Rouge_gorge
Les pieds, on les néglige souvent. On les étrangle dans des bouts de cuir trop dur à s'en faire saigner les talons. On les affame quand ils sont déjà secs à en crevasser. On les râcle jusqu'à les déformer de callosités. Pourtant, le jour où ils faiblissent alors c'est notre équilibre entier qui vacille. On jure en se tordant les chevilles. On grimace à marcher sur nos talons ou on pleure à chanceler sur nos pointes juste pour se soulager de notre propre poids. Cependant, on remettra toujours en cause le confort de la chaussure avant de prendre le temps de l'assouplir. On critiquera toujours ce petit gravier dans la botte avant de regarder comment on traine les pieds. Et ce, parce qu'il faut toujours une excuse à notre comportement, un coupable à nos maux...
***
Pardonnez-moi.
Les mots sont à peine audible, couvert par le bruit du percemaille qui s'enfonce brutalement dans la serrure pour verrouiller l'huis de l'extérieur. Rouge n'a guère d'autre choix que ce dernier et avant qu'elle puisse faire volte-face, une main agrippe son épaule pour la tirer tandis qu'une semelle s'écrase dans le creux de son genou pour la mettre face contre seuil.
Ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions? Sur l'instant, la chapeautée se maudit. Un coup de pied lui coupe le souffle et la force à se recroqueviller. Le flacon de liqueur dans l'amplitude de son veston demeure intact au choc. Mais sur la défensive, la seule arme qui lui restait à portée de main est maintenant fichée dans la porte pour mieux retarder l'inévitable. Bon Dieu mais comment a-t-elle fait pour ne pas les voir plus tôt? Elle aurait détourné son chemin, tenté une embuscade. Elle aurait tout fait sauf les mener à sa porte.
Trainée dans la neige, la noiraude est brusquement dégagée du pas de la porte par un des trois hommes de main. Elle joue alors des jambes pour le déséquilibrer mais lorsqu'il tombe, un second se mêle à la lutte pour l'immobiliser. Les obsidiennes se braquent sur le troisième homme qui tente de retirer la dague du verrou. Du temps, c'est tout ce qu'il faut gagner pour qu'Alcimane réalise le danger et se mette à couvert.
Pitié, ne vous approchez pas des fenêtres, pense-t-elle.
Le pli des rideaux se froisse et l'Oiseau se débat dans la poudreuse pour attirer l'attention de nouveau sur elle.
Fils de chien! hurle-t-elle pour sonner l'alerte.
Pour unique réponse, elle encaisse un coup sur la pommette, bat des jambes pour repousser l'une des carrures sur elle. Une serre se dégage de l'emprise et les doigts rougis écrasent un mélange de neige et de gravier sur le visage de celui qui la maintient au sol.
Pour quiconque verrait cette scène, il y a cette silhouette bariolée au sol, se débattant comme une furie sous le poids d'un homme à la carrure grasse mais musclée. Un second de stature similaire double tant bien que mal l'effort du premier. Un troisième plus sec tire sur le manche du percemaille tout en donnant des coups dans la porte pour l'ouvrir. L'altercation résonne dans un quartier dépeuplé, les rares badauds ont pris la fuite, couards qu'ils sont.
La porte cède plus rapidement qu'espérée et avant que Rouge ne puisse réagir, la pointe d'une botte vint heurter sa tempe. Black-out.
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