Vran
... la mort est la voie de la vie.
Un trou dans la terre.
Cest là le destin de la plupart des êtres humains. Du moins, dans ce coin-là du monde. Honorer les morts. Respecter leur mémoire. Et les laisser profiter de leur dernier repos. A moins que lenterrement nait pour but réel que dépargner aux vivants la vue des cadavres soumis à la violence inexorable et implacable du temps. Car il est difficile pour lHomme de contempler sa propre fin promise. Il sefforce duser de toutes ses connaissances, chacun de ses stratagèmes, pour retarder léchéance. Pendant ce temps, la Mort rit, car le temps na pas demprise sur elle, et elle sait que tous, sans aucune exception, viendront à elle à un moment ou un autre. Tout être vivant lui appartient d'avance. Elle a déjà gagné.
Quelques individus, maudits par la société, ont bien compris quun corps nest plus quun vaisseau délaissé par son ancien occupant. Ceux-là savent aussi bien souvent quil arrive que, désireux de faciliter une après-vie pourtant bien incertaine, certains se font enterrer munis de leurs possessions. Des richesses qui attendent là, sous terre, inutiles. Alors autant que ces dernières servent à ceux qui en ont réellement besoin.
Dédé -Dervan- et Gus Gussignan- sont justement du genre à vouloir se nourrir sans travailler trop dur. Enfin. Cest ce que les honnêtes gens tendent à croire. Ceux-ci nont jamais déterré un cadavre pour prétendre une telle chose.
La nuit est tombée depuis déjà quelques heures, à Limoges, et il semble pour notre duo quil est temps de se mettre au travail. Cest donc dans un petit cimetière pas trop proche du centre dactivité de la ville quils rôdent, munis de pelles et éclairés par la faible lueur dune lanterne.
Gus observe son compagnon et désigne silencieusement une tombe parmi toutes les autres. Cest une simple pierre, gravée à la va vite. Rien qui ne semble très attrayant. Les chances pour que quelquun dinfluent ne souhaite venger la profanation sont donc plus faibles. De plus, la tombe semble relativement récente. Le travail nen sera que moins insupportable. Dédé acquiesce dun mouvement du chef, et les deux se mettent donc à creuser sans dire un mot.
Ça prend du temps. Mais finalement, lune des pelles heurte quelque chose de solide, et le bruit caractéristique du bois se fait entendre. Cela arrache un sourire à Dédé, et les deux se pressent donc dévacuer au mieux la terre restante. Jusquà ce quenfin, Gus peut poser sa pelle et soccuper douvrir le cercueil alors que Dédé sécarte pour ne pas gêner louverture.
Un trou dans la terre.
Tous se tiennent maladroitement sur la paume de la Mort, espérant que celle-ci ne ferme jamais le poing. Et la Mort rit, car elle sait quils sont tous condamnés. Mais il arrive parfois, rarement, que quelques-uns parviennent momentanément à filer entre ses doigts.
Quand le couvercle souvre, le cadavre qui se trouve là ne semble pas posséder de richesses particulières, à première vue. Gus se penche donc pour fouiller les vêtements de lenterré. Sans crier gare, ledit cadavre ouvre grand les yeux, fixant de ses pupilles bleu sombre le pauvre Gussignan qui reste là, parfaitement immobile, incrédule. Un cri, proche du rugissement, retentit alors, pétrifiant Dédé qui approchait justement pour comprendre pourquoi son associé et ami sétait si soudainement arrêté. Gus, lui, était tombé en arrière, et se retrouvait assis au fond de la tombe. Enragé, et probablement très désorienté, le mort se redressa pour se jeter sur le pilleur de tombe. Son poing vengeur sabattit un nombre de fois que nous noserions révéler sur le visage du Gus, si bien que ce dernier fut méconnaissable quand enfin le cadavre ambulant termina son office. Lhomme avait bien reçu de quoi le tuer deux fois.
Ce hurlement, quil avait poussé. Cet amer mélange de rage, dincompréhension et de douleur, probablement de peur aussi, lâché en une violente explosion hors des poumons. Cest un peu comme le premier cri du nouveau-né. Sauf que là, pour cet homme là, cest la deuxième naissance. Au lieu du ventre chaud dune mère, un trou glacial dans la terre. Au lieu dune accoucheuse, deux pilleurs de tombes. Et léclat lugubre dune petite lanterne pour seul réconfort.
Dervan navait pas bougé, semblable à une statue si ce nétait la sueur froide qui lui parcourait léchine. Il navait pas pu voir grand-chose, mais il navait osé ni bouger, ni dire un mot. Jusquà ce que le deux fois né ne se redresse lentement hors de sa tombe, portant son regard brillant sur le second profanateur. Ses vêtements étaient usés, abîmés, et il était recouvert de terre de ses pieds jusquà sa chevelure noire. Il était pâle, et son visage était creusé. Cette lueur sinistre dans le regard du presque-mort tira enfin Dédé de sa catatonie, et il lâcha sa pelle pour déguerpir en hurlant comme un damné.
Celui qui était revenu fit quelques pas incertains dans le cimetière, avant de tomber à genoux, les yeux toujours écarquillés, haletant. A la lumière faiblarde de la lanterne, il observa ses mains. La gauche était dépourvue dannulaire, et son poignet arborait une cicatrice verticale.
Si les souvenirs revenaient telle une vague déferlante, la compréhension de ce quil se passait, elle, nétait pas au rendez-vous. Une lame. La mort. Puis le réveil. La faucheuse malicieuse laurait rejeté de ce côté du monde? Sil navait pas rouvert les yeux au fond de ce trou, il aurait simplement cru sêtre raté. De son point de vue, ça ressemblait à un bref moment dinconscience. Il ne savait même pas combien de temps il était mort.
Il aurait pu, toujours à cause de son caractère indomptable, sachever une bonne fois pour toute. Mais voyez-vous, quand la Mort elle-même décide de renvoyer quelquun chez les vivants eh bien, on la ferme et on acquiesce. Il devait y avoir une raison. Il y avait forcément une raison.
Tranquillement, il sentit les battements de son cur se calmer. Lui confirmant ainsi quil était bien vivant. De nouveau.
Une longue inspiration, et il se décida enfin à se redresser, et se mit à déambuler dans le cimetière, abandonnant la lanterne derrière lui.
Vran avait terriblement faim.
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Un trou dans la terre.
Cest là le destin de la plupart des êtres humains. Du moins, dans ce coin-là du monde. Honorer les morts. Respecter leur mémoire. Et les laisser profiter de leur dernier repos. A moins que lenterrement nait pour but réel que dépargner aux vivants la vue des cadavres soumis à la violence inexorable et implacable du temps. Car il est difficile pour lHomme de contempler sa propre fin promise. Il sefforce duser de toutes ses connaissances, chacun de ses stratagèmes, pour retarder léchéance. Pendant ce temps, la Mort rit, car le temps na pas demprise sur elle, et elle sait que tous, sans aucune exception, viendront à elle à un moment ou un autre. Tout être vivant lui appartient d'avance. Elle a déjà gagné.
Quelques individus, maudits par la société, ont bien compris quun corps nest plus quun vaisseau délaissé par son ancien occupant. Ceux-là savent aussi bien souvent quil arrive que, désireux de faciliter une après-vie pourtant bien incertaine, certains se font enterrer munis de leurs possessions. Des richesses qui attendent là, sous terre, inutiles. Alors autant que ces dernières servent à ceux qui en ont réellement besoin.
Dédé -Dervan- et Gus Gussignan- sont justement du genre à vouloir se nourrir sans travailler trop dur. Enfin. Cest ce que les honnêtes gens tendent à croire. Ceux-ci nont jamais déterré un cadavre pour prétendre une telle chose.
La nuit est tombée depuis déjà quelques heures, à Limoges, et il semble pour notre duo quil est temps de se mettre au travail. Cest donc dans un petit cimetière pas trop proche du centre dactivité de la ville quils rôdent, munis de pelles et éclairés par la faible lueur dune lanterne.
Gus observe son compagnon et désigne silencieusement une tombe parmi toutes les autres. Cest une simple pierre, gravée à la va vite. Rien qui ne semble très attrayant. Les chances pour que quelquun dinfluent ne souhaite venger la profanation sont donc plus faibles. De plus, la tombe semble relativement récente. Le travail nen sera que moins insupportable. Dédé acquiesce dun mouvement du chef, et les deux se mettent donc à creuser sans dire un mot.
Ça prend du temps. Mais finalement, lune des pelles heurte quelque chose de solide, et le bruit caractéristique du bois se fait entendre. Cela arrache un sourire à Dédé, et les deux se pressent donc dévacuer au mieux la terre restante. Jusquà ce quenfin, Gus peut poser sa pelle et soccuper douvrir le cercueil alors que Dédé sécarte pour ne pas gêner louverture.
Un trou dans la terre.
Tous se tiennent maladroitement sur la paume de la Mort, espérant que celle-ci ne ferme jamais le poing. Et la Mort rit, car elle sait quils sont tous condamnés. Mais il arrive parfois, rarement, que quelques-uns parviennent momentanément à filer entre ses doigts.
Quand le couvercle souvre, le cadavre qui se trouve là ne semble pas posséder de richesses particulières, à première vue. Gus se penche donc pour fouiller les vêtements de lenterré. Sans crier gare, ledit cadavre ouvre grand les yeux, fixant de ses pupilles bleu sombre le pauvre Gussignan qui reste là, parfaitement immobile, incrédule. Un cri, proche du rugissement, retentit alors, pétrifiant Dédé qui approchait justement pour comprendre pourquoi son associé et ami sétait si soudainement arrêté. Gus, lui, était tombé en arrière, et se retrouvait assis au fond de la tombe. Enragé, et probablement très désorienté, le mort se redressa pour se jeter sur le pilleur de tombe. Son poing vengeur sabattit un nombre de fois que nous noserions révéler sur le visage du Gus, si bien que ce dernier fut méconnaissable quand enfin le cadavre ambulant termina son office. Lhomme avait bien reçu de quoi le tuer deux fois.
Ce hurlement, quil avait poussé. Cet amer mélange de rage, dincompréhension et de douleur, probablement de peur aussi, lâché en une violente explosion hors des poumons. Cest un peu comme le premier cri du nouveau-né. Sauf que là, pour cet homme là, cest la deuxième naissance. Au lieu du ventre chaud dune mère, un trou glacial dans la terre. Au lieu dune accoucheuse, deux pilleurs de tombes. Et léclat lugubre dune petite lanterne pour seul réconfort.
Dervan navait pas bougé, semblable à une statue si ce nétait la sueur froide qui lui parcourait léchine. Il navait pas pu voir grand-chose, mais il navait osé ni bouger, ni dire un mot. Jusquà ce que le deux fois né ne se redresse lentement hors de sa tombe, portant son regard brillant sur le second profanateur. Ses vêtements étaient usés, abîmés, et il était recouvert de terre de ses pieds jusquà sa chevelure noire. Il était pâle, et son visage était creusé. Cette lueur sinistre dans le regard du presque-mort tira enfin Dédé de sa catatonie, et il lâcha sa pelle pour déguerpir en hurlant comme un damné.
Celui qui était revenu fit quelques pas incertains dans le cimetière, avant de tomber à genoux, les yeux toujours écarquillés, haletant. A la lumière faiblarde de la lanterne, il observa ses mains. La gauche était dépourvue dannulaire, et son poignet arborait une cicatrice verticale.
Si les souvenirs revenaient telle une vague déferlante, la compréhension de ce quil se passait, elle, nétait pas au rendez-vous. Une lame. La mort. Puis le réveil. La faucheuse malicieuse laurait rejeté de ce côté du monde? Sil navait pas rouvert les yeux au fond de ce trou, il aurait simplement cru sêtre raté. De son point de vue, ça ressemblait à un bref moment dinconscience. Il ne savait même pas combien de temps il était mort.
Il aurait pu, toujours à cause de son caractère indomptable, sachever une bonne fois pour toute. Mais voyez-vous, quand la Mort elle-même décide de renvoyer quelquun chez les vivants eh bien, on la ferme et on acquiesce. Il devait y avoir une raison. Il y avait forcément une raison.
Tranquillement, il sentit les battements de son cur se calmer. Lui confirmant ainsi quil était bien vivant. De nouveau.
Une longue inspiration, et il se décida enfin à se redresser, et se mit à déambuler dans le cimetière, abandonnant la lanterne derrière lui.
Vran avait terriblement faim.
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