Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   <   1, 2, 3, 4, 5, ..., 18, 19, 20   >   >>

[RP] Il lupo e l'uccellino*.

Jo_anne
[Fin avril 1466]

De drôles de soirées, elle en avait passé un certain nombre la gitane. Des émouvantes aussi. Des alcoolisées on n'en parle même pas. Des surprenantes également. Mais pour autant qu'elle s'en souvienne, elle n'avait jamais vécue soirée qui fût tout ceci à la fois, et bien plus encore. Non mais sans rire, il allait la tuer...

[Mais revenons un peu en arrière]

L'aveugle vagabonde avait encore disparu durant de longs mois. De raisons, elle ne saurait en donner. Elle fuyait toujours quand elle sentait qu'elle pourrait rester au même endroit bien trop longtemps. Pourtant, chaque fois qu'elle avait fui, elle avait fini par revenir, porter par le besoin de revoir quelqu'un. Ce fût souvent Sulfura ou Eleus, parfois Anna... Cette fois-ci, ce fût Amalio Corleone. Pourquoi ? Bien des gens se posaient la question. Et sa réponse les laissait tous plus sceptiques les uns que les autres.

Amalio Corleone. 23 ans que ça durait...

- Tu parles, j'sais bien que t'es pas venue pour moi, t'passais là par hasard !
- Par hasard ça veut pas dire que j'te cherchais pas


    Malgré tous mes démons, et les menottes que j'ai au bras,
    Si je te quitte pour de bon, le lendemain, je cours vers toi.
    Le reste, on en reparlera


Quand, la solitude aidant, elle remarqua que ses pensées voguaient toujours près d'un trio d'Italiens. Elle avait fini par accepter le fait qu'ils lui manquaient quand, tandis qu'elle se faisait draguer par un jeune mercenaire espagnol, très certainement séduisant vu son assurance, elle avait rétorqué qu'elle était déjà prise. Son dernier amant hantait probablement un peu trop les pensées Joannesque. Aussi avait-elle repris la route. Et quand le hasard l'eût déposé à Limoges, ses pensées incessantes et souvenirs obnubilant avait pu laissé place à une douce réalité.

- tu m'as manqué. avait-il murmuré le premier soir
- on devient sentimental ? ... toi aussi, Am'... tu m'as manqué.


Ils avaient été heureux de se retrouver. En témoignaient les baisers volés. Ceux qui avaient fait fuir le fils aîné, mal à l'aise. La gitane retrouvait le sourire. Et d'après les dires de son fils, le Padre également...

    C'est un peu une déclaration même si je sais que tu n'es pas
    Le remède ni la solution, tu n'es qu'une atèle à mon bras
    Ce petit rien qui nous lie aux autres quand ça ne va pas
    Un ultime langage de survie qui remet le monde à l'endroit


Cela faisait 23 ans qu'ils jouaient au jeu du chat et de la souris. Il se cherchaient, se trouvaient, et reprenaient leur chemin. On n'attache pas un courant d'air. Alors deux courants d'air... Néanmoins, l'Italienne se sentait bien auprès du Corleone. Elle ne pouvait plus nier ses sentiments. Elle l'aimait et cela se voyait. Cela s'entendait quand elle parlait de lui. Elle avait juste beaucoup de mal à l'admettre. Pour plusieurs raisons...
D'abord, la réputation d'Amalio Corleone n'était pas vaine. Si elle lui plaisait, elle savait également que bien d'autres lui avaient plu également. Elle avait longtemps été persuadée que se laisser attraper serait le point de départ de son désintérêt. Puisqu'il pouvait avoir toutes les femmes qu'il voulait, ce qu'il voulait c'était surement celles qu'il ne pouvait pas avoir. Comme tout être censé. Et vu qu'elle aimait bien jouer au chat et à la souris... Elle avait joué.
Ensuite, parce qu'elle avait été mariée. Très jeune. A un homme merveilleux qu'elle avait aimé de toute son âme. Depuis lui, elle n'avait jamais vraiment voulu se laisser attraper. Elle avait toujours clamé qu'il était son véritable amour. Elle commençait à croire qu'il était simplement son premier amour. Après tout...

- Jo ma belle, veux-tu rentrer avec moi ?
-oui, s'il te plaît
- Il est bien assez tard pour ma vieille carcasse
- j'vais pas laisser ta vieille carcasse partir seule... après on s'perd pendant des mois.
- Alors m'perds pas tout d'suite, ça me ferait plaisir.


Après tout, il était son amant depuis des années. L'un des meilleurs - ne lui donnez pas la grosse tête tout de suite. Son amant, et son ami aussi. Elle n'avait jamais eu à lui mentir, ni à lui promettre quoi que ce soit. Elle adorait le faire râler. Et elle passait toujours d'agréable moment à ses côtés.
Après tout, ils s'étaient perdus de vue à plusieurs reprises. Et ils s'étaient toujours retrouvés. Pleinement. Avec plaisir.
Après tout, il lui avait donné deux beaux enfants, certes un peu cinglés, mais tout de même...
Après tout, il était resté auprès d'elle, malgré son handicap, il l'avait aidée, il l'avait protégée, il l'avait fait rire... Il lui avait fait oublier ses malheurs.

Après tout, 23 ans en pointillé... 23 longues années. Et il y avait toujours autant de plaisir à être auprès de lui, autant de désir, autant d'amusement et de taquinerie. C'était peut-être ça finalement....

La seule femme du monde pour qui le patriarche Corleone est un homme fidèle. Que va devenir ma réputation?...
Amalio murmure, aussi légèrement qu'un souffle : "je crois bien que c'est parce que j'suis heureux avec toi."


    C'est un peu une déclaration, que je te fais
    Car il est temps, je crois...
    Pour vivre avec toi, Tu es mon chez moi
    Mon premier et mon second choix
    Mon rêve absolu qui ne tarit pas


[Limoges, 27 avril 1466]

Elle savait qu'il l'aimait, mais elle n'aurait jamais pensé, jamais imaginé, jamais espéré en arriver là. Attendre ça. Elle l'avait toujours pris en riant. Quelques jours plus tôt, elle se souvenait parfaitement de ses mots...

fais-moi penser à te présenter comme ma femme, un de ces jours avait-il lâché comme si de rien n'était. Elle avait agité sa main devant lui, arguant que pas de bague, pas de femme...

Et la voilà ce soir, en compagnie de l'amusante danoise, à deviser sur la fatigue de celle-ci quand le dit homme entre, l'embrasse et ...


Nan, c'est dingue, elle ne s'en est toujours pas remise.

Amalio Corleone lui a passé la bague au doigt. LA bague AU doigt. Le bon, vous savez, l'annuaire. Une babiole en argent, gravé... Et venant de lui, comme ça au milieu d'une taverne, entre inconnues et récentes rencontres, elle en avait été toute émue... Il avait réussi à lui clouer le bec. Et double exploit, à couper le sifflet de la danoise par la même occasion. Régulièrement, elle faisait tourner la bague autour de son doigt, pour s'assurer qu'elle n'avait pas rêvé.

Joanne n'avait jamais été romantique pour deux sous. Pourtant ce soir là, elle avait un sourire idiot sur le visage, une bague à l'annuaire, et un vieil acariâtre dont elle était folle à son bras. Et rien ne pouvait la rendre plus heureuse. Amalio Corleone lui avait passé la bague doigt...

L'avantage avec moi, c'est que je ne te vois pas vieillir; Pour moi t'es toujours aussi jeune!

Et il le resterait longtemps encore. Par contre elle, s'il continuait comme cela, il la ferait mourir d'une crise cardiaque avant d'arriver à l'été... !


La Déclaration, Debout sur le Zinc
Victoire.
Cette nuit, Svan avait récupéré un voyageur catastrophé. Le pauvre, il était entré tout pâle dans la taverne de Fanette. Il venait de voir une scène affreuse de sexe dans la taverne voisine et semblait traumatisé ! Totalement. Prêt à vomir, elle lui offre une bonne chope de bière pour lui faire passer le goût amer qui trainait au fond de sa bouche. Le pauvre homme ... Avec Rychard qui était là à discuter avec elle, ils se mirent à partager leurs expériences de tavernes coquines qu'on retrouve souvent dans les chaudes nuits de Montpellier. Sauf que là, on est à Limoges, bordel ! Pourtant, ce n'est pas la pudeur qui étouffe la danoise mais un peu de tenue tout de même ! Rychard comme Robin avaient surpris des couples en plein ébat le même jour. C'est la pleine lune ou quoi ?

Moi, je tombe jamais sur ce genre de spectacle !

Vrai que Svan, elle n'est jamais entrée dans une taverne en voyant ce genre de choses. Et non, ce n'est pas parce qu'elle fait ce genre de choses elle-même ! La connaissant, elle se serait assise pour regarder faire et rendre mal à l'aise les gens. Et ça l'aurait faite rire. Mais là, elle garantit au pauvre Robin, le voyageur traumatisé qu'il pourrait toujours venir dans la taverne de Fanette sans craindre de voir plus que ce que la morale réprouve. Bon Svan a tendance à servir pieds nus mais hormis quelques fétichistes de petons danois, cela n'attirait personne. Et c'est tant mieux ! Y a des enfants dans cette taverne.

Si vous me voyez moi ou ma sœur, vous pouvez rentrer sans crainte. Les tables sont garantis 100% sans jus de fesses.

Et ça l'avait fait rigoler le Robin.
Alors Svan de bon matin, après une courte nuit de cinq heures, avait fabriqué une petite pancarte qu'elle alla clouer à côté de la porte d'entrée :


Citation:
La patronne est mal aimable.
La tavernière maladroite.
La cervoise est chaude comme la pisse.
Mais nos tables sont garanties sans jus de fesses.
Taverne ouverte aux enfants.
Interdite aux gens trop tout nus.
Fanette_
- C'était une drôle de soirée hier soir ! Affirmait Joanne, à juste raison. Fanette avait hérité d'un linge sanguinolent renfermant le lobe de l'oreille de Zilofus, trophée offert sans doute avec une pointe de malice additionnée d'une bonne dose de provocation par le padre Corleone.



[Salle commune del lupo e l'uccellino, la veille au soir.]


Roman, affairé au-dehors, ses parents étaient venus tenir compagnie à la fauvette.

- Tu veux que j'aille lui parler petiote ?

Ça, c'est ce qu'avait proposé le padre Corleone quand la jeune mère, apprenant leur départ, et celui de Svan s'était ouverte de ses craintes au sujet du Normand. Quelques semaines plus tôt, quand il avait menacé devant son tavernier et Nusha d'attendre la naissance de l'enfant pour venir l'enlever et assouvir ainsi une quelconque vengeance, elle ne lui avait guère apporté de crédit, mais ensuite, elle avait appris, par un autre biais qu'il en avait parlé encore, prévoyant d'attendre le départ de Roman pour mettre son plan à exécution. L'idée de se retrouver bien moins entourée, alors qu'il était revenu en ville l'inquiétait.
Elle n'avait pas hésité longtemps avant d'acquiescer au patriarche, ne s'attendant sans doute pas à ce qu'il ramène Zilofus dans la salle commune de sa taverne un peu plus tard. Elle s'était rencognée dans son dossier, lui jetant un regard méfiant.

- Allez, vas-y, dis-lui maintenant ce que tu m'as dit !

Le vieil Italien attendait, debout les bras croisés et l’œil sévère que le blond crache le morceau. Et il l'avait craché, et toute une kyrielle d'amabilités normandes avec.

- Saucisson ! J'ce que j'vous ai dit c'était faux évidemment. Vous pensez bien que pénible comme vous êtes, j'vais pas en plus me coltiner votre chiard sur les routes, pour peu qu'il vous ressemble ...

Les émeraudes corleoniennes s'étaient assombries.

- Pas comme ça que ça va arranger les choses... mots simples, phrases claires !

Fanette protestait mais le padre l'avait fait taire, un brin agacé par la situation.

- Vous êtes deux incapables ! Toi Fanette, de ne pas t'angoisser, et vous de ne pas savoir arrêter de la faire chier !

Et il avait repris, toujours debout, raide comme la justice, à côté d'un Normand le dépassant pourtant légèrement en taille mais qui finalement s'était exécuté, sans mots déplacés, affirmant que tout cela n'était que taquineries, et qu'elle était bien sotte d'avoir cru qu'il pourrait faire une telle chose. Puis, il avait repris ce petit air narquois qui avait le don d'énerver Fanette, pour préciser qu'il lui avait fait prendre l'air.

- Des taquineries ? Et les taloches dans la tête, et l'entaille à mon flanc, c'étaient des taquineries peut-être ?

Là, le Normand s'était drapé d'assurance et de dignité, pour nier avec force de persuasion que jamais il ne lui avait fait le moindre mal, et surtout pas avec une lame. Il avait eu ce toupet de le répéter à plusieurs reprises, accusant Fanette de ne pas s'être privée de lui avoir marqué le bide d'un coup de couteau. Et avant que la future mère n'ait pu répondre, le padre Corleone réclamait de nouveau le silence, davantage courroucé.

La fauvette alors, en proie à la colère et à l'injustice de ne pouvoir se défendre, avait fait fi de toute pudeur, et bien maladroitement avait extirpé sa chemise de ses jupes, pour relever les étoffes sur son flanc. Puis, elle avait tourné vers les deux hommes sa peau claire, zébrée d'une marque violacée d'un empan de long, remontant du côté de son ventre vers les côtes flottantes. Pas que l'entaille avait été profonde, mais surtout, elle n'avait pas été soignée avant que son ravisseur ne l'abandonne à la Rochelle, et la plaie s'était passablement infectée, laissant une vilaine cicatrice de plus sur le corps de la jeune femme.
Le patriarche avait noté d'un regard surpris sans doute, et s'était saisi de l'oreille du Normand, dégainant son couteau de l'autre main.

- Si tu cherches encore à t'en prendre à ma famille, à mon petit-fils, crois bien que tu auras affaire à moi.

Et, d'un geste sec, il avait tranché le lobe de l'oreille de Zilofus.

- Ceci à valeur de promesse, et crois-moi, je n'en prononce jamais à la légère.

Contre toute attente, l'homme avait acquiescé sobrement, tenant son oreille en sang. Fanette, renfrognée sur sa chaise, ne pipait mot, appréciant juste la main rassurante de Joanne qui lui frottait le dos, en précisant qu'elle la croyait. Et quand l'homme était parti en claquant la porte sans demandé son reste, elle avait laissé échapper un soupir de soulagement.
Et même si le padre l'avait sermonnée autant que Zilofus, elle avait acquiescé par l'affirmative à sa demande. Elle n'en parlerait plus, et elle ferait en sorte que plus personne ne lui en parle, mais qu'on ne lui demande pas de croire que ce soir, le mercenaire Normand avait été sincère, elle continuerait sans doute encore longtemps à le craindre.
_________________
Victoire.
Encore une journée riche en émotions.

Cela avait commencé avec le retour du petit Gendry. Un gamin charmant mais qui a une telle peur de l'abandon qu'il en devient insupportable. Quand tout va bien, il est adorable mais dès qu'il se sent délaissé, il fait bêtise sur bêtise pour se faire remarquer. Et Fanette en avait fait les frais. Svan, contrairement à ce qu'on pourrait penser, a un caractère plus souple que celui de sa soeur. Donc elle avait laissé Gendry faire ses provocations. Dire des âneries, se mettre tout nu pour montrer ses fesses, arrogance et insolence ... La parfaite panoplie du pré-adolescent en somme. Sauf que Fanette en plus d'avoir un humour assez limité, n'avait aucune patience. Fatiguée, fébrile, elle avait crié, tempêté, menacé. Gendry en avait profité et quand la patronne à bout a fini par s'endormir dans son fauteuil, Svan s'était assise avec Gendry. Maternelle, maternante, compréhensive, à l'écoute, douce, elle avait câliné le petit pour lui expliquer que Fanette allait mal mais qu'elles seraient toujours là pour lui. Heureusement personne hormis une fauvette évanouie n'avait assisté à la scène, la danoise avait une réputation de grosse connasse à tenir quand même ! Manquerait plus que ce qu'on dit sur elle soit faux et qu'en fait, elle soit une personne sympa !

Ensuite, elle avait offert une petite babiole pour Fanette. Un bocal dans lequel flottait le bout d'oreille de son ex-mari. Un début de collection comme une autre. Elle avait mis ça sur une étagère à chopes, trônant fièrement dans la taverne. Pour que Tartine ait toujours un petit bout de son papa près d'elle. Et pour la première fois depuis son accouchement, Fanette avait ri. Oh un petit rire à peine perceptible mais un rire quand même. La fièvre brûlait tant son énergie qu'elle tenait à peine debout. Et ce petit qui se révélait être le digne descendant de son père lui pompait littéralement le peu de lait qu'elle avait. Svan avait donc dû prendre le relais. On aurait pu imaginer qu'elle n'était pas mieux lotie que Fanette à ce niveau vu son corps tout fin et élancé mais la danoise produit une quantité de lait impressionnante. Et épais. Genre de la crème. Si si ! Tartine est devenue une petite boule et à ce rythme, le petit Corleone ne mettrait pas longtemps à prendre le même chemin. La pauvre fauvette prenait cela comme un échec personnel et Svan dut en parler avec Roman. Il l'avait rassurée sa femme. Qu'elle se repose et profite d'avoir sa soeur pour l'aider. C'était donc acté. Svan avait bien assez de lait pour les deux goinfres. Et elle serait la marraine de Milo. Quel choc ! Fanette pendant des semaines avait été si triste de ne pas avoir pu la choisir comme marraine mais ce soir sans le savoir, son époux lui offrait un bien joli cadeau. Et pour Svan aussi. Au point qu'elle en tombe de son tabouret, dites !

A peine remises de leurs émotions, Gendry réapparait tout plein de vomi. Ambiance ! Et voilà, tout le monde qui s'affaire autour de lui, Svan surtout, pour le déshabiller, pour le laver, pour le sécher. Roman le purge, Fanette se jette sur le gamin avec une bassine quand il vomit de nouveau. Quelle idée de le laisser se goinfrer de la sorte aussi ! Et bien entendu, c'était dans leur taverne qu'il trouvait refuge. Le garde Malemort l'avait rapatrié manu militari chez les gueux ! Sympa !

Épuisée par sa journée, elle avait décidé de prendre un peu l'air, seule. Laissant le petit aux bons soins de Bezo, elle s'était promenée sous le clair de lune. Son retour de Ventadour était difficile. Elle repensait à toute cette histoire. Un mois déjà. Alors pour mettre fin à son spleen, elle finit par écrire une lettre assassine qu'elle n'enverra jamais. Elle se pose sur les remparts et balance tout. Et ça fait du bien. Un bien fou ! Et elle se sent comme libérée d'un poids. Sereinement, Svan retourne à la taverne pour vider le baquet qui a servi à laver le petit, pour ranger, nettoyer et au moment de fermer, elle voit son client de la nuit. Celui par qui la pancarte a été faite. Elle l'aime bien. Mais c'est son petit secret, ce client. Vrai que Fanette ne le verra certainement jamais vu qu'il ne sort qu'en pleine nuit. Si elle lui en parle, elle va dire qu'elle s'invente des amis imaginaires. Mais il existe, il a un prénom : Robin. Un âge : 24 printemps. Des ennemis. Des envies. Et il parle tellement !

Il lui apprend qu'elle n'est pas subtile. Ah ouais ? Ouais ! Enfin ce n'est pas vraiment une chose qu'elle ne savait pas mais elle apprend que la subtilité c'est une tradition française. Ils échangent sur les différences culturelles. C'est la première fois qu'ils se voient en tête à tête et il se révèle bien plus drôle qu'elle ne l'aurait imaginé au premier abord. Ils passent leur soirée à rire et à boire des coups. Deux comédiens qui se font rire l'un l'autre. C'est chouette. Ils parlent de leurs déboires. Une fois. Et ils mettent fin au sujet définitivement. Vous connaissez Jaufré Rudel ? Non. Et ils repartent dans une discussion animée. Il est taquin, elle est susceptible, il va finir par se prendre un coup de hache. Il refuse. Ce n'est pas assez subtil ? Oui et surtout pas mal définitif ! Le jour se lève doucement, le temps se ralentit, les discussions se font plus sages, les yeux se ferment de fatigue et il la raccompagne au petit jour chez elle, histoire qu'elle ne se fasse pas agresser sauvagement par ... par rien mais c'est histoire de prolonger la discussion quelques minutes le temps d'arriver à l'appartement de Svan. Elle rentre se coucher sagement, épuisée mais pour la première fois depuis un mois, réellement sereine.

Encore une bien chouette journée.
Danaens
Tant la matinée fut pluvieuse que cette après midi s’annonce des plus printanière. L’odeur de terre mouillée et de fleurs se mêlent avec délice aux fumets qui sortent des chaumières et tablées qui se dressent un peu partout dans la capitale. Il est en effet cette heure à laquelle du gueux au roi on se prête à faire une pause et à rompre le pain.

C’est à cet instant que Danaens poussé par la fatigue et la faim s’arrêta devant la taverne au nom des plus poétique : "il lupo e l'uccellino".

« Le loup et l’oiseau, c’est charmant »

D’un pas sûr malgré son âge et fatigue, Dan, pousse la porte et franchit le seuil de la taverne. Debout, face à la porte, il prit quelques secondes pour observer son environnement avant de poser son bâton contre un mur et défaire sa capuche et sa cape.

Danaens possède le visage typique de ces gens qui apprécient les vins résinés, doré par le soleil, de grandes rides trahissent le grand âge de l’homme. Eclairé par deux grands yeux bleus son visage resplendit d’un doux sourire alors que ses cheveux blanc négligés coiffent chaotiquement son crâne.

Lentement, il s’avance jusqu’à la peinture murale qui a piqué sa curiosité… Délicatement, en l’effleurant à peine le vieil homme détaille la peinture du bout des doigts.

« Le loup, l’oiseau… une fauvette dirait on… du lierre qui s’enroule mais pourquoi… ? »
Fanette_
Dans la salle commune, toutes les places ne se valent pas, et Fanette appréciait la sienne, légèrement en retrait. Pas très loin du comptoir, elle pouvait néanmoins d'un seul regard embrasser l'ensemble de la pièce ou laisser vagabonder son regard derrière la vitre teintée de jaune de la grande croisée. Suffisamment distante de la porte d'entrée, elle n'en sentait que peu le courant d'air, mais pouvait au contraire, sentir rayonner la chaleur des longues flammes qui dansaient dans l'âtre, chassant l'humidité des vieilles pierres de la bâtisse.

Le chien couché à ses pieds avait levé la tête quand l'homme était entré, puis, ne lui prêtant aucune intention belliqueuse, et s'assurant que la jeune mère ne semblait guère inquiète, il l'avait reposée dans un soupir, entre ses longues pattes. Fanette observait en silence, berçant l'enfançon endormi dans le creux de son bras.

Une petite moue amusée anima ses traits. Elle ne jugea pas que la question lui était adressée, et se demandait même s'il l'avait aperçu, recluse dans le clair obscur du jour pénétrant l'étroitesse de la venelle pour filtrer à travers les carreaux teintés des fenêtres. Délicatement, elle recoucha son fils dans le panier posé sur la table, remonta sur lui la fine couverture de laine et se leva, prenant soin de ne pas brusquer ses mouvements parfois encore douloureux. Immédiatement, Huan, ombre fidèle, étira sa longue carcasse pour lui emboîter le pas. Elle se glissa derrière le comptoir, le dogue à sa suite.

- Peut-être pour qu'à jamais ils ne soient liés l'un à l'autre. Répondit-elle néanmoins.
Son visage s'éclaira d'un léger sourire.

-Il est bien rare que l'on pose la question, et plus encore que l'on reconnaisse l'oiseau mon Sieur.

Elle avança vers lui une chope, de celle qu'elle offrait parfois en signe de bienvenue aux gens qui poussaient la porte de l'auberge pour la première fois.
_________________
Danaens
« C’est une belle allégorie… »

Danaens se tourna lentement pour faire face à la jeune femme qui venait d’apparaitre derrière le comptoir. Pieusement, il lui offrit un doux sourire avant de poser ses grands yeux aux bleus délavés sur la charmante jeune femme.

« Il me semblait bien que je n’étais pas seul dans cette taverne mais ma vue à voilé l’horizon de belles aquarelles »

Il s’approcha à pas lent pour mieux distinguer la jeune femme qui a sa grande surprise tenait un nourrisson paisiblement endormi contre son sein. La jeune femme lui sembla belle et ses yeux fiévreux révélait en lui une de ces personnes rêveuses à la bonté bouleversante.

D’une voix posée et douce, il entama de se présenter.

« Je me présente, je me prénomme Danaens… »

L’homme marqua une pause pour observer la jeune femme qui semblait plutôt faible et il lui sourit comme un grand père sourit à sa petite fille souffrante.

« Il semblerait une fièvre accable votre doux visage mon enfant, ne restez point debout pour un vieil homme et allons nous assoir là où vous serez mieux. »

L’homme s’avança lentement, sans oublier la bière, en direction du fauteuil qui se dissimulait dans le flou sous le regard attentif du gardien de la maison.

« Charmant compagnon, regardez mon enfant, je m’installe ici à côté de votre fauteuil »

Il marqua une pause pour lui-même avant d’éclaircir une pensée à voix haute.

« J’ai tant voyagé, limoges a beaucoup changé… »
Fanette_
- On m'appelle Fanette, répondit-elle à la suite de l'homme qui se présentait, Fanette di Medici Corleone.

Elle versa un peu de l'eau qui chauffait au coin du feu dans un gobelet de terre, l'additionna d'une pointe de miel et y plongea quelques herbes retenues dans un linge fin. Aussitôt, une fragrance fraîche de verveine citronnée s'échappa des volutes de vapeurs qui s'élevaient gracieusement au-dessus l'infusion. Elle acquiesça et se surpris à le suivre pour retourner prendre place, dans les coussins de son fauteuil. Si Huan s'était laissé retomber au sol avec désinvolture, l’œil attentif et l'oreille aux aguets témoignaient de sa vigilance. Fanette se sentait mieux, et si ses yeux brillaient toujours, elle espérait que ce soit de fatigue et non de fièvre, car il semblait que les remèdes de son Corleone commençaient à produire leurs effets. L'infection qui la tenait régressait, et au sortir de la sieste à laquelle elle s'adonnait encore chaque après-midi, elle était prise d'une énergie nouvelle que seules, les douleurs qui tenaient certains de ses mouvements parvenaient hélas à contenir.

- Je vais bien, je suis juste un peu fatiguée sieur Danaens. Cet enfant est né il y a moins de deux semaines.

Les noisettes de la mère s'égaraient toujours rêveusement dans la contemplation du nourrisson, aussitôt qu'elle l'évoquait, imprimant ses traits d'une tendresse nouvelle, et entièrement dévolue à ce petit être paisiblement endormi. Puis, pour être aimable, elle reporta son regard vers le vieil homme.

- Une allégorie, c'est un bien joli mot. Oui, sans doute est-ce de cela dont il s'agit, car cette épée n'en est nullement une. C'est une maison, et ce sont aussi les qualités de fidélité, de loyauté et de courage de mon époux, auxquelles depuis plus d'un an, j'accorde mon souffle.

Elle secoua la tête, chassant cette phrase comme s'il s'agissait plus d'une réflexion personnelle, découlant de la poésie d'un mot, pour porter à ses lèvres le breuvage brûlant. Elle en laissa un instant les parfums de verveine et la suave caresse du miel envahir son nez et sa gorge. Puis, reposant l'infusion sur la table devant elle, elle releva vers son invité un sourire.

- En quoi la ville vous semble-t-elle changé ? Vous viviez ici avant ?
_________________
Danaens
L’après midi été déjà bien avancée et la taverne se trouvait de plus en plus baignée dans une chaude lumière orange déchirée ça et là d’éclaire plus vif d’un jour qui veut s’étendre jusqu’à demain. Dans l’âtre le feu crépitait de joie ce qui n’était pour déplaire à Dan qui avait beaucoup de mal à se réchauffer. Lentement, il s’assit sur sa chaise attendant la maitresse de la maison avant de reprendre son discours. Il a vu d’innombrables enfants, d’innombrables jeunes maman et femmes enceintes mais le spectacle que lui offrait Fanette et son enfant le bouleversa profondément.

« Vous avez un bel enfant et vous êtes tout aussi charmante, vous avez fait un époux comblé. »

Il avait bien noté le nom composé de Fanette et il n’était sans connaitre une partie de la famille, point personnellement mais plutôt par réputation, avec le temps on apprend tout.

« C’est vraiment charmant ici… »

Il se présenta alors plus longuement, comme s’il racontait l’histoire d’un homme qu’il avait connu, qui était défunt maintenant, l’heureuse fatalité, sagesse, de ces personnes qui ont bravé les âges. Dan était comptable pour quelques nobles et puissantes familles de grandes villes du Sud. De l’Espagne à Alexandrie en passant par l’antique Macédoine. Il s’étala un moment, avec passion, sur ses origines et celles de ces parents, des marins descendant de l’Antique Grèce dont les vertus inspirent encore.

« Tout n’était pas parfait, mais nos ancêtres ont imagé le ciel et racontés de belles histoires »

« Des allégories »


Il marqua une longue pose encore en fixant tendrement Fanette en plissant les yeux pour forcer sa vue à embrasser tous les détails du tableau qui se dessinait devant lui. Il enchaina comme une confession…

« Quand l’argent m’a révélé toutes ses horreurs, je me suis tourné vers les sciences et les arts… »

« J’ai commencé à voyager pour moi et pour expier… »


Il sourit tendrement…

« Rencontrer une dernière fois le monde avant mon grand départ… »

« Partager et peut être retrouver… c’est tout ce qu’un vieil homme puisse encore faire, partager »


Avant de reprendre, il marqua encore une pause qui finalement n’était sans doute pas faites pour déplaire car elle laissait le temps aux deux se poser et de retrouver dans leurs réflexions parfois oniriques.

« Cela est un art de parler en symbole… sans doute vous vous surprenez à être conteuse ? »
Fanette_
La voix grave et posée du vieil homme, sa diction régulière, conféraient presque au récit de sa vie des allures de conte. Alors, Fanette l'avait écouté, berçant tendrement l'enfançon qu'elle avait repris contre elle. Ses prunelles rêveuses s'étaient égarées aux descriptions de ces pays de soleil dont le seul nom évoquait des parfums de cannelle, d'orangers en fleur et de sable brûlé de soleil.
Les blancs qu'il ménageait renvoyaient la jeune mère à ses propres représentations, née de son imaginaire, grandement nourri des nombreux souvenirs qu'elle avait écoutés, et des légendes qu'on lui avait contées. La question posée la ramena brusquement à elle et à l'endroit présent, au petit cœur qui battait contre le sien. Elle ébaucha un sourire, formulant une réponse qui lui donnait l'occasion de ne point trop s'attarder sur elle.

- Conteuse, c'est ainsi qu'on nomme parfois la petite vagabonde que j'étais, il n'y a pas si loin encore. J'aime cette idée, mais il est facile de répéter les fables qui ont bercé notre enfance, et que tant de fois on a entendu. Cependant, si je peux faire naître un peu de rêves dans le regard de ceux à qui je les conte à présent, alors, j'en suis heureuse. Les légendes de l'antique Grèce dont vous avez parlé peuplent toujours la voûte céleste. Callisto, Arcas, la merveilleuse chevelure qu'une femme désespérée et amoureuse à sacrifié à Aphrodite... Bien des fois j'ai observé les nuits d'été pour les trouver. Elles ont été souvent les seules compagnes de mes errances. Il en est tant d'autres encore qui puisent leurs racines dans d'autres traditions, d'autres mondes, et qui s'imagent dans les étoiles, les fleurs du Telperion et du Laurelin, ou ce terrible serpent dont le sang inonde de rouge l'aube et le crépuscule.

Fanette s'interrompit un instant. Elle qui avait par ailleurs si peu d'instruction devait toute sa richesse à cette vieille qui avait su adoucir son enfance. Elle n'avait jamais su d'où ou de qui cette simple paysanne tenait son érudition.

- Vous étiez comptable ... Croyez-vous que ...

Elle glissa un regard hésitant dans le regard clair de son interlocuteur.

- Voudriez-vous m'apprendre à compter ... un peu mieux que je ne sais le faire ?

Fanette maîtrisait parfaitement mes chiffres ... jusqu'à dix. Dès que ses doigts débordés ne lui suffisaient plus, elle était perdue. Elle avait développé des stratégies pour gérer les comptes de l'auberge sans dépenser plus d'argent qu'elle n'en gagnait, mais ne connaissait jamais exactement le montant de la recette si son époux ou la Danoise ne repassaient pas derrière elle pour la vérifier.
_________________
Danaens
Lové dans le doux crépitement du feu Dan c’était laissé emporté par les paroles de Fanette, son sourire était radieux, il ne s’était pas trompé. Il y a un âge où l’on ne se trompe plus sur les personnes que l’on rencontre car l’on a appris à se taire pour exister. Oublier l’orgueil de tout user pour exister, de simplement profiter de voir un matin se lever, de faire une belle rencontre et de remercier les étoiles.

« Vous apprendre à compter ? »

Il marqua une nouvelle pause pour ne pas interrompre l’oiseau qui invitait le soleil à se coucher.

« Vous êtes déjà une bien belle conteuse… »

Dan embrassa de ses yeux usés la taverne et lui sourit.

« Je suis en mission, je dois apporter des lumières à un Noble au Nord de se pays, mon enfant, ma dernière mission. »

Il but une dernière grande gorgée de sa bière et offrit sans doute un sourire au parfum de ceux qu’un grand père offre à sa petite fille.

« Un service à un ami mais je reviendrais pour l’été… je vous le promets. »
« Peut-être pourrez-vous, également, m’aider… »


Dan se leva lentement sous le regard bienveillant du chien de garde qui avait comprit depuis le départ que cet homme n’était que trop sage pour être une menace à autre chose qu’à la folie du monde des hommes.

« Prenez soin de ce petit, belle enfant… attendez mon retour au début de l’été… »

Dan disparut à pas lent dans la ville, rejoindre l’escorte qui devait s’inquiéter de sa disparition, du temps qu’il avait volé avec amour.
Fanette_
[Salle commune, le 12 mai 1466]


- Cervoise pour tout le monde tavernière !


Et encore une tournée ! Aucun répit pour la fauvette qui avait annulé la petite fête que Svan lui préparait depuis la veille. La Danoise était partie montrer ailleurs la robe qu'elle avait prévu pour l'occasion, une robe à faire pâlir les nobles dames du comté, ou d'ailleurs. Elle avait aussi préparé quantité de petits biscuits, mais Fanette ne voulait plus rien que du calme et du silence pour clôturer sa journée. C'était raté ! Alors, elle servait, presque machinalement, accordant parfois un sourire un peu éteint, ou réprimant une légère contracture des mâchoires quand elle oubliait ses chairs encore liées par des sutures. Mais au moins, elle ne pensait pas. Les rires, et les mains qui la hélaient sans cesse pour une chope, un hanap de vin ou une infusion avaient momentanément chassé de ses pensées la terrible nouvelle qui, un peu plus tôt, avait ravagé de larmes son visage bien pâle.

- Tavernière ! Une tournée !

Un fût de cervoise était déjà vidé, le second prenait le même chemin, et quatre des bouteilles du vin que Roman avait fait venir de Florence gisaient vides sur l'étal de bois. La porte claquait encore, accueillant des convives de plus dans une salle déjà bruyante et survoltée. C'est là que la Manouche avait défié un homme, sous le regard amusé de la Josselinière et des présents qui déjà encourageait avec force de réflexions et de grands éclats de rire. Il était question d'une pomme qu'on lui avait quémandée. Fanette, distraite n'avait pas bien saisi qui avait eu l'idée, et qui avait choisi la cible, mais à présent, l'homme assis quelques tables plus loin semblait partagé entre fierté et couardise. La promesse d'un baiser l'avait fait pencher vers la première, et lentement, il avait placé le fruit dans sa bouche. Les badauds les plus proches avaient prudemment reculé leurs chaises pendant que la jeune mère descendait au sol, derrière le comptoir, le panier dans lequel dormait Milo. Le chien s'était aussitôt affalé à côté, posant sa lourde tête aux pieds de l'enfançon. Dans la salle, l'homme n'en menait visiblement pas large, on aurait sans doute été apeuré à moins, mais courageusement malgré tout, il ne bougeait pas, dents plantées dans la pomme. Quand la femme s'était levée, dégainant gracieusement le couteau qu'elle tenait caché dans un repli de ses jupes écarlates, il avait fermé les yeux. Elle avait ramené ses boucles d'ébène dans son dos, et plissé légèrement son regard charbonneux, puis d'un geste sec, avait envoyé la lame, dans un sifflement bref, se ficher dans le fruit. Le brun, tignasse en désordre et visiblement soulagé avait quémandé son dû à la marquise de Nemours, prétextant avec un peu d'emphase qu'il avait risqué sa vie. Mais la Gitane, remisant son arme au même discret endroit l'avait toisé d'un air narquois.

- Allons, vous n'avez rien risqué du tout. Je ne rate jamais ma cible.

Fanette était trop triste sans doute, et trop fatiguée pour s'émerveiller de l'audace de la femme, ou du courage de l'homme. La veille encore, aurait-elle espéré une nouvelle démonstration, et rêvé d'user de la même adresse. Ses yeux glissèrent fugacement sur le bocal déposé au milieu des chopes propres par Svan. A l'intérieur flottait toujours le lobe d'oreille du prévôt. D'autres qu'elle savaient bien mieux manier les couteaux, et en maintes situations elle avait déploré d'être si peu douée avec une lame. Pas le temps de s'égarer en regrets...

- Tout le monde boit ! Tavernière, une autre !

Et encore une autre, puis une autre, une autre ....

L'absence de Svan commençait à peser, la soirée avançait sans que la salle commune ne désemplisse. A la lanceuse de couteau avaient succédé d'autres convives. Le sieur Bezoard lui avait annoncé son départ, au lendemain. De Pierre elle avait reçu un mot qui avait révélé un sourire à ses lèvres. Il parlait de cette date comme d'un jour à la fois si heureux et si triste, et combien elle s'était émue que celui qui, père d'un soir de novembre, puisse toujours saisir si bien le fond de ses pensées. Puis le Corleone s'était assis tendrement à côté d'elle. Il savait, et les mots étaient toujours bien inutiles pour l'assurer de son soutien et de sa compréhension. Ses lèvres doucement appuyées étaient un baume, et le bras, enroulée à sa taille l'invitait à couler dans l'étreinte un peu du chagrin qui pailletait d'or son regard. L'espace de ce non-dit qui faisait tant de bien, elle avait ignoré les mains qui réclamait à boire. Mais le tintement des pièces jetées sur l'étal de bois la rappelait à ses devoirs de tavernière, et, en l'absence de la brune, il fallait bien assurer le service. Alors, elle s'était relevée, encore. Et à peine s'était-elle assise de nouveau auprès de l'Italien, que déjà, quelqu'un lançait une bourse pour réclamer la tournée suivante. L'épuisement commençait à se faire sentir, elle se leva, réprimant une petite moue d'inconfort qu'elle s'empressa de dissimuler dans un sourire qui n'échappa cependant pas à son époux.

- Evite-moi de te refaire des points de suture, s'il te plaît ! grogna-t-il à son oreille. La main pressait son l'épaule d'une poigne ferme pour la faire rasseoir, et, la laissant couver leur enfant du regard, il avait pris le relais, le temps que s'estompent doucement les rires et les bavardages, et que les vapeurs d'ivresse se perdent dans la nuit.

Et cette soirée, que Fanette espérait calme et solitaire, à l'exception d'un seul, ce deuil, celui qu'elle avait à faire, pour un père perdu un douze mai, et pour une amie, dont elle venait d'apprendre le décès ce même jour, s'était finalement opposé à la vie, colorée, joyeuse et bruyante qui, comme un antidote à la mort, avait fait vibré la salle commune jusqu'aux vigiles.
_________________
Fanette_
"Dans toutes les larmes s'attarde un espoir."
(Simone de Beauvoir)


[Salle commune, le 14 mai 1466]



Dans toutes les larmes s'attarde un espoir, et ce soir-là, dans la salle commune encore bien bruyante de l'auberge, il était offert par Astoria. La jeune femme l'avait promis à la cabaretière quelques jours plus tôt. Elle lui tirerait les cartes, et sans lui demander d'argent.

- Mélangez le jeu et coupez ! Avait-elle dit en sortant de la besace jetée négligemment à ses pieds un jeu de cartes qu'elle avait soigneusement peint. Sa main tendait le jeu, le sourire généreux poussait à le prendre. La jeune femme habilla son regard clair d'une douceur bienveillante, invitant Fanette à quitter son comptoir un instant pour prendre place devant elle.

Les deux derniers jours s'étaient révélés bien tristes. Les départs annoncés et l'absence de Svan avaient rendu plus lourd encore le chagrin à porter, celui du triste anniversaire de la disparition d'un père, comme l'annonce récente de la mort de Yohanna. Alors, elle n'avait guère le cœur à sourire, et encore moins à espérer. Elle trouvait un peu de réconfort dans la contemplation du nouveau-né, dont elle ne s'éloignait jamais trop, mais s'épuisait aux corvées de l'auberge qui palpitait des rires des convives jusqu'à tard chaque nuit.

Elle fit donc quelques pas pour s'installer à la table de la jeune femme. Les doigts fins s'emparèrent des cartes, et, sans trop savoir comment procéder, s'efforcèrent de battre le jeu. Ce faisant, elle releva un regard perplexe et intrigué vers la cartomancienne. Sa peau était aussi hâlée que celle de Fanette était claire. D'un foulard carmin, savamment enroulé à sa tête, retombaient souplement autour de son visage fin de longues mèches brunes. La lueur dansante des flammes des deux chandelles posées sur la table jetait des touches brillantes aux anneaux d'or qui ornait ses oreilles, sa narine et ses mains. Par bien des points elle ressemblait aux filles de la Kumpania auprès de qui la vagabonde avait campé, il y avait de cela deux hivers. Peut-être les connaissait-elle, peut-être connaissait-elle aussi la lanceuse de couteau qui avait fait le spectacle ici même, deux jours plus tôt. Fanette garda ses questions, en déposant devant elle le paquet, qu'elle coupa en deux.

La main agile de la brune saisit la pile de gauche pour la reposer sur l'autre. Puis, la pulpe des doigts, d'un effleurement parfaitement maîtrisé sur le dos des cartes, les étala en éventail sur la table.

- Choisissez dix cartes, face cachée.

Les noisettes glissaient du visage de la jeune femme sur le jeu qu'elle venait de déployer devant elle. Elle hésita un instant, et, de l'index, doucement, désigna une à une les cartes vers lesquelles son instinct la portait. La brune la désarçonna un peu quand elle lui demanda si elle avait une question particulière à poser. Elle en avait en vérité, plein, trop, et sans doute insuffisamment précises. Milo aurait-il une belle vie ? Roman parviendrait-il à vieillir sans tomber sous le coup de ses ennemis ou de la justice ? Serait-elle aimée de lui jusqu'à la fin de sa vie ? Comment pouvait-elle faire pour retenir pour toujours le bonheur qu'il lui avait offert, un an plus tôt ?

- Je vous l'ai dit, je n'apporte pas de solutions, seulement des pistes.

Cette réflexion encouragea Fanette à oublier les questions trop vagues, alors, elle en posa néanmoins une. Celle qui, à cette période de l'année lui revenait sans cesse, et que, le retour de Pierre à ses côtés avait rendue plus essentielle encore.

- Mon père, est-il toujours vivant ?

La brune retournait les cartes. Les yeux fixés sur la face des arcanes qu'elle révélait une à une, elle les disposa en trois groupes, en laissant volontairement une de côté. Puis, longuement, elle regarda la première triplette, étalée face à elle, et releva son regard d'eau vers la jeune mère.

- Vous êtes fatiguée, je ne vous l'apprends pas. Mais, pas seulement physiquement dirait-on. Il y a une lassitude aussi. Il vous serait agréable d'envisager un voyage, n'est-ce pas ?

Fanette acquiesçait sobrement. Autour d'eux, tout le monde faisait silence. Quelques convives avaient rapproché leurs chaises pour ne rien perdre du spectacle. Roman, assis près de son frère, observait l'échange d'un air circonspect. La brune teinta sa voix d'une once de mystère en effleurant du doigt les trois cartes qu'elle avait savamment posées à sa droite.

- Le jugement, l'empereur et la papesse. Nous parlons toujours d'un voyage. Ses sourcils se froncèrent légèrement, assombrissant son regard qui prit une teinte d'émeraude. N'y pensez plus, c'est un conseil. Enfin reportez-le, pour le moment. Il en va de votre sécurité.

Fanette chercha des yeux son époux, et se heurta à son regard perplexe. Il hocha néanmoins la tête, pour lui signifier qu'il avait parfaitement saisi les propos de la femme. Elle esquissa un timide sourire avant de reporter son attention sur la brune. La femme s'intéressa ensuite au groupe suivant, disposé à sa main gauche.

- Bien, maintenant, nous avons, la force, le soleil et l'amoureux.

Elle marqua un temps d'arrêt, réfléchissant pour transcrire au mieux ce que les cartes livraient de secrets, ou pour asseoir l'intérêt que tous lui portaient peut-être ?

- Vous allez recevoir une visite Fanette. Bientôt, la fin du mois sans doute.

Fanette releva vers elle un regard intrigué.

- Une personne qui manifestement semble vous vouloir du bien mais dont les intentions demeurent encore floues. Vous la connaissez.
- Je la connais ... bien ?


La brune de nouveau observa un instant de silence, semblant recueillie dans une grande concentration. Puis elle hocha lentement la tête.

- Un parent, j'ai cette sensation. Votre père peut-être, mais je ne sais l'affirmer. Les cartes ne me disent pas s'il s'agit d'un homme, ou d'une femme. Ne lui fermez pas la porte en tout cas, car cette visite augure un changement majeur dans votre vie.

Le cœur de la fauvette manqua un battement. Bouche bée, elle dévisagea un instant la cartomancienne sans savoir quoi répondre, sinon un hochement de tête. Mais à l'intérieur, mille questions se bousculaient. Son visage imprimait la surprise, autant que l'incrédulité. Que savait donc Astoria sur son père ? L'espoir qu'elle venait d'immiscer en son cœur venait de lui faire oublier la discussion qu'elle avait eu au sujet de ses parents avec le sieur Bezoard, quelques soirs plus tôt. Le calme d'une soirée bien avancée avait été propice aux confidences, et elle ne pouvait songer un seul instant que cet homme, qu'elle connaissait depuis plus de deux ans, ait pu rapporter ses paroles à la jeune femme avec qui il préparait son prochain voyage. Elle avait beau chercher, elle n'imaginait pas qu'Astoria puisse connaître quelque chose de sa vie, de son passé, de ses blessures. Elles n'avaient que peu parlé, et jamais de choses personnelles.
Elle parvint à calmer son émoi, relevant un sourire vers la brune, qui déjà retournait la carte qu'elle avait mise de côté un peu plus tôt.

- La dernière à présent, la plus importante. Sa voix se fit plus profonde. L'arcane sans nom, on l'appelle aussi la mort.

Elle laissa retomber sa voix, visage impassible, ajoutant un peu à son effet dramatique, puis repris, sur un ton un peu moins grave.

- Ce n'est pas toujours mauvais signe Fanette. Elle représente ici un passé révolu.

La jeune mère la regardait sans trop comprendre.

- Cela veut dire qu'il va vous falloir clore un chapitre de votre vie. Peut-être est-ce une relation qu'il vous faudra briser, pour ménager votre sensibilité.

Elle rassembla d'un geste les cartes devant elle, les remisant en une pile bien ordonnée puis plongea son regard clair dans les noisettes de l'aubergiste.

- C'est tout ce que je sais vous dire !

Fanette soupira. Elle savait ce qui était révolu dans son passé, et il lui semblait qu'elle n'avait plus besoin de briser aucun lien. Elle avait déjà tourné bien des pages d'amitiés qui lui faisaient mal. Et une autre venait d'être déchirée, bien malgré elle, par la mort elle-même. Etait-ce la signification ? Devait-elle s'efforer d'oublier Yohanna pour ne plus la pleurer ?

- Vos cartes ne se trompent jamais Astoria ?
- Mes cartes ne disent pas toute la vérité. Elles en disent une seule.

Fanette lui étira un sourire. Une seule vérité, parmi toutes celles qu'elle venait d'entendre. Elle balaya la salle du regard, cherchant parmi les convives les lichens Italiens. Si les cartes ne lui avaient livré ce soir qu'une seule vérité, elle savait bien laquelle elle voulait voir se réaliser.

Largement inspiré d'un rp taverne avec jd Astoria

_________________
Zilofus
[Le 21 mai dans la soirée ...]


Ses yeux avaient saigné, ses oreilles sifflé plus que de raison, sa mâchoire était tombée au sol quelques heures plus tôt au tribunal à l'énonciation de la seconde plaidoirie de la danoise, il s'était fait bretonnifié à un point qu'il est difficile pour quelconque normand de résister.

C'était dans l'optique de lui remettre les idées en place par quelques coups qu'il était venu dans la taverne du Saucisson, pour une fois qu'il en avait pas après la propriétaire des lieux c'était étonnant mais forcément cette dernière peureuse comme pas deux avait flippé en le voyant débouler pour se mettre sur la tronche avec sa soeur et l'avait donc sommé de partir avant que ça ne finisse mal encore une fois, qu'elle vienne le planter parce que depuis qu'elle avait goûté au plaisir des lames elle ne pouvait plus s'en passer. De son coté, le normand n'avait que faire des pseudos avertissement de la fauvette, il se moquait éperdument de ce qu'elle pouvait bien dire, lui il était simplement venu pour sauver le peu de dignité qu'il lui restait après se l'être fait mettre avec un peu de beurre salé, c'est donc tout naturellement qu'il avait commencé par balancer une crêpe toute sèche au parfum chouchen vers sa cible avant de lui coller quelques taquets en guise d'échauffement. Les mots gentils n'étaient sortie qu'ensuite pour accompagner les coups plus prononcés de l'un à l'autre, tandis qu'il balayait l'air de ses poings la danoise lui tirait les cheveux et profitait de sa prise pour lui tourner autour, l'empêchant ainsi de faire quoi que se soit en retour. Il dû adopter une autre tactique, celle du crabe pour rester dans le contexte marin, pour venir la bousculer de flanc et se libérer de son emprise, et, bien que libérer de ses viles mains qui lui arrachaient sa belle chevelure elle parvint dans sa grande agilité à lui grimper dessus pour reprendre ses attaques aussi fourbes que douloureuses. Sauf que là, ce qu'elle ignorait encore avant d'en faire les frais c'est qu'il avait la technique imparable pour se débarrasser des paresseux qui s'accrochait avec autant de ferveur, ni une ni deux il en profita pour enclencher la marche arrière à toute allure et aller la plaquer contre le mur le plus proche afin de pouvoir se débarrasser d'elle pour reprendre un combat plus loyal.

Si seulement cela avait pu se poursuivre ainsi ... C'était non pas sans compter que la taverne au Saucisson était pire qu'un moulin, ça entrait, ça sortait, ça revenait, jusqu'à ce qu'un barbu rentre et qu'un bonjour plus tard il sauva les miches de la danoise en la trainant dehors l'air de rien. Franchement ... on pouvait même plus se taper dessus en paix de nos jours sans que d'autres viennent s'en mêler en agissant en preux chevalier pour sauver les donzelles en détresse, tout se perdait dans ce royaume ...

N'ayant voulu faire le déplacement pour si peu, il profita de sa présence pour ensuite s'en prendre à Fanette, le normand avait des représailles à mener pour sa visite impromptue de l'autre fois, sans compter ses pleurs qui lui avait couté un bout d'oreille quelques jours plus tôt. Comme elle ne comprenait rien après s'être faites kidnapper, taper dessus, saucissonner de nombreuses fois, appeler par de nombreux sobriquets et menacer de baignade éternelle dans un fleuve, il allait refaire la déco intérieure de sa taverne. C'était une assez bonne activité que d'envoyer de la vaisselle voler dans toute la salle et d'entendre quelques secondes après un paf d'éclatement, quand plus rien ne trainait sur le comptoir ou à proximité il alla se saisir d'une chaise pour venir l'éclater contre un mur, passant pas loin du bonhomme brun qui était venu chercher des camarades de jeu pour une partie de ramponneau et qui finalement était resté plus longtemps pour admirer le spectacle. Suite à cela ce dernier avait prit peur et avait prit sa chaise à son tour pour venir la casser sur le dos de Zilo, sur le coup il avait fortement grimacé et s'était plié de douleur, ça piquait pas mal même si les chaises de la propriétaire ne semblaient pas bien solides, il fallût néanmoins quelques secondes au prévôt pour se ressaisir en prenant appui sur une table voisine avant de se ruer vers son agresseur, non pas pour lui faire un gros câlin mais bien pour le plaquer à son tour contre le premier obstacle qui se présenterait à lui. Bon, vu la différence de gabarie ça l'avait calmé net le gus et il était resté assis sagement dans son coin dans l'attente qu'un éventuel joueur se réveille pour venir faire une partie. Il n'y avait ensuite plus grand chose à péter, peut être les vitres mais il ne voulait pas encore repartir en saignant de cette maudite taverne qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs, cette fois il se contenta des choses simples qui se présentaient à lui et comme il n'y avait plus rien il s'apprêtait à repartir pour retourner d'où il venait après avoir évidemment été avisé la fauvette de ne plus venir lui chercher des noises. Bien évidemment ça aurait été le meilleur des cas si tout c'était passé sans encombres mais ses deux amies présentes l'avaient encouragé à ne pas se laisser intimidé, tandis que l'une lui avait soufflé de le mettre à la porte un coup de pied au cul, l'autre tentait de le chasser à grands coups de balais, sauf que tout ça avait l'effet inverse que celui escompté, plus on voulait le virer et plus ça lui donnait envie de rester rien que pour faire chier son monde, parce que ça très clairement c'était ce qu'il adorait par dessus tout, s'il pouvait emmerder les gens d'une quelconque manière il ne s'en privait aucunement et allait même jusqu'à abuser de leurs nerfs si l'envie lui en disait.

Cette fois il n'était pas préparé et au top de sa forme pour marquer son passage, c'était à regret qu'il se dirigeait vers la sortie et sur le seuil de la porte il adressa à ces dames une révérence largement exagéré pour qu'elle soit vraiment prise au sérieux avant de sortir le fameux :


Je reviendrais !


Comment une simple visite de courtoisie chez sa meilleure amie pouvait dégénérer encore une fois ...
Fanette_
Salle Commune, le lendemain.

Fanette passait la main sur le mur. L'arête irrégulière d'une pierre retenait prisonniers quelques longs cheveux noirs arrachés à la tignasse Danoise quand Zilofus l'avait violemment plaquée dos au mur. Il était impensable qu'il vienne là, agresser gratuitement la mère de son enfant alors qu'en sa qualité de procureur, il instruisait un procès contre elle. C'était à n'y rien comprendre. Elle laissa ses doigts poursuivre leur exploration, mais ses pensées s'attardaient à la veille, et à l'affolement qui l'avait gagné quand les bruits de lutte l'avaient sortie de sa torpeur. Elle s'était empressée de déposer Milo au sol derrière le comptoir, et l'avait contourné, hésitant à se jeter dans la bataille.

- N'y aura-t-il donc personne pour faire cesser cela ? Avait-elle lancé pour les deux hommes présents.

Heureusement, Robin s'était rapidement immiscé entre eux pour enlever la Danoise et l'emporter ailleurs. Heureusement, oui, pour Svan ! Mais le Normand était resté, et son agressivité n'était pas retombée quand on l'avait privé de sa victime. En trois grandes enjambées, il s'était rapproché de Fanette, toujours dos à l'étal de bois ciré. Elle s'était un peu tassée sur elle-même en voyant son empressement et le rictus qui contractait ses traits, regrettant de ne pas avoir en main la dague qu'elle tenait cachée derrière les fûts de cervoise. Contre toute attente, et sans doute satisfait de son petit effet, il s'était mis à fracasser une bonne part de la vaisselle qui avait pu lui tomber sous la main, avant d'user de toutes ses forces pour briser une chaise sur la cloison, à l'endroit même où il avait jeté Svan un peu plus tôt.

La pulpe de l'index s'enfonçait dans les impacts laissés dans le mur fragilisé par les ans. L'enduit à la chaux était tombé par plaques, laissant les pierres visibles sur des surfaces d'un à deux empans de large par endroits.
C'est à ce moment-là que les choses avaient manqué de mal tourner également pour la fauvette. Elle refusait de le laisser continuer et s'était approchée, armée de sa hargne pour le mettre dehors. Mais le combat était bien trop inégal et tandis que les grandes mains emprisonnaient ses bras pour la repousser, un inconnu brisait la seconde chaise de la soirée sur le dos du prévôt. De surprise il avait relâché son étreinte, laissant le temps à Estrella de la tirer derrière elle, tandis que Mely s'employait à grands coups de manche à balai à le faire reculer. Alors le bougre avait renoncé, mais ne voulait pas s'avouer vaincu. Il avait pointé un index menaçant vers la jeune mère.

- J'vous aurai Fanette, un jour, j'vous aurai ! lui avait-il lancé, puis, reprenant son air railleur qui savait si bien agacer l'Angevine, il s'était incliné, mimant une révérence courtoise en persiflant encore.
- Je reviendrai.

Si c'était une promesse, elle espérait qu'il ne la tiendrait pas. Immobile, elle en avait fini de son inspection. Elle avait remisé auprès du mur supplicié les deux chaises cassées, et les chopes brisées, rassemblées dans un seau. Les doigts normands s'étaient refermés un peu trop fermement sur les avant-bras, laissant deviner quelques marques bleues sur la peau claire. Elle soupira. Tout n'était peut-être pas si grave, au contraire. La violence et les menaces livrées ainsi devant témoin, dont Svan et elle avaient été les cibles, sans qu'aucune des deux ne les ait provoquées, ne pourraient-elles pas jouer en défaveur du Normand, révélant aux yeux de tous son incapacité à cesser de les harceler ?
_________________
See the RP information <<   <   1, 2, 3, 4, 5, ..., 18, 19, 20   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)