Jhoannes Jour I.
- « Papa, pourquoi on a quitté Limoges ? »
Parce que c'est bourré d'gens qui pullulent. Et papa, les gens, ça le saoule vite. Partons plutôt sur la version officielle et pas fausse non plus.
- « Pour aller chercher un truc à Paris. »
- « C'est quoi ? »
- « Un truc pour ta mère. »
- « Mais quel truc ? »
- « C'est un secret. »
- « Pourquoi c'est à Paris ? »
- « Parce qu'on s'est rencontrés là-bas. »
- « Oh. »
Oui bah, on choisit pas, qu'est-ce que tu veux que j'te dise...
- « C'est joli ? »
- « De quoi ? Paris ? »
- « Oui. »
- « C'est
c'est une ville originale. J'y suis né tu sais. »
- « Dans Paris ? »
- « Ouais. Dans les Halles. C'est un quartier. Tu lâches pas ma main quand on s'ra là-bas hein ? »
- « Non. »
Dans tous les cas je vais te marteler le crâne avec cet ordre encore une bonne centaine de fois avant qu'on s'y pointe. Tu pensais que ta mère pouvait être relou parfois ? Haha
pauvre enfant.
- « On joue au loup et au pigeon !? »
- « Pas tout de suite, je termine d'écrire ma lettre. »
- « Rooooooo. »
- « Rooo, je finis ça d'abord. »
- « Je peux te peigner les cheveux en attendant ? »
- « Non. »
- « Pffff. C'est nul. »
Et ouais. Dur la vie.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour II.
- « C'est où ici ? »
- « Guéret. »
- « Gué
ret. Et hier ? »
- « Hier on était à Bourganeuf. On y est déjà passés en décembre dernier Hazel. À Guéret, et à Bourganeuf. »
- « Boh ! »
- « Boh si. »
- « Maman m'a dit que vous avez beaucoup voyagé. »
- « J'ai pas mal tourné en rond sur les routes, ouais. »
- « Jusqu'au Danemark ? »
- « Non, jamais aussi loin. »
- « Alors j'ai plus voyagé que toi ! »
- « Pour sûr. Arrête de brosser la crinière du cheval par contre, j'ai pas envie qu'il s'emballe. »
- « Mais on est même pas au trot ! »
- « Oui mais ça reste un cheval. J'pas confiance. C'est trop susceptible comme bête. »
- « Non lui il est gentil. »
- « Faut toujours rester méfiant. Et puis c'est quoi cette lubie de vouloir tout peigner ? »
- « J'aime bien démêler les nuds. »
- « Ah. En effet, ça s'tient. »
- « Vous avez vraiment fait la paix toi avec maman ? »
- « On en causera au retour. »
- « Mais oui ou non ? »
- « Au retour, Hazel. »
- « Desfois vous êtes bizarres. »
- « Et sinon, toi qui as vu de drôles de paysages, c'était bien le Danemark ? »
- « On vivait à Ribe. C'est plus grand que Limoges. Avec un grand port. »
- « Et ça te manque pas ? »
- « Pas trop
Mais ça fait drôle de se réveiller sans le bruit des mouettes, je trouve. »
- « J'imagine... »
- « Mais c'est pas grave si ça me manque un peu. Il faut que je voyage. »
- « Ah bon ? Et pourquoi ça ? »
- « Parce que les chevaliers ils voyagent tout le temps. Pour aller faire des guerres. »
- « Oh bor
tu veux devenir chevalière toi ? »
- « Quand je serai grande oui. »
- « Ah. »
- « Ça et quand je ferai pas des guerres, je ramasserai des cailloux, des feuilles et des champignons. »
- « C'est
d'accord. »
- « Mais faut pas avoir peur ! »
- « J'ai pas peur... »
- « Je te protégerai. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour III.
- « Papa regarde ! Regarde là dans le fossé ! C'est un renard ! »
- « C'était, un renard. »
- « Arrête-toi, je veux le voir. »
- « Hazel, c'est une carcasse... »
- « Je veux voir le renard. »
- « On est presque à Châteauroux... »
- « ... »
- « Bon... »
*SPLAF*
- « Allez, accroche-toi, sac à patates, on descend. »
*SPLAF*
- « Tu regardes mais tu touches pas hein. »
- « Oui oui... »
- « Il est pas mort de la veille en plus celui-là. »
- « Il est où tu crois maintenant ? »
- « Son âme tu veux dire ? Son âme de renard ? »
- « Oui. »
- « Je sais pas. Dans le noir. »
- « Dans le noir c'est où ? Moi je sais que si je suis gentille, j'irai dans un jardin avec des beaux champignons. »
- « Et si tu es méchante ? »
- « J'irai sur la montagne où on boit de l'eau brûlante qui fait éclater l'estomac. »
- « Laisse-moi deviner
t'as appris ça dans la Conduite ? »
- « Oui. »
- « Tu parles que réformé rime avec taré... »
- « De quoi ? »
- « Non rien. Hazel touche pas. »
- « Je touche pas c'est pour mieux voir. C'est où dans le noir alors ? »
- « J'en sais rien. Loin du soleil. »
- « C'est sur une montagne aussi ? »
- « Non. Je dis juste ça parce que dans le noir, j'ai l'impression que la vie ralentit. »
- « ... »
- « C'est comme
comme quand on ramène des légumes du marché, tu vois ? Si on les laisse à la lumière, ils pourrissent plus vite. Alors on les laisse à l'ombre, pour les garder plus longtemps. »
- « Je comprends pas trop. »
- « C'est pas grave, c'est une idée foireuse. »
- « Non dis. »
- « Je pense que ce que la lumière frappe vit
vit plus, d'une certaine manière. »
- « Et dans l'ombre moins ? »
- « C'est ça. En gros. »
- « Et dans le tout noir ? »
- « Dans le tout noir, plus de vie. »
- « Oh. »
- « Mais
vraiment tout tout noir, hein. »
- « D'accord. »
- « On repart ? »
- « Oui... »
- « Je te raconterai une histoire plus joyeuse avant de dormir, promis. »
- « Et dis... »
- « Hum ? »
- « Tu pourras laisser la lanterne près de mon lit ? »
- « Heu
oui. »
- « Je crois que je veux plus dormir dans le noir tout noir. »
Flûte.
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour IV.
- « Il était un petit... »
- « Chat ! »
- « ...sauvage, qui aimait manger des... »
- « Nuages ! »
- «
gris, et boire... »
- « Du... »
- « J'vous donne une seconde chance. »
- «
whisky ? »
- « ... malté. Un jour il partit vers... »
- « La forêt ! »
- «
d'un seigneur qui portait une couronne... »
- «
de fleurs ! »
- «
violettes et avait épousé une... »
- « Huhu. Pauvrette. »
- «
en haillons qui s'appelait... »
- « Manon. »
- « Manon la souillon, elle était souvent... »
- « Ronchon comme papa. »
- « Hum. »
- « On continue pas ? »
- « Non vous m'avez coupé dans mon élan. »
- « Ronchon... »
- « Quoi ? »
- « Oh rien, rien... »
- « Hum. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour V.
- « Papa ? »
- « Hum ? »
- « Pourquoi les gens veulent me rencontrer ? »
- « Parce que vous portez le nom de votre mère. »
- « Pourquoi je porte pas le vôtre ? »
- « Parce que j'en ai pas. »
- « C'est bizarre. »
- « Oh j'en aurais pu en avoir un, celui de vos aïeux. Mais je l'ai pas pris. »
- « Pourquoi ? »
- « Parce que. »
- « Mais pourquoi ? »
- « Parce que
parce qu'il y a des noms qui sont un poids pour l'âme, parfois. »
- « Parce que c'est dur à porter ? »
- « C'est ça. »
- « Parce que c'était un nom ridicule ? »
- « En quelque sorte. »
- « Est-ce qu'on va aller les voir à Paris ? »
- « Qui donc ? »
- « Mes grands-parents. »
- « Ils sont morts Hazel. »
- « Oh. »
- « Mais ils sont morts il y a très très longtemps. Bien avant votre naissance. »
- « Vous avez encore du chagrin quand vous y pensez ? »
- « Non. »
- « Moi j'en aurais. »
- « Je sais. »
- « Il était comment votre papa ? »
Con. Et puis c'était pas mon père.
- « Sévère. »
- « Et votre maman ? »
Triste.
- « Rêveuse. »
- « ... »
- « ... »
- « C'était Pigeon leur nom ? »
- « Héhé... non. Mais celui-ci il me serait allé comme un gant. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour VI.
- « C'est bientôt Paris ? »
- « On repart dans quelques heures. Tu devrais aller faire une sieste à l'étage avant. »
- « Je suis pas fatiguée. »
- « Affirma-t-elle, les paupières mi-closes, la tête sur l'avant-bras... »
- « Mais c'est vrai ! »
- « T'es totalement patraque. »
- « J'suis pas patraque... Je peux avoir des châtaignes ? »
- « Tiens bouchon, sers-toi. »
- « On pourra rechouer au loup et au picheon ? »
- « Après la chieste. »
- « Allez... »
- « Hachel... »
- « Ch'est touchours après quelque chose... »
- « Pachiente comme ta mère hein... »
- « J'lui dirai... »
- « *glups* Des menaces maintenant ? »
- « *glups* Non... »
- « J'préfère ça. »
- « J'ai soif. »
- « La gourde est en haut. »
- « J'peux goûter la bière ? J'ai huit ans. »
- « Que répondre à cet argument... »
- « Oui ? »
- « À tes risques et périls. »
Glou. Glou, glou.
- « Raaa. Peuh !»
- « Non ? »
- « Non reprends. »
- « Pas bon ? »
- « C'est amer. »
- « Bien
Très bien ça. Bonne réaction. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour VII.
- « T'es prêt bouchon ? On va décaler. »
- « Toute, prête. »
- « Ah, au fait, on escorte une troisième pomme jusqu'à Limoges. »
- « Une troisième pomme ? »
- « Ouais c'est
c'est un jeune. L'a pas l'air bien
bien méchant. Ni dégourdi. »
- « Oh ? »
- « Mais il a dit qu'il te montrera les étoiles, dans le ciel. »
- « Ah ! C'est quoi son nom ? »
- « C'est
c'est
j'ai pas d'mandé. »
- « Donc là
on va revenir sur Limoges avec un jour de retard. »
- « Oui. »
- « Avec un monsieur dont on connaît pas le nom. »
- « Non pas encore... »
- « T'as le visage tout démoli... »
- « Ce
heu
oui. »
- « Parce que t'as fait des bêtises à Paris. »
- « ... »
- « Et quand tu étais jeune. »
- « ... »
- « Tu l'as dit à maman tout ça ? »
- « ... »
- « Oh. Elle va. te. tuer. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour VIII.
- « Qu'est-ce que tu ramasses là ? »
- « C'est un pleuroooote ! »
- « Oula non
tu touches pas ça. »
- « Si c'est un pleurote ! »
- « Non non. Enfin j'en sais rien, mais dans l'doute, je dis non. »
- « Bah il est sur un tronc papa ! »
- « Hum. L'a l'air louche. Déjà, il est tout seul. »
- « Peut-être qu'ils l'ont abandonné, les autres pleurotes. »
- « Peut-être qu'il y avait une bonne raison à ça. »
- « Parce qu'il a été méchant ? »
- « Par exemple. Ou juste
c'est pas, un pleurote, mais un imposteur. »
- « Comment on sait alors ? »
- « On sait pas. On passe notre chemin. L'aventure, j'veux bien, mais pas dans mon estomac. »
- « Mais s'il nous rend pas malade et qu'il est bon, en fait ? »
- « Non Hazel, on va pas prendre le risque de s'taper une coulante en plein Berry, ou pire. »
- « Une coulante ? »
- « Un
Les champignons, c'est simple. Tu sais ou tu sais pas. Si tu sais pas si tu sais, tu prends pas. C'est clair non ? »
- « Pas vraiment... »
- « Et d'mon avis, si t'en vois des très jolis bien brillants, tu passes. »
- « Même si je les mange pas ? »
- « Même si tu les manges pas. C'est comme les gens tout bariolés dans les marchés qui chantent très fort pour qu'on leur file des écus. Tu sais comment ça s'appelle ça ? »
- « Des trouvères
? »
- « Des attrape-couillons. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour IX.
- « Moi j'ai eu une idée. »
- « Ah ? »
- « Une brillante idée. »
- « Raconte-moi ça. »
- « C'est pour se débarrasser des attrape-coui-llons. »
- « On
on peut aussi les appeler des trouvères, devant ta mère. »
- « Maman elle dit des trou-ba-dours desfois. »
- « C'est bien aussi. »
- « Donc pour se débarrasser d'eux, ils faut les attirer quelque part. Comme sur un bateau. »
- « Un gros bateau alors... »
- « Un très très gros bateau, et on le fait naviguer loin, mais pas jusqu'au Danemark, parce que c'est chez moi. »
- « Et
comment on les attire tous dans un gros bateau ? »
- « J'y ai pensé ! »
- « Oh ? »
- « J'ai pensé, à, tout. Faut créer une route avec des écus, des marchés jusqu'au port. Comme ça ils pourront pas résister. »
- « Et les autres gens, tu crois qu'il vont résister ? »
- « On sèmera les écus rien que pour les attrape-couillons ! »
- « Hum
ça va vite revenir cher ton histoire, non ? »
- « Non, c'est ça le plus beau ! On utilisera des faux écus ! »
- « Comment ça, des faux écus ? »
- « Faut fabriquer des écus qui ont l'air vrai, mais en fait c'est du toc ! »
- « Dis donc, t'as vraiment pensé à tout... »
- « Oui ! »
- « Si je prononce le mot : faussaire, ça te dit quelque chose ? »
- « C'est quelqu'un déguisé en animal ? »
- « Non, c'est ta future carrière si j'interviens pas maintenant. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.
Jhoannes Jour X.
- « C'est loin encore, Limoges ? »
- « On arrive à l'aube prochaine si tout va bien. Je vous déposerai chez votre mère. »
- « Vous dormez pas à la maison ? »
- « Hum
non, j'ai
j'ai des affaires à prendre, à l'appart. »
- « Vous vous êtes disputés de loin ? »
- « Du tout. Et puis est-ce que ça vous regarde ? Hein ? Bon. »
- « Peut-être ça me concerne pas mais quand vous faites la tête je le sens. Hein, bon. »
- « Personne ne fait la tête à personne. »
- « Alors tout va bien ? »
- « Tout va super bien. Et puis à votre âge, vous feriez mieux de vous concentrer sur d'autres sujets. »
- « Oh mais je le fais. »
- « C'est bien, c'est très bien. »
- « Mais quand même parfois j'ai l'impression que je suis plus grande que vous et maman. Dans ma tête. »
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En noir c'est Jhoannes.
En vert c'est Caillou, une de ses voix intérieures. Caillou est vil.