Hildegardeii
[On the road - again]
Le relais postier m'accueille au moment où la nuit tombe et ma monture renâcle, les flancs et l'encolure écumants, épuisé d'avoir parcouru autant de distance en une journée.
Quant à moi, je ne vaux pas plus cher : mes jambes se font guimauve à l'instant où elles touchent le sol pour la première fois depuis mon départ du matin et la sueur colle les mèches qui s'échappent de mes tresses. Je m'accroche à la crinière de mon cheval, mes doigts serrés dans ses crins pour ne pas m'effondrer, le front posé contre le cuir de ma selle.
L'animal et moi soufflons un instant, puis je soulève le quartier de la selle et libère le hongre de la pression de la sangle en détendant la sous ventrière de trois trous.
Un palefrenier vient récupérer ma monture et j'entre dans l'auberge du relais.
Je veux une chambre calme et qu'on me fasse monter une bouteille de vin, des fraises et de quoi écrire dis je à l'aubergiste en claquant une poignée de pièces sur le comptoir. Et une stalle fraiche pour mon cheval, qu'on l'étrille et lui donne de quoi pouvoir repartir demain à l'aube.
Les escaliers qui mènent à l'étage où sont les chambres sont gravis dans la foulée et après avoir retiré mes vêtements de voyage, m'être baignée pour laver toute cette fatigue, je m'installe face au secrétaire en attendant que l'aubergiste me fasse monter ma commande.
Wat,
J'ai préféré ne pas m'attarder ce matin et vous laisser dormir du sommeil du juste.
Rester plus longtemps n'aurait fait que repousser l'inéluctable : nous savons tous les deux de quel bois nous sommes faits et notre complicité aurait fini par virer à une routine que, ni vous, ni moi, ne souhaitons voir s'installer entre nous.
Et puis, je ne me vois pas vous coller aux basques et traîner à votre suite dans les rues que vous fréquentez.
De même, je n'aurais pas supporté de devoir vous rendre des comptes sur mes faits et gestes quotidiens.
Nous sommes tous deux trop indépendants pour accepter d'être entravés. c'est libre, effronté, insolent et machiavéliquement pervers que je vous aime.
Vous avez su me rattraper à un moment où je croyais avoir perdu jusqu'à mon identité. C'est vrai que je reviens de loin mais n'ai-je pas dit que c'était comme ça que je concevais l'amour ? J'en mourrai certainement un jour, c'est évident. Mais tant que ma cervelle n'aura pas éclaté pour de bon et surtout tant que j'aurai des amis tels que vous, à la fois totalement détachés de tout et extrêmement conscients de la réalité, je survivrai au pire.
Grâce à vous, j'ai pu me libérer de cette gangue poisseuse qui m'emprisonnait et m'étouffait. L'abaddon m'a quittée, enfin.
Grâce à vous, à la douceur caressante de vos mots, grâce à l'exquise perversité de votre allure d'ange déchu, grâce à l'alcôve et enfin grâce à la pudeur que vous avez su préserver, comprenant tout sans que j'aie jamais rien eu besoin de vous expliquer, j'ai repris goût à la vie et je vous en remercie.
Je file à présent retrouver mes enfants, bien décidée à leur faire oublier les heures sombres de ces derniers mois. Ils sont ma vie et ma force et la lumière qui éclaire mes pas.
Etre loin d'eux m'est viscéralement insupportable.
Je ne pense pas que vous puissiez comprendre la force du lien qui m'unit à eux ;les hommes n'ont pas cette capacité à ressentir la même intensité que les femmes dans l'amour filial, mais vous pouvez déjà imaginer quelque chose de grandiose et d'extraordinaire et multipliez le par mille. Ça vous donnera un aperçu.
Cependant, l'instruction est loin d'être terminée puisque finalement, nous n'avons presque rien abordé et pour cause ! Mettez deux vieux complices dans une bassine de flotte et demandez leur de rester de marbre ! Nous avons tenu combien ? Dix minutes, un quart d'heure ? Que disent vos statistiques à ce sujet ?
D'autres amants, d'autres maîtresses traverseront nos vies. Il y aura d'autres joies, d'autres aventures, d'autres larmes aussi mais le lien qui nous unit depuis tant d'années est, lui, indéfectible.
Je vous embrasse Wat-Mont.
A vite.
Hilde
Dès que l'épouse de l'aubergiste passe la porte pour m'apporter le repas, je lui remets le pli.
La nuit sera courte. J'ai de la route à faire.
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Le relais postier m'accueille au moment où la nuit tombe et ma monture renâcle, les flancs et l'encolure écumants, épuisé d'avoir parcouru autant de distance en une journée.
Quant à moi, je ne vaux pas plus cher : mes jambes se font guimauve à l'instant où elles touchent le sol pour la première fois depuis mon départ du matin et la sueur colle les mèches qui s'échappent de mes tresses. Je m'accroche à la crinière de mon cheval, mes doigts serrés dans ses crins pour ne pas m'effondrer, le front posé contre le cuir de ma selle.
L'animal et moi soufflons un instant, puis je soulève le quartier de la selle et libère le hongre de la pression de la sangle en détendant la sous ventrière de trois trous.
Un palefrenier vient récupérer ma monture et j'entre dans l'auberge du relais.
Je veux une chambre calme et qu'on me fasse monter une bouteille de vin, des fraises et de quoi écrire dis je à l'aubergiste en claquant une poignée de pièces sur le comptoir. Et une stalle fraiche pour mon cheval, qu'on l'étrille et lui donne de quoi pouvoir repartir demain à l'aube.
Les escaliers qui mènent à l'étage où sont les chambres sont gravis dans la foulée et après avoir retiré mes vêtements de voyage, m'être baignée pour laver toute cette fatigue, je m'installe face au secrétaire en attendant que l'aubergiste me fasse monter ma commande.
Wat,
J'ai préféré ne pas m'attarder ce matin et vous laisser dormir du sommeil du juste.
Rester plus longtemps n'aurait fait que repousser l'inéluctable : nous savons tous les deux de quel bois nous sommes faits et notre complicité aurait fini par virer à une routine que, ni vous, ni moi, ne souhaitons voir s'installer entre nous.
Et puis, je ne me vois pas vous coller aux basques et traîner à votre suite dans les rues que vous fréquentez.
De même, je n'aurais pas supporté de devoir vous rendre des comptes sur mes faits et gestes quotidiens.
Nous sommes tous deux trop indépendants pour accepter d'être entravés. c'est libre, effronté, insolent et machiavéliquement pervers que je vous aime.
Vous avez su me rattraper à un moment où je croyais avoir perdu jusqu'à mon identité. C'est vrai que je reviens de loin mais n'ai-je pas dit que c'était comme ça que je concevais l'amour ? J'en mourrai certainement un jour, c'est évident. Mais tant que ma cervelle n'aura pas éclaté pour de bon et surtout tant que j'aurai des amis tels que vous, à la fois totalement détachés de tout et extrêmement conscients de la réalité, je survivrai au pire.
Grâce à vous, j'ai pu me libérer de cette gangue poisseuse qui m'emprisonnait et m'étouffait. L'abaddon m'a quittée, enfin.
Grâce à vous, à la douceur caressante de vos mots, grâce à l'exquise perversité de votre allure d'ange déchu, grâce à l'alcôve et enfin grâce à la pudeur que vous avez su préserver, comprenant tout sans que j'aie jamais rien eu besoin de vous expliquer, j'ai repris goût à la vie et je vous en remercie.
Je file à présent retrouver mes enfants, bien décidée à leur faire oublier les heures sombres de ces derniers mois. Ils sont ma vie et ma force et la lumière qui éclaire mes pas.
Etre loin d'eux m'est viscéralement insupportable.
Je ne pense pas que vous puissiez comprendre la force du lien qui m'unit à eux ;les hommes n'ont pas cette capacité à ressentir la même intensité que les femmes dans l'amour filial, mais vous pouvez déjà imaginer quelque chose de grandiose et d'extraordinaire et multipliez le par mille. Ça vous donnera un aperçu.
Cependant, l'instruction est loin d'être terminée puisque finalement, nous n'avons presque rien abordé et pour cause ! Mettez deux vieux complices dans une bassine de flotte et demandez leur de rester de marbre ! Nous avons tenu combien ? Dix minutes, un quart d'heure ? Que disent vos statistiques à ce sujet ?
D'autres amants, d'autres maîtresses traverseront nos vies. Il y aura d'autres joies, d'autres aventures, d'autres larmes aussi mais le lien qui nous unit depuis tant d'années est, lui, indéfectible.
Je vous embrasse Wat-Mont.
A vite.
Hilde
Dès que l'épouse de l'aubergiste passe la porte pour m'apporter le repas, je lui remets le pli.
La nuit sera courte. J'ai de la route à faire.
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