Archibalde
1er octobre 1469
Après deux longues années de dur labeur le champ avait enfin fleuri. Deux années d'un travail harassant, difficile, avec des hauts et des bas, quelques esclandres et beaucoup de désir, une persévérance à toute épreuve et quelques coups de chance et du destin : voilà. Le jour était enfin arrivé. On pourrait probablement croire que la relation des deux bruns était de passage, fugace et volatile, que c'était -comme disait sa soeur- la nouvelle lubie d'Archibalde. Mais il n'en était rien. Après ce marathon de longue haleine il pouvait enfin jouir de l'objet de sa convoitise. Combien d'amants, combien de mariages s'étaient mis en travers du leur depuis le jour de leur rencontre ? On ne les comptait plus vraiment. Il y avait eu des morts aussi, des disparus, des ressuscités, autant d'évènements qui s'enfilaient comme des perles sur le fil de leur histoire pour tisser cette drôle d'épopée.
On pourrait disserter des heures et des heures sur l'amour, dire qu'Andréa c'était la femme en qui il retrouvait toutes ces choses qu'il aimait tant, que si la terre ne devait en comptait qu'une ce serait elle, et tant d'autres choses encore. Mais ce ne serait pas suffisant. Archibalde cultivait les femmes comme on cultive les fleurs, et il était persuadé que, à l'instar de toute cette flore, certains paramètres devaient être réunis afin qu'elles s'épanouissent au mieux. Alors depuis qu'elle était revenue, le vieux bougon s'attachait à avoir la main verte sans toutefois renier ce qu'il était. Il avait à coeur de lui offrir tout ce qu'elle n'avait jamais eu par le passé. Il y avait là-dedans un peu d'orgueil c'est vrai, mais aussi beaucoup de dévotion. Voilà quelques semaines déjà qu'il prévoyait cette affaire, l'endroit, les fleurs, un officiant, les invités -bien qu'il n'ait envoyé les invitations qu'à la dernière minute pour éviter les perturbateurs.
Il s'était levé de bonne heure, s'était accordé avec les divers artisans qui devaient intervenir aujourd'hui. Dans le fond du jardin, là où la colombe n'avait pas vue depuis la fenêtre, il avait fait installer quelques chaises pour les présents du jour. Il avait d'abord pensé à faire une cérémonie à deux, avec simplement eux. Et puis il s'était dit qu'il ne voulait pas expédier ce moment, qu'il gagnerait à garder un caractère solennel malgré tout. Enfin, c'était quelque temps plus tard que les mots d'Hevalia le confortèrent dans son choix. Il se rendit toutefois vite compte qu'organiser pareille chose tout seul n'était pas chose aisée. Ce n'était pas un homme particulièrement organisé, mais plutôt terriblement procrastinateur, et qui jugeait que toutes ces affaires de décoration étaient surtout l'apanage des femmes (ou que, du moins, elles avaient probablement meilleur goût que lui). Il était peintre à ses heures perdues, certes, mais ce n'était pas tout à fait la même chose. Il aborda donc la scène comme un immense tableau. Deux rangées de chaises, un espace pour l'officiant qui se trouvait face à la fontaine de grès blanc. On trouvait çà et là, de manière ordonnée, des arrangements composés d'arums, d'autre d'asters et de colchiques d'automnes pour rester dans des tons blancs et mauves. Il avait fait monter depuis la cave un bon nombre de ces bouteilles de vin italien qui sommeillaient depuis un certain temps déjà et, puisque la pauvre Charlotte n'aurait pu assurer toute seule le service d'un tel repas, il engagea des aides pour la journée. Nous étions certes loin des très grands mariages plein de pompe et de faste que l'on pouvait trouver vers Paris et ses alentours. Ici, c'était parfait. Un petit nid dans la campagne Limougeaude, calme, paisible, silencieux, loin de tout et proche de chacun à la fois. Malgré le va et vient des différents employés tout était relativement silencieux. Il était encore tôt.
Il inspira alors longuement en lissant les plis de sa veste, remis de l'ordre dans les cheveux -qui lui restaient- et alla s'emparer du bouquet confectionné par le fleuriste quelques instants plus tôt. Il pris la direction de l'étage avec ce je-ne-sais-quoi d'angoisse au fond du ventre. Et si tout ça ne lui plaisait pas ? Et si elle avait changé d'avis ? Et si, et si , et si ? Il la trouva finalement dans leur chambre et l'observa d'un oeil par l'embrasure de la porte. Il prit le temps de détailler ses gestes, son visage et sans qu'il ne s'en rende compte il se mit à sourire. Il frappa ensuite contre le bois pour s'annoncer et entra. Il ne dit rien pour un temps, se contentant de lui tendre les fleurs. Et puis :
Epouse moi Andréa. Aujourd'hui.
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