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[RP] Il lupo e l'uccellino*.

Thibault_




    Tandis que Jagan s'adoucissait peu à peu, Thibault hochait du chef. Evidemment, le "je me méfie de vous" avait du mal à passer. Ca faisait toujours plaisir d'entendre ça de la part d'un pote, c'est sur. A croire que Saint Clément reuf n'avait pas de vie propre indépendamment des frasques de sa soeur.

      - Nom d'un roux de Tartasse... Je rêve ou vous allez vous plaindre -vous !- d'être pauvre ? Tu ne vas pas aussi te mettre à larmoyer comme une jeune fille, tant qu'on y est ?

    Un grognement échappa à Thibault qui, pourtant bon prince, s'était résolu à quelques concessions.

      - Pour le désagrément occasionné, je paie déjà les consommations. Et tu as clairement besoin de t'aérer l'esprit, l'ami. Vous devriez plutôt me remercier. Quant à Anco...

    Un sourire charmeur coula jusqu'à la jeune assistante, avec ce truc dans le regard : "on s'appelle ?". Incorrigible.

      - Anco est bien libre de faire ce qui lui plait, en ce qui me concerne.

    Puis comme il reportait son attention sur Jagan, la mine du Clémentin (ça rime avec lamentin, vous avez déjà remarqué ?) se fit à nouveau plus sérieuse. Il prit la peine de quitter son assis-debout pour rejoindre blond ami. Une chaise pivota pour lui faire face et le jeune homme s'installa, un coude nonchalamment appuyé contre le meuble qui lui avait précédemment servi de repose-cul et visage légèrement incliné vers le haut pour zieuter le fils de Hallvar dans les mirettes... C'est ça qui était fatiguant avec Jagan. Non pas que Thibault complexait face au géant (Très peu pour lui ! Il était bien heureux de ne pas se cogner en passant les portes !), juste qu'il souffrait souvent les lendemains de soirée d'une nuque douloureuse.

      - Oui... J'ai besoin de vous pour une sale affaire sur Bourganeuf.

    Sur ces mots, une main du jeune homme s'éleva pour aller se perdre dans ses cheveux châtains qu'il ébouriffa pensivement. Foutre un souk capillaire au sommet de son crâne l'aidait à mettre de l'ordre dans ses pensées. Une histoire de vases communicants, il parait.

      - C'est le Spitz qui va mal. Léonard... Tu remets son nom ?

    Pour être bien sur que le doc fasse le rapprochement, Thibault mima alors de sa main libre et avec un talent certain des mâchoires canines claquant et cherchant à se saisir d'une fesse. Monsieur Léonard Spitz, carne de la famille Saint Clément plus sûrement que nul autre humain, tête à claques ou non, ne saurait l'être. Qui ignorait encore qu'un tel démon avait un jour posé le pied en Marche, franchement ? Et pire encore ! La bête avait habité Limoges en compagnie de sa maîtresse. Chien de sac à main qui avait un jour terrorisé la capitale. Un monstre à 4 pattes, pourvu de griffes heu... bon mais il avait les dents pointues en tout cas !

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Nulle défaite, quand on se bat avec honneur.
Philia_crescentia


Soir du 24 Février :

Peut-être que, en restant dans cette chambre, tout cela ne serait jamais arrivé...

Peur, colère... Peine... Tout se bousculait, les fleurs périssaient, ces bourgeons qui avaient germé pour n'être que mieux piétinés... Pourquoi avait-il fallu que des fragments de sa mémoire volontairement oubliés réémergent du chaos sans nom qu'était son esprit? Et dire qu'elle avait réchappé à la folie pure et sans retour de Shudul de justesse... Lutte interminable que les deux facettes de la même pièce menaient pour prendre le dessus sur l'autre, inconsciemment ou non.

Peut-être que le Très Haut se jouait d’elle, à lui offrir la lumière pour la reprendre aussitôt…

Si cela n’avait pas été pour son ventre rond, Satela aurait couru se réfugier dans l'auberge de sa plus grande amie. Si Fanette avait été là, elle aurait probablement versé toutes les larmes de son corps comme elle l'avait fait deux ans auparavant après la disparition du crocodile. Sauf que, cette fois, cela n'aurait pas été pour son absence : cela aurait été pour sa présence.

La joue meurtrie, la chevelure blonde s'enferma à double tour avant de laisser glisser son dos le long de la porte. Quelques gouttes silencieuses parlaient à ses yeux. Elle ne comprenait pas. La haïssait-il car elle avait oublié qui il était? De son côté, elle ne pouvait toujours pas le détester et ce, malgré la colère qui emplissait son coeur à son égard. Ce n'était pas la première fois qu'il lui infligeait une blessure corporelle mais c'était bien la première fois que la haine lui était vraiment destinée. Ses souvenirs revenaient comme une explosion provoquée par un seul mot : "crocodile". Le lapin et le crocodile… Finalement il aura dévoré le lapin.

Si seulement tout avait été différent…


C'était donc lui, l'homme sans visage dont elle avait plusieurs fois rêvé. La forêt… La nuit noire… ce mélange de peur et d'excitation alors que son cou était enserré… Cela était-il étrange de souhaiter revenir à ce moment précis? Tout lui paraissait beaucoup plus simple alors…


- Décidément… Ce n'était vraiment pas fait pour nous deux… Comment j'ai pu croire que cela aurait pu marcher...
"Tu es bien trop naïve mon enfant, et les hommes en profitent pour se jouer de toi."


Qu'est ce que cela pouvait bien lui faire? Après tout cela avait toujours fait partie de sa vie. Les mots de Shudul ne l'atteignaient plus depuis l'histoire du verger. Si les hommes se jouaient d'elle, ce n'était déjà plus le cas de l'ombre planant à l'intérieur de son esprit.

- Laisse-moi tranquille, je t'ai pas demandé ton avis.

C'est en essuyant les quelques larmes de son visage que l'espagnole se releva difficilement. La fatigue la prenait, tout comme l'envie inattendue de le revoir, d'éloigner toutes ces femmes de lui. Il était tout de même le premier qu'elle avait vraiment aimé et le père de son enfant.

- Tu ne l'auras pas Jean, je sais que tu es beaucoup plus dangereux pour lui que moi… Je sais comment tu es…

Dans ce murmure, elle plongea dans le plus profond des sommeils. Un sommeil torturé par le cauchemar de son enfant arraché.
Fanette_
    Limoges, 31 mars 1468

La justice tourangelle n'en avait pas fini avec Fanette, mais en attente du verdict, on avait consenti à la remettre en liberté, sous réserve qu'elle se tienne à disposition. Après tout, entre les plaidoiries et l'issue du procès, n'était-elle pas encore présumée innocente ? Le retour à Limoges s'était fait discret, et la fauvette s'était recluse dans son auberge. Elle tentait de se rassurer. Après tout, les Corleone avaient tout intérêt à se tenir tranquilles s'ils voulaient conserver auprès de la juge de Touraine l'image d'honnêtes victimes.Puis si ça ne suffisait pas, ses compagnons de route s'étaient entendus pour ne jamais la laisser seule.

Les festivités de la Saint Patrick s'achevaient et la jeune Mahaut n'avait pas su où donner de la tête en l'absence de la tenancière. Les réserves étaient vides, et la jeune fille, peu habituée à d'aussi abondantes recettes avait planqué la cassette débordante d'écus sous une lame du plancher de la chambre, tout au bout de la maison. Au matin de son arrivée, après lui avoir remis une partie des gains, la fauvette l'avait libérée. Elle devrait reprendre bien assez tôt son poste al lupo, puisque l'Angevine ne pourrait décemment pas s'attarder dans sa maison où elle finirait par ne plus être en sécurité.

Elle soupira à ce constat, et se mit au travail mais il fallait se rendre à l'évidence. Elle avait opéré comme elle en avait l'habitude, regroupant à son bureau les pièces par petites piles de six écus, le prix moyen d'un pain. Mais il y en avait tant qu'elle était bien incapable de les compter. Terrence lui avait proposé son aide, et tandis qu'il s'affairait à la comptabilité de l'auberge, elle s'était installée dans le fauteuil avec la petite Myrrha. Après quelques jours d'un voyage partagé, l'enfançon ne manifestait plus aucune inquiétude quand son père la confiait aux bras maternels de la fauvette. Et l'Angevine trouvait réconfort dans les sourires du bébé, dans l'odeur de lait du fin duvet blond qui couvrait son crâne encore mou, même si son cœur s'étreignait alors d'une douce mélancolie, plus encore depuis que son fils avait été placé, le temps du procès, sous la protection du saint Sépulcre.

– Sept-mille-huit-cent-soixante-huit écus et quarante deniers !

Impossible ! Comment en deux soirs seulement, les recettes de l'auberge avaient pu atteindre ce chiffre mirobolant ?

– Vous êtes sûr ?

Le barbu confirmait, sous le regard ahuri de la fauvette. Au moins, elle avait de quoi payer ses dettes et le salaire des journaliers qui s'occupaient des quelques acres de terre qu'elle cultivait pour compléter ses revenus. Ses lèvres effleurèrent le front du nourrisson qu'elle rendit à son père avec un aimable sourire de remerciement, et s'attela à écrire au négociant pour faire remplir sa cave d'autant de fûts qu'il en avait été consommé. La saint Patrick avait quelques avantages.

De nombreuses corvées occupèrent encore Fanette ce jour tout à la fois de retour et de prochain long départ. Elle avait néanmoins pris le temps, un bras noué à celui de l'Anglais, d'aller voir la tombe de Stella. Elle pouvait admettre que l'endroit était paisible, et bien moins triste que le cimetière de la ville. La Piccollina dormirait à jamais, à deux pas du fleuve, bercée du murmure du vent dans les feuillages du hêtre qui lui offrirait un éternel refuge.
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Fanette_
    Au soir du même jour.

Théo partait. Il avait ramené la jeune mère à Limoges, ainsi qu'il l'avait promis, mais il avait des engagements à tenir vis-à-vis du Saint-Sépulcre, le défi à relever d'un de ses frères d'armes et un joli minois à conquérir, si ce n'était déjà à moitié fait. Autant de bonnes raisons de s'éloigner de nouveau de la fauvette, en promettant cette fois-ci de ne pas rester absent pour les quatre prochaines années. Et pour contrer la morosité ambiante, le soldat avait eu une idée lumineuse ... ou pas, quand Fanette avait glissé sur le comptoir une bouteille de prune à emporter dans les fontes de sa selle.

– On va faire mieux que ça, on va la boire, ici, et maintenant.

Les godets étaient sifflés, les uns après les autres, et Fanette qui buvait rarement autre chose que de la tisane ou du lait parfumé, les descendait sans rechigner à chaque fois que Théo la resservait. Et, au fur et à mesure que la vue se troublait, que les gestes se faisaient plus imprécis, les rires coulaient des gorges et les propos devenaient légèrement surréalistes. Sans doute l'étaient-ils plus encore quand l'Oisal les avait rejoint, flanquée d'un chou dont quelques feuilles dépassaient de sa cotte et d'un Germain.
Dans un geste très approximatif, la cabaretière avait servi les nouveaux venus, accoudés au comptoir avec eux. Théo hurlait on ne sait trop quoi avant de lever son verre, à l'attention de tous.

– On a l'alcool mélancolique hein Bambi ?
– Parle pour toi, lui avait rétorqué la fauvette goguenarde, j'suis pas mélancolique moi. J'suis mélancolique ?

Il avait tant secoué la tête qu'il s'était vautré sur le sol, en bousculant au passage Rouge qui dessinait sur le comptoir des yeux, ou des seins, ou … ce qu'elle avait décidé de laisser à l'appréciation des camarades de beuverie.

– Alors, des yeux ou des seins ?
– Des .. euh … des … t'as une idée Bambi ?
– Des yeux ! trancha le Germain.
– Faux ! surenchérit Rouge Gorge qui avait, quoi qu'il arrive, décidé de dire l'inverse.

Evidemment, ses qualités de dessinatrices lui avaient valu quelques moqueries quant à ses éventuels modèles qui n'avaient pas manqué de faire rire encore la petite assemblée. Jusqu'à ce que, pour la plus grande joie de l'Oisal, Théo décide que l'heure serait à la philosophie, discipline difficile quand on ponctue chaque phrase d'un hoquet tonitruant.

– Admettons que ce soient des yeux, mais qu'ils ne se définissent comme tels que parce que précisément, ils ne sont pas des seins.
– La poule en premier !
– L’œuf d'abord ! Il se peut même qu'ils affirment n'être pas des yeux, parce que n'étant pas des seins, ils se rendent compte qu'ils ont en fait des fesses. D'où, l’œuf en premier.

Quand on dit surréaliste, pourtant, même en désaccord, Théodemar et Rouge gorge semblaient se comprendre, chacun défendant sa théorie avec conviction. Ludry écoutait, ayant vaguement compris qu'on parlait de seins, ou pas, tout en couvant d'un œil intrigué la blonde ivre qui vérifiait d'un geste de la main qu'elle avait encore tout à la bonne place.

– Qu'est-ce qu'elle fait ?
– Une danse barbare qu'on nomme Macarena.*
– Elle lui apprend ?

Même pompette, il était des mots qu'il ne fallait pas prononcer devant Fanette.

– Qui danse ?
– Toi Fauvette.

Un large sourire s'étala sur le visage taché de son. Elle contourna son comptoir.

– Théo, musique !

Le soldat n'avait pas attendu pour sortir son luth et en gratter les cordes. L'Angevine attrapa les mains que Ludry tendait déjà vers elle. Il s'en saisit pour la ramener à lui, coulant sa paluche au dos féminin pour mieux assurer sa prise.
Quelle équipe : le musicien hurlait à tue-tête et de manière plus ou moins juste, de sorte qu'on n'entendait à peine son instrument. Le Germain tentait de convaincre une fauvette trop éméchée pour comprendre, de lui laisser poser ses pattes sur elle, et Rouge-Gorge tournoyait en faisant les yeux doux à un chou qu'elle effeuillait patiemment. C'était à qui aurait la palme du meilleur dialogue de sourds.

– Allez chouchou, encore quelques pas de danse. T'es à croquer tu sais, même si t'es un peu dur de la feuille, gueulait-elle au légume qui restait totalement insensible à ses charmes.

Et à côté, virevoltant de même, les échanges n'obtenaient pas meilleure compréhension.

– Tu sens bon, tu sens comme dans les collines chez mon oncle, confiait la fauvette rêveuse à son cavalier.
– C'est presque comme chez son oncle.
– Sauf que j'dansais pas.
– Presque mais en mieux alors.
– Ah oui ! En mieux oui. Danse et herbes sauvages, on fait pas mieux non ?
– Ja, c'est toujours mieux quand c'est sauvage, répondait-il, la voix posée, presque calculatrice, tandis qu'il coulait un pouce le long de ses vertèbres jusqu'au creux de sa taille.

Et pendant ce temps-là, Théo chantait toujours à tue-tête, l'Oisal contait des salades à son chou, et Fauvette causait de caresser des bruyères au Germain, qui, le sourire carnassier, lui chuchotait en retour avoir un faible pour les nouveaux paysages. Finalement, Rouge abandonna l'idée de séduire le chou, il était bon pour la soupe. Théo s'était arrêté de chanter, mais le Germain déplaçait savamment ses pattes pour explorer l'air de rien quelques parcelles Angevines, quand ses pieds entraînaient encore sa cavalière éméchée dans la danse. Et Fanette aurait aussi bien pu danser ainsi toute la nuit, sans se soucier qui, d'un Germain embaumant le thym, d'un Anglais protecteur ou d'un souvenir Italien la tenait dans ses bras. Mais c'est Théo qui mit un terme aux rêveries, rappelant à la fauvette pourquoi ils s'étaient enivrés en début de soirée.

– C'est l'heure Bambi !
– Non Théo, tu peux pas partir quand j'danse avec le sieur Garrigue. protestait-elle

Ludry avait alors libéré son otage, le geste teinté de regret, mais Rouge-Gorge l'entraînait déjà vers d'autres chasses. Alors, le calme était retombée dans la salle commune et le silence de la nuit offrait de nouveau un cocon feutré propice aux confidences. Théo s'était attardé encore un peu, dispensant mille conseils, nourrissant mille inquiétudes que Fanette renvoyait en écho. Cest deux là ne s'étaient pas séparés souvent, mais à chaque fois qu'ils l'avaient fait, des mois, et parfois des années s'étaient écoulés avant de renouer aux liens d'une amitié qui ne ternissait pas.


* Et si Rouge-Gorge était visionnaire ?

Validé par jd Rouge Gorge, jd Theodemar et Jd Ludry

_________________
--Mahaut_belon
    10 juin 1468




Mauhaut,

Cette lettre pour te donner quelques nouvelles, sans doute les dernières que tu recevras de moi avant longtemps. Je ne saurais te dire toute ma gratitude pour t'être occupée de ma taverne toutes ces fois où je me suis absentée, et avoir géré pour moi mes cultures et celle de mes enfants. Je ne sais pas bien ce qui va se passer à présent.

La dernière fois que nous nous sommes vues, Milo était encore sous la garde des autorités tourangelles. Rassure-toi, il est de nouveau avec moi et il va bien. Il a vécu dans la maison de la juge de Touraine, et par chance, Louise, la domestique qui avait la charge de s'occuper de lui avait deux filles, Margot et Jeannette. Milo est un petit garçon qui n'a jamais manqué de courage. Même quand il était séparé de nous, dans ses premiers mois, on m'a dépeint la détermination qu'il a toujours eue dans son regard.
Cependant Mahaut, tu comprendras à présent, que je ne vais pas pouvoir revenir à Limoges avec lui. C'est bien trop tôt. Je ne sais même pas si je pourrais y revenir un jour. Laisse mes terres en jachère, à moins que tu ne veuilles les exploiter pour toi. Si tu le veux, je t'en laisse l'usage, mais dans ce cas, il faudra prendre à ta charge l'impôt foncier.

Pour l'auberge, fait à ta convenance. Je ne pourrais pas venir régler les commandes et prévoir les vivres en suffisance. Je n'en ai guère envie mais, je dois te donner congé. Tu peux continuer à la faire vivre si tu veux, mais dans ce cas, garde pour toi la totalité des recettes et charge-toi du ravitaillement et des taxes, sinon, barricade la bien, qu'on ne vienne pas la piller.

Enfin, il y a une faveur que je voudrais te demander. Mahaut, s'il te plaît, pourrais-tu, au sixième jour de chaque mois, aller rendre visite à ma petite Stella, et lui rappeler combien sa maman l'aime et combien elle nous manque à son grand frère et moi.

Je te remercie pour tout Mahaut, pour ton travail, ton honnêteté, ton dévouement, et ton amitié. Sans ton aide, j'aurai sans aucun doute été contrainte de fermer le lupo dès l'automne 66. Merci. Si tu veux m'écrire de temps en temps pour me donner de tes nouvelles, tu peux envoyer tes courriers à la seigneurie d'Andiran, Citadelle du Rey en Guyenne.

Prends bien soin de toi Mahaut. Et transmets mes amitiés à ta famille.



– Tudieu ! J'l'avais dit qu'ça s'finirait comme ça !

La brunette avisa la salle, par chance, à cette heure, hormis un vieil ivrogne qui cuvait sa bière chaude, personne n'était là pour l'entendre jurer. Elle attrapa son torchon et alla lui retirer sa chope.

– Faudra penser à m'payer mon brave si tu veux que j't'en serve une fraîche.

Mahaut avait beau être jeune, elle ne s'en laissait pas conter. Ça, la Fanette avait fait le bon choix avec elle. Solide, jamais malade, courageuse, honnête, tout en restant aimable, elle ne se laissait pas marcher sur les pieds par le premier péquenaud venu. La Limougeaude avait pris ses habitudes au Lupo depuis le temps qu'elle s'occupait de l'auberge à chaque absence de la tenancière.

Cela dit, celle qui s'annonçait allait être longue, voire indéterminée et l'Angevine lui offrait là une opportunité qui donnait à réfléchir. Elle ramena la chope vide dans le baquet à vaisselle et la lava. Le tintement d'une poignée de deniers sur la table raviva un sourire à ses lèvres. Elle essuya ses mains et emplit une autre chope qu'elle vint déposer devant l'homme avec un sourire affable, puis fit disparaître les pièces dans la poche de son tablier avant de retourner derrière son comptoir.

Elle balaya la salle du regard en réfléchissant. Evidemment, il y aurait des frais pour faire tourner une grande bâtisse comme celle-ci. Les enduits étaient vétustes, l'ouverture de nouveaux établissements moins excentrés avaient eu pour conséquence de faire baisser le montant des recettes mais, la maison restait malgré tout agréable, la charpente était en bon état et le parrain de la petite avait refait la toiture l'année précédente. Aucune dépense n'était réellement obligatoire dans les prochains mois, si ce n'est faire entrer vivres et boissons. Mauhaut sourit, elle n'avait pas bien envie de fermer la boutique, puis que ferait-elle ? Il serait bien temps de retourner travailler aux champs si ça ne marchait pas. Après tout, qu'avait-elle à perdre ?
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--Giullianno.


[ Quand le chat n’est pas là les souris dansent ]



    C’est en recevant un pli annonçant le retour du maestro d’ici quelques semaines de son voyage d’Irlande et d’Ecosse que le gamin c’était mis à flipper. Giullianno avait laissé des instructions précises concernant le tableau pour Fanette et … il les avait reléguées dans un coin de sa tête jusqu’à ce que la sonnette d’alarme soit tirée.

    Se précipitant jusqu’à la carriole, prenant sous son bras le tableau et une des petites mains de l’atelier, il avait filé fissa jusqu’à Limoges où il devait trouver l’auberge du loup quelque chose. L’adolescent savait à peine lire et la langue du sud fallait pas y compter aussi avait-il demandé son chemin à force d’explications et de tête dépitée il avait réussi à trouver.

    Le petit Mathieu était avec lui et tous les deux ils étaient devant l’auberge de Fanette. Rémy donna un coup de coude au petit en lui montrant du menton la porte.


    - T’crois qu’c’est là toi ?

    - C’est c’qui z’ont dis nan ?

    - Si si mais… y’a pas l’air d’avoir d’la vie là d’dans.

    - T’m’emmerdes Rémy. Si Maestro apprend qu’j’suis v’nu avec toi il va m’brûler vif

    - Mais dis pas d’conn’ries. Maestro il t’f’ra jamais rien t’es son préféré


    La bouche du petit Mathieu s’ouvrit pour mieux se refermer avant de piquer un phare. Si le florentin ne voulait pas de progéniture ça ne l’empêchait pas d’aider son prochain comme il le pouvait. Et dans un atelier il y avait toujours de quoi occuper ceux qui le voulaient.
    Quelques minutes plus tard les deux gamins entraient dans l’auberge.


    - Y’a que’qu’un… on vient livrer un tableau pour m’dame Fanette, d’la part du Maestro Giullianno.

    Et Rémy posa l’œuvre sur la table. De petite taille afin que Fanette puisse le transporter facilement, il ne prenait pas tant de place que ça mais Giullianno avait pris son temps. Trop peut être mais valait mieux tard que jamais ne cessait-il de répéter aux gosses. Quant à ces derniers ils attendaient que quelqu’un se manifeste.



--Mahaut_belon
Mahaut surgit de l'office, torchon en main. Elle avait entendu les deux gamins et s'apprêtait à les faire déguerpir mais elle aperçut le petit tableau soigneusement emballé que le plus grand venait de poser sur la table. D'un geste habile, elle coinça son torchon dans la ceinture de son tablier et dévisagea les jeunots d'un air suspicieux.

– Pas question que je paye quoi que ce soit, et je doute que Fanette ait les moyens de s'offrir les services de "Maestro Guillianno"!

Elle prononça les deux derniers mots avec l'air un brin hautain qu'elle attribuait aux nobles suffisamment fortunés pour se faire tirer le portrait par des artistes. Elle jugeait cela si ridicule, ces riches qui avaient peur d'oublier qui ils étaient au point d'accrocher leurs propres trombines sur le mur de leur chambre. Si Mahaut avait des écus à gaspiller, c'est dans une jolie maison qu'elle les dépenserait, ou bien dans des vêtements élégants et confortables.

Les gamins affirmèrent cependant que la toile était pour la patronne et que la question du prix était réglée déjà, alors elle haussa les épaules.

– D'accord, vous direz à votre Maestro que je lui ferai remettre dès que possible.

Ils allaient repartir sans demander leur reste mais la brunette les retint le temps de verser un peu de lait de chèvre frais dans deux gobelets d'argile qu'elle déposa dans un claquement sec sur le bois de la table. Elle le sucra d'une pointe de miel.

– Buvez !

Elle adoucit d'un sourire le ton revêche de sa voix et les abandonna un instant à la salle commune pour aller déposer le tableau dans les appartements qui jouxtaient l'arrière-salle. Deux autres courriers attendaient déjà que Théodemar ou l'un de ses hommes les acheminent vers la fauvette.
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Fanette Loiselier, incarné par Milo_amalio
    Août 1468, à plus de cent lieues de Limoges

– Tu crois que je dois le dire à son père ?
– Si tu le connais oui.

Il n'avait pas fallu plus de mots que ceux-là, prononcés après l'annonce d'une triste nouvelle pour que la fauvette se décide à écrire à la jeune femme qui s'occupait désormais du lupo.




Mahaut,

J'espère que cette lettre te trouvera en bonne santé et heureuse, et que les affaires à Limoges te rapportent suffisamment pour que tu veuilles continuer à faire vivre cette maison à laquelle je suis trop attachée pour me résoudre à la vendre. Peut-être parviendrai-je à le faire un jour, et quand ce moment sera venu, j'espère sincèrement que ce sera à toi.

Ma grossesse ne se déroule pas vraiment comme la précédente mais, je suppose que je dois incriminer les jours de voyage. A présent, je suis installée dans une ville agréable, bien loin de l'agitation vipérine de Limoges. J'ai trouvé une place d'aubergiste, ça ira. Et puis, Milo est heureux. Il a un petit chien maintenant, et nous allons nous baigner dans l'étang chaque jour. Il a tant grandi, tu ne le reconnaîtrais pas.

J'ai un service à te demander Mahaut. Oui, je sais, encore un. Tout d'abord, peux-tu aller glisser la lettre qui accompagne ce courrier sous la porte de la maison de Zilofus, au 1, route de Paris. Si tu avais connaissance d'un endroit où le trouver, je sais qu'il y a peu de chances qu'il soit à Limoges en ce moment, n'hésite pas à lui faire suivre. C'est important.

Ensuite, d'ici quelques semaines, un groupe de voyageurs passera au lupo, plusieurs femmes, et deux hommes. L'un d'eux s'appelle Eirik Gjermund, et celle qui mène le voyage répond au prénom de Kemiha. S'il te plaît, pourras-tu leur montrer l'endroit où repose Stella, et aussi, leur donner les quelques robes que j'ai laissées dans le coffre au pied de mon lit ?

Je te remercie pour tout. Prends soin de toi Mahaut, et transmets mes amitiés à ton père.


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Kemiha_del_showk


Kemiha était arrivée en grande pompe, avec ses six compagnons. Bon, beaucoup dormaient dehors. Un coin agréable était trouvé, et voilà le groupe à l'air libre !
Mais la Vagablonde avait des affaires à gérer. Des services. Importants.

Elle poussa la porte de l'auberge dont on lui avait parlé. C'était bien agréable. Et ce n'était pas étonnant !
Kemiha s’installa à une table avec Eirik. Le grand Nordique en imposait.
On vint prendre leur commande :

Deux bons whisky et une dame se nommant Mahaut, je vous prie. Dit-elle, souriante.
Kemiha avait une mission à accomplir. Rien à voir avec de jolis atours. Peut-être que la fameuse Mahaut pourrait l'aider...

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--Mahaut_belon
– C'est qu'on sert pas ça ici ma bonne dame !

La brunette colle son torchon sur son épaule dans un geste désinvolte et verse deux godets de prune qu'elle amène aux voyageurs.

– Goûtez ça, c'est l'alcool local ici, de la prune. C'est fort et parfumé, ça va vous plaire.

Elle leur sert du même coup un aimable sourire. Son prénom dans la bouche d'une inconnue ne la surprend qu'un instant, et elle se souvient de la lettre de la patronne. Le sourire s'élargit plus encore quand elle clame :

– C'est moi Mahaut ! Mais vous êtes les amis de Fanette ? Elle va bien ?

La bouteille est récupérée sur le comptoir et les godets aussitôt vidés sont remplis de nouveau.

– Celle-là c'est moi qui l'offre. Fanette m'a prévenue. Tout ce que j'dois vous donner est prêt. Comment va-t-elle, et le p'tiot ?

Mahaut s'esquive parfois pour aller remplir une chope ou débarrasser une table, mais délaisse son comptoir pour la table des deux blonds. Les questions se bousculent. On cause de voyages, de projets, de regrets ou d'espoir, du chemin qui mène à la tombe de Stella.

Et si Mahaut a de l'affection pour la jeune Angevine, elle n'est pas si pressée de la voir revenir. Le lupo ne lui appartient pas vraiment, mais dans les faits, c'est tout comme. Elle empoche la recette, paye les taxes et les vivres, embauche les journaliers pour s'occuper des lopins de terre, et si elle engrange une partie de la récolte pour la Blondine, elle vend le reste pour son propre compte. L'auberge n'est plus la plus réputée de Limoges, mais qu'importe, elle sait en vivre et ne s'épargne pas à la tâche.

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Kemiha_del_showk


La Pulpeuse vit venir une autre pulpeuse avec un petit air qui lui plaisait bien. Rares étaient les tavernières fines comme des lianes... Le boulanger avait son gras, le forgeron ses muscles.
La femme leur annonça une chose horrible ; pas de whisky !

Goûtez ça, c'est l'alcool local ici, de la prune. C'est fort et parfumé, ça va vous plaire.
A peine Kem y mit le nez qu'elle reconnut la prune. Les alcools à base de fruits n'étaient pas ses préférés. Elle remercia la gentille dadame et ne se fit pas prier pour lever le coude.

C'est moi Mahaut ! Mais vous êtes les amis de Fanette ? Elle va bien ?
Kemiha étira ses lippes, dévoilant deux canines un peu trop pointues. Dire la vérité ? Mentir ? Les deux ?
Kemiha termina son petit verre pour mieux réfléchir.

Celle-là c'est moi qui l'offre. Fanette m'a prévenue. Tout ce que j'dois vous donner est prêt. Comment va-t-elle, et le p'tiot ?
Mahaut était proche de Fanette. Autant lui dire la vérité. A peu près... La Nomade ignorait ce qu'elle pouvait confier ou non.
Un instant, Kem crut que "le p'tiot" était celui porté dans le ventre... Visiblement, non.

Elle va très bien et Mmm..ilo aussi. Elle sait se faire des amis. Elle vous passe le bonjour, avec toute son affection.Dit-elle, souriante. Nous repartons demain aux aurores. Votre prune est très bonne !
... Pour un alcool de fruits...

Le soir, Eirik partit rejoindre les autres & Kem resta seule à loger à l'Auberge. Elle discuta avec Mahaut, délicatement. Proche ou pas, Kem gardait pour elles certaines choses.
Elle repartit les bras chargés & bisa même la gentille tavernière !

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Fanette Loiselier, incarné par Milo_amalio
Largement inspiré d'un échange en taverne, et validé par JD Urbain Mastiggia

    Septembre 1468, à plus de cent lieues de Limoges,
    Là où se joue l’avenir du "Lupo e l’uccellino"

Quand le seigneur de Moivrons l'avait laissé avec Monseigneur Mastiggia, la fauvette était loin de se douter de la proposition que ce dernier allait lui faire, ou presque lui imposer. Elle s'était dévoilée à l'homme de Dieu, déjà, parce que son discours pas si bien rodé, avait éveillé chez lui soupçons et colère quand elle lui avait demandé de lui dispenser les enseignements préalables au baptême, mais aussi, parce qu'il l'avait entendue depuis en confession, et que le voile avait été tiré sur quelques pans de sa vie passée.

La question de la démission de son poste à la municipale avait éveillé la curiosité de l'évêque.

–Après ce qui s'est passé au Musca Monseigneur, sans même que le prévôt ne juge utile de mener une enquête, j'ai préféré en partir et accepter de travailler à temps plein pour le sieur Baal.
– Et pourquoi ne pas vivre de votre taverne ?

La question avait chiffonné d'une moue triste le visage juvénile de la fauvette. Elle lui avait expliqué les raisons pour lesquelles elle ne pouvait revenir à Limoges, et aussi comment elle s'était arrangée avec Mahaut Belon. La jeune femme tenait son établissement, en payait les charges mais la totalité des recettes étaient pour elle, et à l'en croire, elles n'étaient pas très importantes. Elle exploitait aussi en son nom les deux lopins de terre de l'Angevine et celui de son fils, embauchait des journaliers, s'acquittait de la taxe foncière et en retour, gardait pour elle la majeure partie des récoltes. Elle avait consenti, comme le voulait la jeune mère, à ce que celui que la Nonna avait offert à Stella reste en jachère. Après quoi, Lison avait précisé le travail qu'elle accomplissait pour le médecin Lorrain.

– J'ai quand même l'impression que vous vous faites exploiter Lison.
– Ben non, protesta-t-elle. Il nous offre protection, gîte et couvert contre le travail que je fais au matin dans ses salles, et au soir dans cette taverne, et il ajoute un petit pécule journalier. Je crois que c'est honnête non ?
– Mais vendez donc là-bas et achetez ici. Vous laissez là-bas des traces suffisantes pour qu'ils vous retrouvent. Ces voyageurs l’autre jour, ça ne fait aucun doute qu’ils vous ont reconnu.

Elle ne voyait pas les choses ainsi, elle s'était mise à l'abri, ou du moins le pensait-elle, en changeant de nom et de frontière. Urbain songeait au contraire que Mahaut pouvait être en danger tout autant qu'elle puisqu'on pouvait les relier plus ou moins facilement, en dépit des précautions prises pour les courriers qui transitaient tous par la citadelle du Rey et les hommes de Théo. Il avait sans doute raison, et la jeune mère savait que la vente était l’option la plus raisonnable. Malgré tout, elle n’avait encore jamais su se résoudre à se défaire de ce qui la rattachait à cette ville qu’elle avait aimée dès sa première venue, alors qu’elle n’avait qu’une quinzaine d’années. Limoges restait pour elle un carrefour de décisions, et malgré les évènements récents, elle n’en regrettait aucune.

– N’est-ce pas votre choix de partir ?
– Oui, enfin non, hésita-t-elle. C’est pas aussi simple Monseigneur, j’en suis partie parce que je n’avais pas d’autres options, mais tout cela, je le regrette. Je n’avais jamais voulu priver mon fils d’un père. J’ai trop manqué du mien. Je me suis toujours efforcée de maintenir les liens de Milo avec sa famille, même quand son père s’en détournait. Il connaît sa Nonna, ses cousins, je le confiais à son parrain fréquemment, pour de petites promenades. J’ai mis mes rancœurs de côté pour que mon fils ait une famille qui l’aime, qu’il tire le meilleur d’eux comme de moi. Si je suis partie, c’est parce qu’ils n’ont plus voulu me le rendre. Si au moins ils m’avaient laissé le voir ne serait-ce qu’un peu, l’embrasser le soir avant qu’il ne s’endorme ... Mais ce qu’ils ont fait, je ne pouvais l’accepter.
– Ça me fait mal au cœur de vous voir ici, quand vous pourriez largement subvenir à vos besoins par quelques ajustements.
– J’ai abandonné ma petite Stella Monseigneur, j’aurais l’impression de l’abandonner encore une fois si je vendais la maison où elle est née et près de laquelle elle repose. J’ai toujours l’espoir qu’un jour, ils auront moins de haine pour moi, ou qu’ils rentreront dans leur pays, ou … j’sais pas moi, mais enfin que ce jour-là, je pourrais retourner vivre près d’elle dans ma maison.

L’évêque lui tourna un sourire dans lequel se mêlaient compassion et malice.

– Laissez-moi vous racheter votre auberge. Vous aurez les fonds pour refaire ici autre chose, et vous pourrez y retourner un jour.
– Mais j’aurais perdu ma maison, la maison de mes enfants.
– Vous n’aurez qu’à revenir me voir Lison, et me la réclamer en temps voulu.

Elle était restée un moment sans voix à tant de générosité, avait formulé maladroitement quelques oppositions auxquelles le Mastiggia avait facilement trouvé les parades, le Lupo resterait une auberge, Mahaut y aurait un travail assuré et rétribué qui ne la changerait guère d’aujourd’hui. Et finalement, l’émotion suscitée s’était échappée en flots salés sur ses joues, quand elle n’avait pu qu’ânonner quelques mots qui lui semblaient bien fades au regard de l’espoir qu’il lui offrait. Son fils s’était approché à la fois étonné, curieux et inquiet, serrant contre lui la petite peluche à l’effigie de son chiot que Lobelia lui avait confectionnée. Elle avait essuyé ses yeux en le hissant sur ses genoux.

– Salut Hund !
– Bo ! avait répondu le mini-Corleone comme une évidence, en posant le ratier de chiffon au milieu de la table. La réaction du bambin, reprenant l’évêque sur le nom de son chien lui avait arraché un sourire.
– Je crois qu’il préfère Bo à Hund maintenant.

Quelques paroles d’une distraction offerte par le mini Corleone avait suffi à faire reprendre contenance à la fauvette.

– Bon, par contre, on va faire un peu de paperasse maintenant, c’est pas un navet que je vous rachète, mais une auberge.
– Mais, vous y gagnez quoi vous, Monseigneur ?
– Rien pourquoi ? Demanda-t-il dans un sourire.
– Je … c’est … J’sais pas quoi dire.
– Ne dites rien Lison. Ah si ! Le prix éventuellement, et la superficie.

Autant de questions auxquelles il lui était difficile de répondre. Elle réfléchit.

– La superficie ... c'est ... .euh ... c'est grand. Il y a sept chambres à l'étage, et en bas, une salle commune, puis, le mur s'ouvre sur une pièce qui sert à la fois de réserve et d'office, il n'y a pas de porte. Derrière cette pièce se trouve un petit appartement qui comprend un bureau et une très grande chambre avec une alcôve. Il y a plusieurs cheminées pour chauffer toute la maison, et une grange attenante avec deux stalles pour les chevaux.
– Je n’ai pas l’intention de la dénaturer, c’est juste pour savoir comment l’entretenir correctement.
– La toiture à été refaite à l’hiver soixante-sept, mais les murs sont un peu vieillots dedans, les enduits sont tombés par endroits, mais je suppose que quand elle a été construite, c’était une belle maison, un peu cossue. Je ne sais pas de quand elle date, elle est plus vieille que moi.
– C’est pas dur ça en même temps Lison.

Un éclair malicieux traversa un fugace instant ses traits avant de reprendre l’air sérieux qui seyait aux affaires.

– Bon, on remettra tout ça à neuf.
– Ça va couter bien plus d’argent qu’elle n’en rapporte actuellement Monseigneur.
– Roh, vous sous-estimez ma puissance financière, ricana-t-il. Bon, et le prix que vous demandez ?

Elle n’en avait aucune idée, et pour cause. Si elle avait coutume de considérer le Lupo comme sa maison, elle ne l’était pas réellement. Roman s’était chargé de le lui rappeler l’été précédent quand il lui avait précisé qu’elle devait s’estimer heureuse qu’il ne le fasse pas détruire. Comment avait-elle pu omettre qu’il en était propriétaire pour une grande part ? Si elle avait prospecté et trouvé la maison, c’est lui qui avait donné son aval, et qui avait ajouté à la poignée d’écus qu’elle lui avait confié le reste d’une somme conséquente pour s’en porter acquéreur pour elle. C’est également lui qui, quelques semaines après, avait acheté les lopins de terre derrière la bâtisse, afin de pouvoir y mettre la jument en pâture et faire quelques cultures. Et pour dire vrai, si elle savait que l’ensemble s’était avéré bien onéreux, elle n’en avait jamais su le montant exact.

– Je n’ai aucune idée du prix Monseigneur, parce que … Elle soupira à cette conclusion qui venait sans doute mettre un terme à ses espoirs. C’est Roman qui en a payé la presque totalité, finalement, elle est plus à lui qu’à moi.

L’évêque eut l’air ennuyé, mais il ne baissait pas les bras.

– Voilà qui complique mais, demandez-lui combien il en veut.
– Mais il pourrait refuser, ou même la brûler, juste pour me faire du mal.
– Nous lui ferons une offre qu’il ne pourra pas refuser, genre trois à quatre mille écus.
– Une somme que je ne saurai jamais vous rembourser.
– Peu importe le remboursement Lison, et clairement, je le refuserai.

Voilà comment l’avenir du Lupo s’était joué, une après-midi à plus de cent lieues de Limoges, et à travers lui, celui de la fauvette, de son fils et de l’enfant à venir. Rien n’était fait bien sûr, et il fallait encore qu’elle trouve le courage d’écrire au Corleone. La réponse n’était guère assurée et tout ce qu’elle pouvait y gagner c’est qu’il l’ignore ou se débarrasse de la bâtisse auprès d’un autre acquéreur sans même l’en informer puisqu’il était en droit de le faire. Restait à espérer que, comme elle, il ait le souhait qu’elle revienne un jour à Milo. Elle s’abstint de songer à tous les enjeux, préférant s’en remettre à l’optimisme de l’évêque. Le seigneur de Moivrons avait définitivement raison. Cet homme était un saint.

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--Mahaut.belon
    Février 1469

– Mahaut Belon, Mahaut Belon, et … Oh ! Ariane Horn !

La brunette feuilletait les courriers que venait de lui remettre le grouillot. Elle remisa celui de sa pensionnaire dans une poche pour décacheter ceux qui lui étaient adressés. Elle grimaça en lisant le premier. Le négociant en vins auprès de qui elle achetait les fûts de bière et de vin menaçait de ne plus approvisionner Limoges si le tonlieu augmentait. Il lui faudrait en trouver un autre qui accepte de livrer à des prix raisonnables.

Elle abandonna la lettre pour prendre connaissance de la seconde. Fanette y annonçait un retour dans le courant du mois suivant. Elle soupira, non qu'elle ne soit pas heureuse de revoir l'Angevine mais, depuis presque un an, sa vie s'était un peu améliorée. La recette quotidienne n'excédait que rarement la vingtaine d'écus, le Lupo avait connu des heures plus glorieuses mais les champs de maïs de la propriétaire et du gamin généraient de bons revenus qui permettaient à la brune de vivre convenablement même uns fois la dîme acquittée. Elle avait ainsi pu conserver son indépendance. Son père avait bien tenté de la marier au grand Jean, un rouquin dégingandé et timide, qu'il avait pris comme apprenti et auquel il espérait confier un jour son échoppe de fourbisseur. Mais à présent qu'elle s'était libérée du joug du paternel, Mahaut ne comptait pas tomber sous celui d'un époux.

Elle relut la lettre plus attentivement. La fauvette n'indiquait nullement si son retour était ou non définitif. L'aubergiste intérim en fut contrariée. Elle s'était approprié l'appartement du bas qu'elle devrait libérer au retour de la propriétaire pour remonter toutes ses affaires dans l'une des sept chambres destinées aux voyageurs. Si Fanette revenait, elle n'aurait plus à gérer les cultures de céréales. Au mieux pourrait-elle espérer s'y faire embaucher comme journalier pour les moissons.

Elle se laissa basculer dans le dossier de son fauteuil en soupirant de nouveau, quand elle entendit du bruit provenant de la salle commune. Elle se leva précipitamment, noua son tablier et traversa rapidement les pièces adjacentes pour reprendre sa place derrière le comptoir. Les jumeaux discutaient comme à leur habitude. Elle leur prépara le repas que comptait chaque jour le prix de la pension, et, après avoir déposé sur la table les deux écuelles fumantes, elle extirpa de sa poche une lettre encore cachetée qu'elle tendit à la jeune fille.

– C'est pour vous Damoiselle Horn, j'crois bien qu'c'est la Fanette.

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Fanette Loiselier, incarné par Milo_amalio

    Dole, 8 mai 1469

A un peu plus de quatre-vingts lieues à l'est de Limoges, la vie de la fauvette n'est guère différente. La lumière est peut-être un peu plus terne en cette après-midi de printemps. De lourds nuages annonciateurs d'orage ternissent l'azur du ciel si limpide au matin. Milo a suivi Nébulae et la petite Blanche jusqu'au verger. Fanette brosse ses ongles et rince ses mains souillées de terre, puis elle empoigne le panier lourd de la cueillette du jour et regagne la salle commune. A cette heure, tout comme au Lupo, les premiers convives ne sont pas encore arrivés. Elle s'installe à la table qui trône au milieu de la pièce pour écosser les petits pois.

L'Angevine aime ces instants de silence, bien avant que les bavardages, les rires et le claquement des chopes ne couvrent le doux crépitement du feu. Ses doigts s'affairent, mécaniquement, fendant les cosses pour en extirper les petites billes vertes et croquantes qu'elle fera cuire au soir, avec quelques oignons et un morceau de lard. Son regard n'a nul besoin de s'intéresser à la tâche, il vagabonde sur les peintures accrochées à la cloison de bois. La jeune femme sourit légèrement. Zen aurait pu ramener une nouvelle toile du voyage qu'elle s'apprête à faire, si une guerre n'était pas venue bouleverser leurs plans. Les collines du Limousin sont si belles, surtout en cette saison, quand l'herbe grasse reverdit les bocages. Finalement, si elle appréhende un peu le retour à Limoges, elle en est heureuse. Elle imagine la Piccolina qui l'attend sous le jeune hêtre, non loin des berges fleuries de la Vienne. Le lupo a-t-il changé ? Mahaut aura forcément ajouté sa patte à la décoration de la salle commune, depuis plus d'un an qu'elle la supplée dans la grande maison.
Elle est heureuse finalement que son commerce ne se soit pas tout à fait endormi. La brune lui écrit parfois. Les recettes ne sont plus ce qu'elles étaient aux beaux jours de l'auberge, mais elle arrive à glaner chaque jour une quinzaine d'écus, parfois un peu plus et la vente du maïs produit sur les lopins de terre rattachés au Lupo vient améliorer les finances.

Fanette imagine la salle commune, inondée du jour adouci par les carreaux teintés des grandes croisées. Elle se souvient comme son fils, dans ses premières semaines de vie, semblait fasciné par les poussières qui dansaient sur les rais de lumière. Le sourire accroché aux lippes angevines se teinte de nostalgie. Elle poursuit sa visite au gré des souvenirs qui se succèdent, comme autant de bouffées d'un bonheur tissé de promesses non tenues. La pulpe de ses doigts court sur le comptoir, elle peut se souvenir de la douceur du bois ciré, du parfum résiné de l'encaustique. Elle revoit le dressoir où s'empile la vaisselle propre et, plus incongru encore, le bocal caché sur une étagère, où un bout de l'oreille de Zilo flotte dans la saumure. Et c'est d'amusement que s'habille son sourire. Elle se remémore l'ambiance joyeuse des soirées avec la Danoise ou les Duncan mère et filles, les veillées feutrées propices aux confidences, tout ce que les murs ont pu entendre de rires, de secrets, de défis, de mots d'amour, de colères, de contes, comme s'ils pouvaient encore les souffler à son oreille. Sa maison lui manque, assurément, sa grande chambre, et dans l'alcôve, le berceau de châtaignier sculpté de feuilles d'acanthe et de libellules qui a enveloppé les rêves de Milo et de Stella, la fenêtre qui s'ouvre sur le pâturage où Siena broutait. Tous ces fragments d'une vie révolue, érodés par le temps, et qu'elle s'apprête à rassembler dans un nouveau présent, elle voudrait les retrouver, vivaces comme avant.

Un peu plus tard, un pli scellé sera remis au grouillot Dolois, avec quelques pièces.




Mahaut,

J'espère que tout va bien pour toi, et pour ton père. Je suis heureuse de savoir que le lupo continue de tourner, même doucement. J'imagine que ce ne doit pas être toujours très facile mais je ne doute pas que tu fasses au mieux.
Des imprévus m'ont empêché de venir comme je te l'avais annoncé au milieu du mois de mars. Cette fois-ci c'est sûr, nous reprenons la route, et nous devrions être à Limoges avant la fin du mois. Pourras-tu préparer deux chambres s'il te plaît ? De celles qui donnent sur l'arrière, la vue est plus agréable sur les champs et sur la ligne des grands arbres qui bordent la Vienne que sur la rue.

Ne sois pas inquiète, je ne reviens pas sur ce dont nous avons discuté l'année dernière. Je ne serais là que le temps de remettre en ordre mes affaires, quelques jours tout au plus. Considère cela comme des vacances, tu n'as pas dû avoir beaucoup de temps libre depuis mon départ.

Il me tarde de te voir Mahaut. Tu seras surpris de voir combien Milo a grandi et comme il parle bien à présent. Sais-tu si son père est en ville ?

A très bientôt, et merci de t'occuper si bien du Lupo.

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--Fanette_loiselier
    22 mai 1469

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    Fait ce vingtième jour de Mai, de l'an 1469

    A vous, Dame Caroline,

    Je commencerai cette missive, pour vous remercie d'avoir pensé à moi pour la réalisation de votre fermoir. Il est en effet dans mes cordes de le réaliser, j'ai par ailleurs déjà réalisé trois matrices, selon vos indications. Bien que votre description soit plutôt détaillée, j'avoue qu'il me serait plus simple, au mieux de voir votre fermoir cassé, au pire d'en réaliser un croquis.

    Vous dites vous trouver à Limoges pour quelques semaines, j'ai pris la route moi-même pour m'y rendre, il sera ainsi sans doute plus simple de parler de vive voix de vos souhaits. A savoir si vous désirez un objet qui soit la copie de votre précieux accessoire, ou bien un tout autre ! De même qu'il me faudra savoir quelle pierre vous désirez y sertir, toutes ne se travaillant pas de la même façon, de même que toutes ne sont pas communes, et certaines demandent un certain temps pour être trouvée et achetée. Ainsi par exemple le jade est extrêmement rare.

    En attendant de vous rencontrer, je fais parvenir ce courrier à l'auberge que vous m'avez mentionné, en espérant qu'elle vous y trouve. Tâchez de conserver les matrices que je vous joins afin de leur éviter divers voyages qui pourraient venir à les détériorer.

    Avec tout mon respect,



Mahaut était perplexe. La curiosité l'avait poussée à sortir de l'étui de cuir les fameuses matrices dont l'homme causait dans sa lettre. Elle ne connaissait rien au travail des bijoux, mais elle trouvait cela joli. Elle se souvint du fermoir en Cornaline et en laiton que Fanette avait reçu d'un orfèvre quand elle avait épousé l'Africain. Elle examina la signature. Andrea J Beaumanoire. Elle n'avait aucun souvenir du nom du brun qui avait séjourné ici quand l'Angevine était grosse de sa fille. Quoi qu'il en soit, le travail qu'elle tenait entre ses mains semblait tout aussi délicat. De nouveau elle relut la lettre. Caroline ? Si la taverne rapportait un peu, ça faisait un moment qu'elle n'avait pas eu de pensionnaires, d'aucun prénom que ce soit. Il était pourtant indiqué que la femme en question se trouvait déjà à Limoges. Elle releva le nez vers le coursier attablé devant un repas chaud.

– Dites-moi, vous êtes bien sûr qu'on vous a dit de mener cette lettre ici, au lupo ?
– Affirmatif répondit l'homme en s'essuyant la bouche d'un revers de manche.

Bon, s'il n'y avait pas d'erreur sur l'endroit, il y en avait forcément un sur la destinataire. Elle replaça soigneusement les trois objets dans leur protection de cuir et de lin et les rangea sous le comptoir. Puis elle retourna servir le coursier rougeaud et abandonna la petite assemblée pour s'asseoir un instant au bureau dans une pièce voisine, le temps de griffonner un bref.




Fanette,

Seras-tu bientôt ici ? Comment va le petiot ? Le mois touche à sa fin et comme tu avais annoncé ton retour en mai ...

Crois-tu que tu pourrais contacter ton ami orfèvre, tu sais, celui qui t'avait offert le joli fermoir pour ton mariage. Enfin s'il s'appelle bien Andrea Beaumanoire, mais il me semble bien qu'il portait un nom dans ce genre. Il a fait envoyer ici une lettre et trois petits objets pour une cliente, une certaine Caroline, hors, je n'ai personne de ce nom ici en ce moment. Il faudrait qu'on en sache plus pour savoir où la faire prévenir.

Soit prudente sur la route qui te ramène ici.

Mauhaut.


L'orfèvre auquel Mahaut faisait allusion répondait en réalité au nom d'Arsen Beaumont, et celui qui avait écrit était un parfait inconnu pour l'Angevine, mais ça, la tavernière l'ignorait.

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