Sadella
Nous t'attendions depuis un paquet de temps déjà et à la fois, nous ne t'espérions pas si tôt. Fort heureusement, j'avais prévu que tu serais du genre imprévisible et nous avions atteints la Rochelle à temps pour que les premiers signes de ton arrivée se fassent sentir. T'es un fou dans ta tête Petit-Pois ! Tu rigoles ou quoi ? Deux jours plus tôt et tu naissais aux abords de Thouars. Je te raconte pas la honte si j'avais dû raconter ça à Calyce et Josie. En vrai, je ne l'aurais pas assumé du tout, j'aurais fait signer une clause de confidentialité à tous ceux qui l'auraient su, pour que jamais personne ne l'apprenne. Mais bref, tu as donc échappé à Thouars pour te laisser porter par le doux son de l'océan. Normal, t'as du sang de marin dans les veines, c'était sûr que ça te plairait. Puis peut-être aussi que je me suis un peu détendue devant ces paysages, devant les sourires de tes frangines et même les faux rictus de ton daron. L'air marin nous a fait du bien et toi tu l'as senti, tu as eu envie de te pointer ici.
Alors oui, je sais. Certains de nos proches angevins vont te traiter de poitevin, mais on ne les laissera pas faire, promis. Je casserai les dents du premier qui voudra t'insulter. Et ton père, lui, il passera une seconde couche à tous les coups, des fois que la personne n'ait pas pigé que tu étais une nouvelle raison de vivre qui s'ajoutait dans nos existences et qu'on ne laisserait personne y faire de mal.
Ce soir, je me suis disputée chamaillée encore avec ton daron. Faudra pas que tu t'inquiètes si tu nous vois faire un jour. On a jamais été très doués, mais je t'assure qu'on veut bien faire. Des fois, on se pige parfaitement, puis parfois, ça fait un peu comme si tous nos capteurs de communication étaient déréglés, comme si ce qu'il disait passait à côté de moi et inversement. On a jamais trop su d'où ça venait et surtout, on travaille à fond dessus depuis des mois, seulement avec ton arrivée, quelques énormes petites angoisses se sont ajoutées et forcément ça ne nous a pas aidés à bien nous entendre. Mais t'inquiète, ca faisait quatre heures que je sentais quelques contractions - c'est long quatre heures tu sais ? - et tu découvriras que je suis quelqu'un de très buté et que lorsque j'ai une idée quelque part, je ne l'ai pas ailleurs. Alors oui, au milieu des contractions, j'ai voulu confronter ton paternel. Et quoi ? J'suis une guerrière du nord ou pas ? Je gère j'te dis. Ou pas. J'ai cru gérer un moment, mais bon, ça a commencé à douiller et je faisais moins la fière. Surtout qu'il me disait forcément des trucs importants là. Tu sais pas encore ce que c'est toi, de tenir une conversation, d'entendre, mais surtout d'écouter l'autre tout en souffrant. Oui bah mon amour, je te souhaite pas que ça t'arrive, même si on ne va pas se mentir, t'as déjà une chance sur d'eux d'être pourvu des attributs qui te feront enfanter plus tard. Mais donc, toi tu nous as un peu interrompus en larguant les grandes eaux. Splatch. Comme ça, sur la plage, au moment où il allait enfin me serrer dans ses bras. Me dis pas que tu vas être un gosse à ton papa toi aussi ? Bon je pigerais hein, je pigerais même très bien, mais merde quoi. On partagera.
Donc, au moment où t'as déclenché l'alerte, je dois bien l'avouer... J'ai peut-être un peu paniqué. Un peu, rien du tout, un chouia. Juste assez pour que je dise à ton père que je ne voulais pas te faire sortir. HUM. Oui ben le courage ça va et ça vient. Je l'ai perdu quelques secondes. Mais fort heureusement qu'il était là, lui - ton père hein toujours - pour me remettre les idées en places. Puis pour me dire qu'il m'aimait et m'assurer que j'allais puer la sueur. Quelle drôle d'idée à bien y réfléchir. Comment a-t-il pu avoir l'idée de me balancer un truc sur ma transpiration ? J'en sais fichtre rien, mais c'était une bonne chose, ça m'a faite rire. Un peu. Assez pour me refiler le courage que j'avais perdu quelque part au milieu des eaux à mes petons.
Je t'épargne le reste, y'a des trucs qui resteront toujours du domaine des parents. Hé ouais Petit Pois, on va t'apprendre l'intimité aussi, le respect des trucs persos. Puis si tu tiens vraiment à emmerder quelqu'un sur des trucs à découvrir, je t'encourage vivement à tester sur tes frangines et à nous rapporter à nous pour qu'on sache un peu ce qu'elles nous cachent. Non parce qu'on a été jeunes, nous aussi hein. On est pas nés de la dernière pluie - je me sens vieille quand je dis ça - et on sait bien que les gamins vivent une vie parallèle à côté de ce qu'ils disent à leurs parents. Enfin, c'est surtout pour les adolescents ça et des ados, on en a deux qui te précèdent. On compte sur toi pour nous filer des tuyaux parfois entre deux ou trois bêtises communes - qu'on vous pardonnera bien évidemment mais pour lesquelles on vous fera une engueulade digne des plus grandes représentations. T'inquiète, dans ce domaine, Papa et moi, on maîtrise -.
Mais donc on est rentrés à l'auberge et là les choses sérieuses ont commencées. Franchement, on était mieux à la plage quand même. Elo et Faust, avaient préparé le baquet d'eau chaude et les serviettes dans la piaule. Astana m'attendait de pied ferme avec son regard qu'elle fait là quand elle essaie d'être sérieuse, impliquée et soucieuse. Du coup, je lui ai balancé je crois une connerie sur mon incontinence pour la dérider, ça a marché un peu ? Ou elle aura fait semblant, mais on s'en fiche, je t'avoue que j'étais plus trop disposée à vérifier le niveau de sincérité de mon entourage. Je paniquais sévère, j'avais même gerbé sur la route pour te dire. La danoise m'a auscultée, il paraît que j'étais ouverte qu'à trois. Trois. Ca faisait cinq heures de contractions pour une ouverture à trois ? Tu te fous de ma gueule gamin, hein ? Surtout que depuis que j'avais perdu les eaux, je douillais mille fois plus. Alors j'ai pris un bain, avec ton père. Parce que moi, les bains seule... bof bof quoi. Astana était partie vaquer à ses occupations. On le savait, la nuit allait être longue. Il était quoi, trois heures du matin et je jonglais entre infusions de sauge pour favoriser les contractions et celles de mélisse pour m'apaiser moi.
Oui parce que ce que je n'ai pas dit depuis le début hein, c'est que j'étais peut-être complètement un peu terrifiée par cet accouchement. Tu sais mon p'tit, parfois ça se passe pas toujours bien et c'est pas grave, la mort ça fait partie de la vie, mais tu sais, j'ai beau dire ça avec détachement, quand il s'agit de MA mort ou de celle de mes proches, je suis vachement moins impartiale sur le sujet. Toujours était-il que j'avais très envie de te connaître et que ne pas y parvenir me tétanisait. Puis aussi, je voulais pas te faire mal, j'espérais que tout irait bien pour toi, que tu sortirais avec tous tes orteils - mais avec un ou deux de moins c'était pas grave - avec toutes tes facultés et que tu serais en bonne santé. Imaginer que ce soit toi qui me quitte, ça me faisait encore plus flipper que de quitter moi ce monde. Mais trêve de sujet déplaisant, j'ai vraiment vraiment essayé de reléguer au loin ces idées noires et ton daron - oui encore lui - s'est montré à la hauteur dès que j'ai eu besoin de lui. Il a raison sur un point, je lui reproche toujours quinze mille trucs, mais n'empêche que là, il m'a sciée, j'ai rien à redire ! Mouchée la Della. J'suis sûre qu'il le fait exprès pour pas que je râle - au pire, je pourrai au moins rouspéter là dessus en usant de toute ma mauvaise foi -. Il a ce don, quand il y a une crise à gérer, pour prioriser, rassurer et insuffler le courage nécessaire. Moi j'suis pas trop comme ça, je fonctionne tu sais, à l'instinct, ta sur quand je l'ai eue, j'étais une bestiole sauvage plus proche de l'animal que de l'humain, alors ouais toi, là, j'étais aussi dépassée qu'à ma première fois, mais vachement plus entourée aussi.
Après le bain, ça faisait six heure et j'étais ouverte à quatre seulement. Soupir. Je te mentirais si je te disais que je n'avais pas râlé. Puis ça fait mal hé. Je ne savais plus dans quelle position me foutre pour que ça me fasse du bien. Je crois que j'ai utilisé ton daron sous toutes les positions possibles et j'ai surtout marché, encore et encore. J'ai usé comme jamais les couloirs de cette auberge. Parfois, j'allais voir si 'Naé dormait bien, si Eloane se reposait un peu. J'encourageais tout le monde à roupiller tant qu'ils le pouvaient et moi aussi, j'essayais de somnoler quand je n'avais pas trop mal. Mais tu sais ce que j'ai fait aussi ? Profitant que tous étaient occupés à droite ou à gauche, j'ai sorti une bouteille de vin et des gâteaux disposés dans une assiette pour les laisser à portée de main des membres de la famille. Ouais comme ça ça a l'air vachement sympa et digne d'une bonne femme au foyer, mais en vrai, j'ai foutu de la drogue des bricoles qui détendent dans les deux à leur insu pour qu'ils arrêtent tous de se faire du mourrons pour moi et qu'on célèbre ton arrivée dans l'ambiance la plus relax possible.
Voilà Petit Pois, voilà le début de l'histoire du jour où tu as fait de moi ta mère.
_________________