Fanette_
Limoges, le 14 mars 1466
Bien étrange fin d'une journée qui pourtant, avait déroulé son cours en suivant une routine quasi-quotidienne. Fanette s'était installée dans un coin de la salle commune, comme chaque soir, s'efforçant d'oublier son humeur chafouine de la vieille en écoutant distraitement son tavernier et Nusha rire et se chamailler comme deux enfants. Ces deux-là avaient le mérite d'égayer ses soirées, et souvent même, d'accrocher un sourire amusé à ses lèvres.
Routine quasi-quotidienne, dans laquelle la fauvette expliquait encore à Janis qu'on ne pouvait pas interpeller les clients de l'auberge avec des sobriquets déplaisants. Non seulement c'était méchant pour ceux qui s'en voyaient affublés, mais si l'argument ne semblait guère le toucher, elle pouvait aussi préciser que c'était mauvais pour les affaires, et qu'on devait s'efforcer de choyer les convives plutôt que de les faire fuir.
Routine quasi-quotidienne encore quand la porte s'était ouverte, comme chaque soir, sur Limougeauds et voyageurs qui venaient ici, se mettre au chaud pour manger une assiette de soupe ou siroter une cervoise.
Pour la routine, ça c'était achevé là. La jeune femme clôturait plus ou moins facilement les comptes de la journée de la veille quand la Danoise était entrée. Sa haute silhouette semblait avoir retrouvé un maintien similaire à celui qu'elle avait avant d'être mère. Les quelques chemises colorées qu'elle avait adoptées à la Rochelle, étaient de nouveau reléguée au profit des vêtements d'homme, de couleur sombre, voire totalement noire, et elle portait à l'avenant ses cheveux désordonnés sur ses épaules.
Difficile de décrire les émotions contradictoires qui venaient d'empoigner Fanette en cet instant. La joie assurément, car, si elle n'en disait rien, l'amitié gâchée qu'elle portait à cette presque sur lui manquait terriblement. L'espoir, celui de la voir sourire, de la savoir enfin heureuse et épanouie. Mais aussi la rancur, pour s'être sentie coupable et ingrate tant de fois, quand il n'y avait pas lieu, l'amertume, pour avoir été la seule à si souvent s'excuser. Et enfin la crainte de verser d'autres larmes, si une fois de plus elle balayait d'un geste toutes les fâcheries et les mensonges blessants.
Svan avait respecté une raisonnable distance, s'installant à la même table, mais certainement pas aussi près qu'elle l'aurait fait avant. Si l'échange était cordial, Fanette s'était campée dans une réserve circonspecte, jouant une fois de plus son rôle d'épouse heureuse et comblée. La Danoise se livrait ou questionnait d'un ton résolument distant qui contrastait avec l'il inquisiteur qui détaillait la fauvette.
Elle savait. Quel besoin de cacher l'absence de son diable, le manque, l'inquiétude, la vulnérabilité ou la peur du lendemain. La brune la connaissait suffisamment pour déceler tout cela dans ses affirmations faussement assurées, dans son regard un brin fuyant, ses traits fatigués ou ses mains qu'elle pressait parfois l'une contre l'autre un peu nerveusement.
Elle savait et pourtant Fanette persistait à lui mentir, répondant par l'affirmative à chaque question qui méritait réponse différente.
- Roman est ici ?
- Oui.
- Tu es heureuse ?
- Oui.
- Tu es bien sûre ? Roman est à Limoges ?
- Oui.
- Tout va bien ?
- Oui.
Et la future mère prenait sur elle pour ne pas ciller, persuadée à tort ou à raison, que Svan, tout comme Léorique la veille, ne se souciait guère de savoir si elle allait réellement bien ou non. Elle mentait donc, à son tour, quand elle aurait voulu se jeter dans ses bras, lui abandonner les larmes qu'elle réservait à son oreiller, lui livrer tout de ses tourments, et recueillir les siens à nouveau, comme avant, quand elles ne s'épargnaient aucune confidence. Elle voulait savoir pourquoi l'arcade Danoise, même dans la lueur de la chandelle, semblait noire et tuméfiée, pourquoi ses mains et ses avant-bras portaient des traces de coups, pourquoi elle avait la mine sombre et fatiguée des jours où elle l'avait connu...
Elle devrait sans doute choisir de la détester, pour de bon, durablement, définitivement, et tourner la page sur ces mois de complicité sororale, tout à la fois affectueuse, confiante et compréhensible, mais elle en était incapable, parce qu'en vérité, elle n'avait jamais cessé de l'aimer comme une sur. D'ailleurs en cet instant, le cur battant si fort qu'elle craignait que Svan ne l'entende, elle ne savait rien faire d'autre que de nouer nerveusement ses mains en attendant que le temps suspendu à ce moment de tension palpable reprenne son cours normal, sa routine quasi-quotidienne.
Un claquement de porte allait y mettre un terme, enfin ... quoique, la silhouette qui s'avançait, révélée progressivement par le halo des chandelles nombreuses et de quelques lampes à huile soulevèrent deux sourcils ébahis chez la propriétaire des lieux. Aucun doute que ses jambes se seraient dérobées de surprise si elle n'avait pas déjà été assise. Elle avait calmé son cur, s'était efforcé de reprendre contenance, posant dans sa voix plus d'assurance qu'elle n'en avait en réalité avant d'accueillir le nouveau convive comme il se devait.
- Vous n'êtes pas le bienvenu ici Lucus, sortez !
Alors oui, peut-être allait-elle perdre là toute crédibilité auprès de son tavernier, mais, sur l'instant, elle n'avait rien su dire de plus aimable et de plus accueillant.
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Bien étrange fin d'une journée qui pourtant, avait déroulé son cours en suivant une routine quasi-quotidienne. Fanette s'était installée dans un coin de la salle commune, comme chaque soir, s'efforçant d'oublier son humeur chafouine de la vieille en écoutant distraitement son tavernier et Nusha rire et se chamailler comme deux enfants. Ces deux-là avaient le mérite d'égayer ses soirées, et souvent même, d'accrocher un sourire amusé à ses lèvres.
Routine quasi-quotidienne, dans laquelle la fauvette expliquait encore à Janis qu'on ne pouvait pas interpeller les clients de l'auberge avec des sobriquets déplaisants. Non seulement c'était méchant pour ceux qui s'en voyaient affublés, mais si l'argument ne semblait guère le toucher, elle pouvait aussi préciser que c'était mauvais pour les affaires, et qu'on devait s'efforcer de choyer les convives plutôt que de les faire fuir.
Routine quasi-quotidienne encore quand la porte s'était ouverte, comme chaque soir, sur Limougeauds et voyageurs qui venaient ici, se mettre au chaud pour manger une assiette de soupe ou siroter une cervoise.
Pour la routine, ça c'était achevé là. La jeune femme clôturait plus ou moins facilement les comptes de la journée de la veille quand la Danoise était entrée. Sa haute silhouette semblait avoir retrouvé un maintien similaire à celui qu'elle avait avant d'être mère. Les quelques chemises colorées qu'elle avait adoptées à la Rochelle, étaient de nouveau reléguée au profit des vêtements d'homme, de couleur sombre, voire totalement noire, et elle portait à l'avenant ses cheveux désordonnés sur ses épaules.
Difficile de décrire les émotions contradictoires qui venaient d'empoigner Fanette en cet instant. La joie assurément, car, si elle n'en disait rien, l'amitié gâchée qu'elle portait à cette presque sur lui manquait terriblement. L'espoir, celui de la voir sourire, de la savoir enfin heureuse et épanouie. Mais aussi la rancur, pour s'être sentie coupable et ingrate tant de fois, quand il n'y avait pas lieu, l'amertume, pour avoir été la seule à si souvent s'excuser. Et enfin la crainte de verser d'autres larmes, si une fois de plus elle balayait d'un geste toutes les fâcheries et les mensonges blessants.
Svan avait respecté une raisonnable distance, s'installant à la même table, mais certainement pas aussi près qu'elle l'aurait fait avant. Si l'échange était cordial, Fanette s'était campée dans une réserve circonspecte, jouant une fois de plus son rôle d'épouse heureuse et comblée. La Danoise se livrait ou questionnait d'un ton résolument distant qui contrastait avec l'il inquisiteur qui détaillait la fauvette.
Elle savait. Quel besoin de cacher l'absence de son diable, le manque, l'inquiétude, la vulnérabilité ou la peur du lendemain. La brune la connaissait suffisamment pour déceler tout cela dans ses affirmations faussement assurées, dans son regard un brin fuyant, ses traits fatigués ou ses mains qu'elle pressait parfois l'une contre l'autre un peu nerveusement.
Elle savait et pourtant Fanette persistait à lui mentir, répondant par l'affirmative à chaque question qui méritait réponse différente.
- Roman est ici ?
- Oui.
- Tu es heureuse ?
- Oui.
- Tu es bien sûre ? Roman est à Limoges ?
- Oui.
- Tout va bien ?
- Oui.
Et la future mère prenait sur elle pour ne pas ciller, persuadée à tort ou à raison, que Svan, tout comme Léorique la veille, ne se souciait guère de savoir si elle allait réellement bien ou non. Elle mentait donc, à son tour, quand elle aurait voulu se jeter dans ses bras, lui abandonner les larmes qu'elle réservait à son oreiller, lui livrer tout de ses tourments, et recueillir les siens à nouveau, comme avant, quand elles ne s'épargnaient aucune confidence. Elle voulait savoir pourquoi l'arcade Danoise, même dans la lueur de la chandelle, semblait noire et tuméfiée, pourquoi ses mains et ses avant-bras portaient des traces de coups, pourquoi elle avait la mine sombre et fatiguée des jours où elle l'avait connu...
Elle devrait sans doute choisir de la détester, pour de bon, durablement, définitivement, et tourner la page sur ces mois de complicité sororale, tout à la fois affectueuse, confiante et compréhensible, mais elle en était incapable, parce qu'en vérité, elle n'avait jamais cessé de l'aimer comme une sur. D'ailleurs en cet instant, le cur battant si fort qu'elle craignait que Svan ne l'entende, elle ne savait rien faire d'autre que de nouer nerveusement ses mains en attendant que le temps suspendu à ce moment de tension palpable reprenne son cours normal, sa routine quasi-quotidienne.
Un claquement de porte allait y mettre un terme, enfin ... quoique, la silhouette qui s'avançait, révélée progressivement par le halo des chandelles nombreuses et de quelques lampes à huile soulevèrent deux sourcils ébahis chez la propriétaire des lieux. Aucun doute que ses jambes se seraient dérobées de surprise si elle n'avait pas déjà été assise. Elle avait calmé son cur, s'était efforcé de reprendre contenance, posant dans sa voix plus d'assurance qu'elle n'en avait en réalité avant d'accueillir le nouveau convive comme il se devait.
- Vous n'êtes pas le bienvenu ici Lucus, sortez !
Alors oui, peut-être allait-elle perdre là toute crédibilité auprès de son tavernier, mais, sur l'instant, elle n'avait rien su dire de plus aimable et de plus accueillant.
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