre s'arrondissant. C'était un choix désespéré à l'époque, un secret rudement gardé aujourd'hui encore. Avec les épreuves que la vie lui offrit, Rouge ou plutôt Jeanne, de son vrai nom, n'avait jamais eu le désir ni le loisir de renouer contact. Sa Champagne natale lui était une terre maudite et après avoir enterré sa fille, elle s'était promise de ne plus y mettre les pieds.
Pourtant ce jour-là, accoudée au comptoir d'une énième taverne, elle observait son reflet dans son godet. Entre deux clignements d'yeux, elle eut l'impression d'y voir sa mère. Vrai qu'elle n'aurait pas pu la renier, celle-là. Un peu plus haute, un peu moins joufflue, c'était le portrait craché maternel. Sous le Chapal, les songes voguèrent, aidés par les flots d'alcool et les relents de nostalgie.
Jeanne se souvenait brièvement de son enfance, un peu comme d'une autre vie, en faite. Elle ne savait pas vraiment où était la limite de sa mémoire défaillante et celle de son imagination débordante. Elle avait un père, une mère et une fratrie dont elle était la cadette. Des brides de vie parasitèrent son esprit mais en trame de fond, il y avait toujours cette image. Les fragments d'une femme qui pleurait souvent dans les bras d'un époux alors distant. Michel était un bon père, un mari aimant et un honnête travailleur. Le genre d'homme que Jeanne voyait comme un héros, de ses yeux d'enfant, celui avec qui elle se marierait quand elle serait grande. Pourtant, quand les sanglots montaient aux yeux de sa mère, il fronçait les sourcils et maugréait dans sa moustache.
Jeanne ne savait pas pourquoi sa mère pleurait autant, surtout après la messe quand elle parlait avec le curé de leur village. Rouge se souvenait de tenir la large paume rêche de son paysan de père en attendant sur le parvis. Chaque dimanche, elle revoyait sa mère les rejoindre après de longues minutes, les joues rougies et les cils perlant. Avec le temps, Jeanne avait cessé de faire attention à ces crises de larmes. Pourtant, malgré son détachement, elle l'entendait se lamenter sur un manque.
C'est peut-être pour ça, d'ailleurs que Rouge fuit les pleurs comme la peste aujourd'hui.
Si l'Oiseau ne se demandait pas vraiment ce qu'il était advenu des siens, elle se demandait qui était cette personne que sa chère mère pleurait tant. Un amant de jeunesse? Un proche disparu? Pour en avoir le coeur net, il lui fallait mener l'enquête et aux grands maux, les grands remèdes, l'Oisal au Chapal usa de son esprit rusé et fertile ainsi que de ces contacts disséminés dans tout le royaume.
L'échafaudage du plan lui prit quelques jours et ressources supplémentaires mais bientôt, sur chaque panneau d'annonces locales de chaque comté et duché, on pouvait lire ceci:
Qu'il se fasse savoir à chacun que la dévouée champenoise Suzanne Lacourt, mariée Bertinchon a rejoint le Très-Haut ce mardi. Les obsèques auront lieu dans trois jours au cimetière de l'église de Givet. Famille et proches sont conviés.
Rouge serait en première loge de cette mascarade. Trainant à quelques pas d'une tombe fraichement creusée, fleurie et marquée au nom de sa mère...Peut-être encore vivante à cette heure-ci, d'ailleurs.
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