Inracien a écrit:Bonsoir Fanette
J'espère que vous n'avez pas encore changé les draps de ma chambre ni retiré le berceau.
Si oui, il faudra au moins remettre le berceau. Mais si vous n'avez pas encore changé les draps, surtout ne le faites pas.
A dans pas longtemps !!
Le gamin du grouillot municipal s'était déplacé à une heure tardive pour remettre le bref à la fauvette. Laissant Oieg et Ariane à leur discussion, elle en avait pris connaissance, et ses lèvres avaient étiré un sourire où pointait l'amusement.
Elle glissa un regard vers l'escalier qui, au fond de la salle, desservait les sept chambres des pensionnaires. A moins de trois coudées, abandonné entre le mur et une table, gisait ledit berceau esseulé, sur lequel les larges feuilles d'acanthe et les libellules sculptées dans le bois de châtaignier n'émerveilleraient aucun enfant cette nuit. Mais il avait été sujet à bien des digressions qui, quelques années en arrière, l'auraient sans doute affreusement gênée. S'il lui était arrivée de rougir, dissimulée à l'écart du halo des chandelles, elle avait malgré tout suffisamment de maturité pour en rire et ne s'en était pas privée.
Si vous voulez voir mes appartements, il faudra me rendre un service, vous voulez ?Inracien était parti à l'aube du même jour, à une heure bien trop matinale pour déménager le meuble sans risquer de réveiller les autres pensionnaires. Elle avait remis la chambre en ordre, aéré, changé les draps, lavé le sol, et il restait ce fameux berceau qui avait veillé les songes de Milo comme de Stella, et qu'elle avait monté deux jours plus tôt avec l'aide du Rochelais, pour accueillir son nourrisson. Il s'agissait à présent de trouver des bras pour le redescendre à sa place, dans l'alcôve de la grande chambre du rez-de-chaussée.
Sub avait soupiré pour la forme, mais il s'était plié de bonne grâce à l'exercice, sans doute passablement amusé quand sa frangine s'était pointée et que, du bas des escaliers, elle avait entendu le chahut. La brune Marseillaise se gargarisait, déjà persuadée de pouvoir empocher les cent-cinquante écus de sa victoire, et cerise sur le gâteau, d'infliger une défaite cuisante à son époux.
Depuis la veille en effet, les paris allaient bon train et l'aubergiste en était à la fois l'enjeu et la participante. Qui de Kalan ou de Sub saurait la convaincre de lui laisser glisser une main sous ses jupes. Alan n'avait aucun doute sur la victoire du Franc-comtois et avait proposé cent écus à Fanette si elle le faisait mentir. Kachina avait surenchéri, allant jusqu'à miser cent-cinquante écus, certaine que la fauvette ne saurait résister à son frère, qui à son sens cumulait toutes les qualités.
La blondine avait relevé les deux défis, jugeant que c'était là de l'argent facile à gagner. Il n'y avait aucune équivoque avec le barbu, à tort ou à raison, elle en était convaincue, et elle n'avait pas l'intention de céder davantage au frangin, d'autant qu'elle avait appris avec amusement, que s'il y avait bien un séant sur lequel il ne tarissait pas d'éloges, c'était celui de son beau-frère.
Supputations déçues ou pas de Kachina, le couple qui n'en serait pas un, avait tant bien que mal descendu le berceau et le porteur improvisé avait décidé d'une pause, abandonnant son fardeau au pied de l'escalier. Pour lui faire parcourir l'enfilade de pièces jusqu'à son alcôve d'origine, il faudrait attendre un peu.
La salle commune s'était progressivement remplie des habitués, de l'ami Russe et de sa dulcinée, agréable surprise du début de la relevée, et d'un Kalan intrigué autant qu'amusé. Evidemment, la présence du berceau titillait la curiosité des participants. Fallait-il en plus engrosser la fauvette ? Un autre cheval l'avait-il déjà fait, coiffant au poteau les deux concurrents retardataires ? De questions en négociation, de pronostics en analyse, le Lupo, à l'image des soirs précédents, avait résonné d'un tumulte joyeux agrémenté du claquement des timbales d'étain sur les tables de bois jusqu'à tard dans la nuit, avant que, aussi doucement qu'elle s'était remplie, la salle commune ne se vide. Oieg s'était attardé encore un peu à cette soirée de retrouvailles, confiant de vive voix tout ce qu'il n'avait pas eu le temps de lui coucher sur un vélin, puis, à son départ, Fanette s'était barricadée avant de souffler les chandelles.
Mais en attendant, au pied de l'escalier, le berceau était toujours là, et demain, il fallait le remonter. C'est sub qui allait être ravi !
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