Maeve.
[En Limousin
]
Un détour, une volute dans le voyage sans fin de sa vie. Ses souvenirs sont flous avant Dieppe, trop jeune alors. Et puis son éducation en Normandie. Là, elle se souvient de tout. Larrivée en trottinant dans la taverne, la difficulté à se hisser sur une chaise, les sourires bienveillants des habitants qui immédiatement lavaient entourée dun cocon protecteur. Le bois usé des tables avaient vu les premiers alignements des coquillages. Maeve avait bien songé à collectionner des galets, mais ses menottes étaient alors trop petites, et ses poches trop fragiles pour trimballer son assortiment de souvenirs.
Les ruelles planes de Dieppe avaient accueilli ses premières courses, et cest là quelle avait appris à lire, à écrire. Ses premières lettres avaient été tracées avec la langue tirée par la concentration, traits épais et brouillons quelle avait laborieusement assemblés en mots puis en phrases. Les dieppois se souviendront sans doute de ses quelques plaintes, toutes à base du vide que creusait labsence de ses parents, mais ils ont surtout retenu la vivacité et les rires dune enfant habituée à être partout à sa place.
La petite rouquine sétait fait là-bas des amis chers à son cur. Même si lun dentre eux surpassait tous les autres. Son chevalier, son confident. Un petit brun rencontré au détour dune sortie en taverne, quelle avait trouvé beau, tout simplement. Et gentil aussi. De son épée en bois, il avait tiré des étincelles dadmiration dans le regard impressionnable de la jeune Alterac.
Ensemble, en chuchotant, ils avaient élaboré leur retour. Sans mesurer les risques, elle lui avait amené lidée sur un plateau, et le petit impérial, ravi dun rôle protecteur qui le rendait presque adulte malgré ses 10 étés, avait sauté sur loccasion. En catimini, ils avaient subtilisé Anthelme, un immense étalon noir sur le dos duquel ils avaient pris leurs aises. Maeve avait alors fait sa grande, elle qui avait toujours aimé les chevaux, passion quelle tient de sa mère.
Premier voyage en solitaire, dans lequel ils se lancent avec linsouciance de la jeunesse, sans se douter quun duc vexé leur envoie déjà ses armées aux trousses. Nez au vent et babillage en bouche, ils progressent, parsemant leur épopée de rencontres époustouflantes ou décevantes. LAlençon et sa Blonde impétueuse qui leur apprend nombre de jurons quils se font un plaisir de replacer. Et puis Sancerre et le prêtre exhibitionniste.
Les retrouvailles avec Marie-Alice, elles, en revanche Plus de grimaces que de sourires. Une joue rougie par une claque appelée par le caprice dune enfant qui refuse dadmettre sa peur et celle causée à ses parents en partant seule sur les routes. « Mais je nétais pas seule ! » Ou comment faire démarrer les relations entre la vicomtesse et limpérial sur un mauvais pas. La danse qui continue pourtant, les emportant vers lAuvergne, Moulins et un frère quon sen va chercher.
Pas un vrai, pas du même sang, la pupille et filleul de Marie. Un orphelin qui apprend à vivre avec eux, et la troupe qui sinstalle en Bourgogne. Ou du moins se lapproprie comme pied à terre. Parce quon reste jamais longtemps au même endroit Rapidement, il faut reprendre la route dans des adieux qui creusent un manque chez la petite rouquine. Maeve sans Leandre, comment va-t-elle faire ? Il va découvrir la Provence, elle va retrouver le Limousin, et son père.
Les jours et les semaines défilent sans que Maeve ne sen aperçoive. Elle grandit sans sen rendre compte, acquérant au cours des discussions en taverne un sens de la répartie qui fait rire ou déconcerte, les questions senchainent dans sa soif de tout savoir. De nouveau, une expédition non autorisée, en compagnie de son maître. Klesiange, ou le géant blond qui illuminera les après midis et soirées dune petite rouquine pendue à ses lèvres. Il lui apprend à tirer à larc, elle le dépanne de quelques miches de pain. Echange de bons procédés. Mais déjà vient le temps du départ. Il faut rentrer.
Prise dans les préparatifs du voyage, elle naura quà peine le temps de lui dire au revoir, avant de déjà rejoindre sa mère. Sa première idole. Plus le temps passe depuis leurs retrouvailles, plus le lien se tisse entre elles. Les réprimandes sont justes, Maeve le sait, et tache de ne plus désobéir. Les conversations entre elles se font plus sereines, plus intimes aussi, même si lenfant ne peut pas tout comprendre du mal-être de sa mère, et du voile qui couvre ses noisettes qui savent pourtant se faire si espiègles quand elle est bien
La Bourgogne, et Joinville, rapidement. Face aux contradictions de son monde. Les gens de lautre côté des barreaux ne semblent pas si méchants, et pourtant Ils suivent un colosse qui se prévaut dun mal gratuit, une volonté de blesser sans cause, que lenfant ne peut même pas comprendre ni percevoir.
Tout simplement, cela ne rentre pas dans sa conception. Elle nimagine même pas. Il doit se tromper, loncle. Sa mère a beau lui expliquer que parfois la fureur, la colère ou la tristesse peuvent mener à de telles extrémités, Maeve secoue la tête. A faire la grande, elle nen reste pas moins une fillette.
Mais déjà la route sous ses yeux défile, cest reparti pour une escale moulinoise. Arthur a su gagner lamitié de Marie en plus de celle inconditionnelle de la jeune Alterac. Le moulinois aux demi-sourires arrive à en arracher des entiers à une vicomtesse marquée par les deuils et les épreuves. Quelques jours dune halte providentielle avant de voyager, encore. Un détour limousin. Nouveau passage, pour saluer son père, pour revoir les quelques connaissances quelle y conserve.
Ils ne sont pas encore arrivés à lhotel particulier du vice-comte. Mais les jambes demandent à se dégourdir et lair chaud de cette journée daout fait perler la sueur sur les tempes qui réclament à grands cris une brise, un peu dair.
Lenvie de gambader est la plus forte, autour de ces murailles quelle connait bien. Un peu plus loin là-bas, la clairière où elle a pris ses premiers cours de tir à larc. Encore un peu plus loin, le cours deau où elle a cherché longtemps des coquillages. Les gardes ne sont plus les mêmes, ou alors elle les a oubliés. Quimporte, elle salue dun sourire, avant daller baguenauder dans les herbes folles un peu plus loin. Chaque pas lemporte plus avant dans la nature, la rendant bientôt invisible.
Le vent esquisse londulation du vert qui la masque aux regards. Sauf ceux de son garde. Oui, Maeve a un garde. Elle ne le sait pas. Mais depuis son escapade à Tulle, Marie préfère allier la prudence à la sécurité, et un homme darme suit la fillette dans tous ses déplacements. La gamine lignore et ne sen aperçoit pas.
Les gambettes tricotent plus et mieux sur le sol sec, menottes caressant la cime des herbes, lazur qui se fond dans celui du ciel qui la couvre. Maeve, linvincible. Le mal dans son monde ne concerne que les autres. Surement pas elle.
Seule avec elle-même, elle se laisse tomber les bras en croix, enfouie. Seuls sa robe et son surcot de voyage la protègent de lapreté dun sol dété, seul les couleurs dessinées par un soleil qui tend à décliner mais arrose encore de ses rayons chauds et réconfortants le corps fluet de Maeve. Elle chasse de son esprit les soucis quelle se fait, pour sa mère, pour son chevalier qui est si loin, pour son père, son frère, ses surs, pour ses amis Elle chasse toutes les questions qui lenvahissent continuellement.
Et se laisse bercer par la brise qui fait danser les herbes. Et la danse des nuages irisés. Lenfance ce doux berceau.
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Au revoir, Fab.
Un détour, une volute dans le voyage sans fin de sa vie. Ses souvenirs sont flous avant Dieppe, trop jeune alors. Et puis son éducation en Normandie. Là, elle se souvient de tout. Larrivée en trottinant dans la taverne, la difficulté à se hisser sur une chaise, les sourires bienveillants des habitants qui immédiatement lavaient entourée dun cocon protecteur. Le bois usé des tables avaient vu les premiers alignements des coquillages. Maeve avait bien songé à collectionner des galets, mais ses menottes étaient alors trop petites, et ses poches trop fragiles pour trimballer son assortiment de souvenirs.
Les ruelles planes de Dieppe avaient accueilli ses premières courses, et cest là quelle avait appris à lire, à écrire. Ses premières lettres avaient été tracées avec la langue tirée par la concentration, traits épais et brouillons quelle avait laborieusement assemblés en mots puis en phrases. Les dieppois se souviendront sans doute de ses quelques plaintes, toutes à base du vide que creusait labsence de ses parents, mais ils ont surtout retenu la vivacité et les rires dune enfant habituée à être partout à sa place.
La petite rouquine sétait fait là-bas des amis chers à son cur. Même si lun dentre eux surpassait tous les autres. Son chevalier, son confident. Un petit brun rencontré au détour dune sortie en taverne, quelle avait trouvé beau, tout simplement. Et gentil aussi. De son épée en bois, il avait tiré des étincelles dadmiration dans le regard impressionnable de la jeune Alterac.
Ensemble, en chuchotant, ils avaient élaboré leur retour. Sans mesurer les risques, elle lui avait amené lidée sur un plateau, et le petit impérial, ravi dun rôle protecteur qui le rendait presque adulte malgré ses 10 étés, avait sauté sur loccasion. En catimini, ils avaient subtilisé Anthelme, un immense étalon noir sur le dos duquel ils avaient pris leurs aises. Maeve avait alors fait sa grande, elle qui avait toujours aimé les chevaux, passion quelle tient de sa mère.
Premier voyage en solitaire, dans lequel ils se lancent avec linsouciance de la jeunesse, sans se douter quun duc vexé leur envoie déjà ses armées aux trousses. Nez au vent et babillage en bouche, ils progressent, parsemant leur épopée de rencontres époustouflantes ou décevantes. LAlençon et sa Blonde impétueuse qui leur apprend nombre de jurons quils se font un plaisir de replacer. Et puis Sancerre et le prêtre exhibitionniste.
Les retrouvailles avec Marie-Alice, elles, en revanche Plus de grimaces que de sourires. Une joue rougie par une claque appelée par le caprice dune enfant qui refuse dadmettre sa peur et celle causée à ses parents en partant seule sur les routes. « Mais je nétais pas seule ! » Ou comment faire démarrer les relations entre la vicomtesse et limpérial sur un mauvais pas. La danse qui continue pourtant, les emportant vers lAuvergne, Moulins et un frère quon sen va chercher.
Pas un vrai, pas du même sang, la pupille et filleul de Marie. Un orphelin qui apprend à vivre avec eux, et la troupe qui sinstalle en Bourgogne. Ou du moins se lapproprie comme pied à terre. Parce quon reste jamais longtemps au même endroit Rapidement, il faut reprendre la route dans des adieux qui creusent un manque chez la petite rouquine. Maeve sans Leandre, comment va-t-elle faire ? Il va découvrir la Provence, elle va retrouver le Limousin, et son père.
Les jours et les semaines défilent sans que Maeve ne sen aperçoive. Elle grandit sans sen rendre compte, acquérant au cours des discussions en taverne un sens de la répartie qui fait rire ou déconcerte, les questions senchainent dans sa soif de tout savoir. De nouveau, une expédition non autorisée, en compagnie de son maître. Klesiange, ou le géant blond qui illuminera les après midis et soirées dune petite rouquine pendue à ses lèvres. Il lui apprend à tirer à larc, elle le dépanne de quelques miches de pain. Echange de bons procédés. Mais déjà vient le temps du départ. Il faut rentrer.
Prise dans les préparatifs du voyage, elle naura quà peine le temps de lui dire au revoir, avant de déjà rejoindre sa mère. Sa première idole. Plus le temps passe depuis leurs retrouvailles, plus le lien se tisse entre elles. Les réprimandes sont justes, Maeve le sait, et tache de ne plus désobéir. Les conversations entre elles se font plus sereines, plus intimes aussi, même si lenfant ne peut pas tout comprendre du mal-être de sa mère, et du voile qui couvre ses noisettes qui savent pourtant se faire si espiègles quand elle est bien
La Bourgogne, et Joinville, rapidement. Face aux contradictions de son monde. Les gens de lautre côté des barreaux ne semblent pas si méchants, et pourtant Ils suivent un colosse qui se prévaut dun mal gratuit, une volonté de blesser sans cause, que lenfant ne peut même pas comprendre ni percevoir.
Tout simplement, cela ne rentre pas dans sa conception. Elle nimagine même pas. Il doit se tromper, loncle. Sa mère a beau lui expliquer que parfois la fureur, la colère ou la tristesse peuvent mener à de telles extrémités, Maeve secoue la tête. A faire la grande, elle nen reste pas moins une fillette.
Mais déjà la route sous ses yeux défile, cest reparti pour une escale moulinoise. Arthur a su gagner lamitié de Marie en plus de celle inconditionnelle de la jeune Alterac. Le moulinois aux demi-sourires arrive à en arracher des entiers à une vicomtesse marquée par les deuils et les épreuves. Quelques jours dune halte providentielle avant de voyager, encore. Un détour limousin. Nouveau passage, pour saluer son père, pour revoir les quelques connaissances quelle y conserve.
Ils ne sont pas encore arrivés à lhotel particulier du vice-comte. Mais les jambes demandent à se dégourdir et lair chaud de cette journée daout fait perler la sueur sur les tempes qui réclament à grands cris une brise, un peu dair.
Lenvie de gambader est la plus forte, autour de ces murailles quelle connait bien. Un peu plus loin là-bas, la clairière où elle a pris ses premiers cours de tir à larc. Encore un peu plus loin, le cours deau où elle a cherché longtemps des coquillages. Les gardes ne sont plus les mêmes, ou alors elle les a oubliés. Quimporte, elle salue dun sourire, avant daller baguenauder dans les herbes folles un peu plus loin. Chaque pas lemporte plus avant dans la nature, la rendant bientôt invisible.
Le vent esquisse londulation du vert qui la masque aux regards. Sauf ceux de son garde. Oui, Maeve a un garde. Elle ne le sait pas. Mais depuis son escapade à Tulle, Marie préfère allier la prudence à la sécurité, et un homme darme suit la fillette dans tous ses déplacements. La gamine lignore et ne sen aperçoit pas.
Les gambettes tricotent plus et mieux sur le sol sec, menottes caressant la cime des herbes, lazur qui se fond dans celui du ciel qui la couvre. Maeve, linvincible. Le mal dans son monde ne concerne que les autres. Surement pas elle.
Seule avec elle-même, elle se laisse tomber les bras en croix, enfouie. Seuls sa robe et son surcot de voyage la protègent de lapreté dun sol dété, seul les couleurs dessinées par un soleil qui tend à décliner mais arrose encore de ses rayons chauds et réconfortants le corps fluet de Maeve. Elle chasse de son esprit les soucis quelle se fait, pour sa mère, pour son chevalier qui est si loin, pour son père, son frère, ses surs, pour ses amis Elle chasse toutes les questions qui lenvahissent continuellement.
Et se laisse bercer par la brise qui fait danser les herbes. Et la danse des nuages irisés. Lenfance ce doux berceau.
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Au revoir, Fab.