Jo_anne
- Il est minuit, c'est l'heure du crime...
Une femme, un enfant dans les bras, un couteau à la main
....
Étalait du beurre sur du pain.
[Tours, 28 mars 1468]
L'aveugle est planqué dans un recoin sombre d'une ruelle tourangelle. Le visage planqué sous une capuche, sa fidèle compagne - gravée d'une brebis et d'un G, complétée par un A sur le fin pommeau - à ses côtés, elle attend patiemment ou presque une espèce d'oiseau chantant. Les yeux cernés, la lassitude se lit sur son visage, mélangé à une tristesse profonde et une colère latente ce qui lui procure une vraie bonne sale tronche ! Au fond, la bohémienne italienne n'a plus rien à perdre. Son coeur, brisé si souvent depuis vingt ans avait subi une brisure ultime que rien ne semblait pouvoir venir combler. Qu'importe alors les dangers dans lesquels elle pouvait se fourrer, ou les blessures physiques qu'elle pourrait subir. Rien, plus rien n'avait d'importance. Seule bénéficiaire de cet état d'esprit merdique dans lequel elle s'était plongée tête la première : sa colère. Lente, sourde, mais absolument pas muette. Une colère qui - une fois n'est pas coutume - avait besoin de s'exprimer ! Joanne avait besoin de cogner, de lui laisser libre court.
Son fils aîné, sa chair, son sang... Son imbécile coléreux et intolérant de fils... Mais Son Fils. A elle. Le sien. Le seul encore vivant. De ses quatre enfants il était le dernier survivant... Son fils aîné donc avait été blessé, battu, et torturé selon les dires par trois mercenaires, payé par son ex-femme. Aveugle était donc venue enquêtée discrètement à Tours, pour obtenir les noms des responsables. Lilye lui avait appris qu'ils étaient trois. George qu'il s'agissait de la bande à Edvald... Et enfin Marceline avait avancé qu'elle avait vu une femme haute en couleur suivre le petit groupe. Nouvelle enquête pour obtenir plus d'information sur cette fameuse femme haute en couleur. Elle fut brève cette enquête. La dite demoiselle ne passait guère inaperçue. Joanne attendit guère la fameuse à l'embouchure d'une ruelle qui menait à sa taverne, juste éloignée ce qu'il fallait pour que les cris ne portent pas jusque là. Pas assez éloigné pour que la coupable risque de ne pas passer par là. Minutieuse aveugle avait pris le temps de faire et refaire le trajet plusieurs fois, avait payé quelques mioches leur demandant de crier tandis qu'elle s'éloignait pour vérifier la porter de leur voix... Bref. Elle était prête. Ne restait plus que l'arrivée de la fameuse...
- J'vomis du noir j'ai faim d'couleur
Ma joie accroche au fond d'la poêle
J'respire le malhêtre des vapeurs
Qui au fond d'mon cerveau s'empalent !
La belle bleue
Elle en broie tellement du noir qu'elle le vomit. Sa noirceur intérieure en ressort même. Et de la couleur avec la cible annoncée, elle va en manger ! Rien que son nom est coloré... Rouge. Un pas léger se fait entendre. Silence règne en dehors quand colère s'empare du cur, pour l'accélérer laissant résonner ses cognements de l'intérieur puissamment. Patience est reine. Planquée dans un recoin, elle laisse la Rouge passée... S'éloigner d'elle d'un pas. De sa canne elle vient alors tapoter l'épaule passagère. Attendre d'entendre le léger bruissement des lippes indiquant qu'elle se serait retournée, et sortir de l'ombre pour laisser s'abattre une gifle contenant toute la rancur et la douleur d'une mère inquiète, d'une femme blessée, d'une aveugle mal barrée.
Si elle s'est entraînée plusieurs fois ces derniers temps, contre les Piques, ou avec son époux à combattre malgré sa cécité, elle reste lucide sur ses compétences et sur ses chances de s'en sortir indemne. Elle n'a rien à perdre, elle rêve seulement de se libérer d'une colère trop grande pour être contenu, d'une inquiétude débordante, d'un orgueil chahuté de trop. Alors elle fait face à la mercenaire, armant sa canne, prête à l'envoyer valser dans les côtes adverses. Un rictus sur les lèvres, quelques perles brillantes au bord des yeux, une capuche tombante dévoilant son visage aveugle, un appui bancale dévoilant l'origine de son boitillement. Pas besoin d'être un expert. L'aveugle veut seulement se battre, cogner, être frappée. Sentir, ressentir, souffrir physiquement qu'importe ! Elle veut revivre ce sursaut d'adrénaline, ce temps qui dysfonctionne entre accélérations et ralentissements, cette pleine conscience momentanée ... Elle en a besoin, plus que jamais.
Et canne de frapper... le vide... Et merde !