Fanette_
- 9 septembre 1469
Le volet clos condamnait l'appartement à la pénombre depuis déjà plus d'un mois. L'atmosphère confinée des deux pièces avait emprisonné la chaleur de l'été. Un parfum vert et vivifiant de menthe poivrée persistait encore, discrètement imprégné aux coussins et aux draps. Fanette, minois chiffonné d'une petite moue, s'empressa de décrocher les battants de bois et d'ouvrir en grand les croisées. Au-dehors, quelques gouttes s'étaient mises à tomber du plafond bas, et les agréables parfums de terre rincées des premières pluies vinrent concurrencer les souvenirs dont l'Angevine cherchait à se défaire, pour elle, et surtout pour lui.
Milo, penché dans le coffre ouvert au pied de son lit, redécouvrait les jouets qu'il avait laissés à Limoges quand Hillel l'avait emmené à la hâte. Sa petite épée factice, retenue par un baudrier de corde, pendait à sa hanche. Babet était installée sur le matelas et il sortait une à une ses quilles de bois sous lil intéressé de son petit ratier. Fanette ne l'observa qu'un bref instant, l'urgence était ailleurs. Elle défit les draps du grand lit, et changea celui du cuvier, avant de s'attaquer à la poussière du sol quelle nettoya énergiquement avec son balai de bouleau. La tête de loup acheva de faire déguerpir les araignées et leurs toiles, après quoi, elle lava à grande eau le sol dallé. L'énergie dépensée n'était pas moins pour assainir l'endroit à labandon tout le temps de son absence, que pour diluer dans l'eau sale ce qu'il restait de sa courte liaison. Une fois le lit refait de draps propres, fleurant encore les senteurs dherbe sur laquelle ils avaient séché, elle ajouta quelques gouttes dhuile de lavande, dont elle usait pour tous les couchages de lauberge, afin déloigner la vermine.
Milo sétait enfui, dès quil avait entendu la petite Levanah babiller, et Fanette sétait laissée choir dans le fauteuil où, si souvent, elle avait bercé ses enfants. A cette heure, Mahaut Belon sétait déjà acquitté des corvées que nécessitaient la salle commune et les chambres à létage. Du reste, le Lupo sétait rendormi à la disparition de sa tenancière et le travail du matin était vite accompli. Elle laissa son regard vagabonder autour delle. Sur le bureau, laubergiste intérim lui avait déposé le cahier de comptes et quelques courriers mis de côté en son absence. Elle allongea le bras pour les saisir. Au-dessous, elle reconnut celle que Sub lui avait écrite au matin de leur rupture. Elle la chiffonna et la jeta dans lâtre où il ne restait plus que des cendres froides.
Elle croyait, à tort ou à raison, quil lui fallait détester le Breton pour ne pas entacher la sincérité des sentiments quelle éprouvait pour le Nubien. Mais elle était incapable de renier ce quil lui avait apporté, car, en dehors des serments quils navaient jamais prononcés, des aveux dautres femmes auxquelles il nétait pas certain de savoir résister, Sub lavait réveillée. Il lui avait fait découvrir delle une facette plus légère, plus insouciante, plus impudique, et il lavait invité à vivre quand elle nétait quà pleurer. Rien que pour cela, et en dépit de ce quelle avait pu apprendre depuis, elle voulait lui conserver toute son affection.
Malgré tout, elle renouait doucement avec lEbène les liens dune complicité passée, ternie de la culpabilité quelle portait pour chacun de ces deux hommes. Chaque attention, chaque rire, ravivait à son cur sa médiocrité, mais dans cette confusion qui la tenait parfois éveillée jusquau milieu de la nuit, elle avait une certitude, cest aux sables quelle avait laissé son cur aux premiers jours de mars, et Zen le lui avait ramené. Une bouffée de cet amour quelle ne savait lui rendre, et dont elle se sentait si peu digne lenvahit. Elle guetta son pas, et celui plus pesant du moine qui laccompagnait. Elle languissait de les entendre, tout autant quelle appréhendait ce moment où elle glisserait son bras au sien pour lui faire faire le tour de cette maison à laquelle elle était si attachée, et qui était pour elle lécrin des souvenirs heureux, la maison de Milo, et de Stella. Elle espérait tant quil sache oublier quici, elle sétait donnée à un autre.
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