Astana
~ BORDEAUX ~
8 septembre
8 septembre
Scratch scratch.
- Ambrose,
J'écris et songe « Ambrose » aujourd'hui, demain ce sera peut-être Anastase, Boniface, Cassius, Jean-Michel, Enguerrand, Flavien, Dagobert, Tancrède, Brise-du-Nord ou Dévoreur d'entrailles. Qu'est-ce que j'en sais. Claude, Alix peut-être, pour convenir aux deux. Je sais pas, à la vérité, combien vous êtes en-dedans. Et désolée, alors, pour vous qui êtes peut-être multiples à grandir en-dessous de la surface, mais je t'envisage Un. Et masculin. J'ai déjà une fille, ta sur, qui est à la fois parfaite et terrifiante, et sans doute que c'est l'explication la plus logique que je puisse donner aux gens. La variété. Mais tu n'es pas, les gens. T'es un bout de moi et de ton père, qui est en bien des manières parfait et terrifiant également. A toi je dois la vérité. La moche. Celle que j'écris : j'ai peur.
J'ai peur d'une autre Hazel. Une avec laquelle je me foirerais aussi. Une à qui je donnerais tout mais mal, si mal, bancale, et qui fatalement finirait par s'éloigner vers des horizons plus clairs. Ceux des druides qui content des histoires tous les jours au coin du feu, même quand il pleut, parce qu'ils trouvent aussi de la beauté dans les orages. Paralysée par le souvenir, la pression du « faire mieux ». Toujours prendre à gauche parce qu'on se souvient qu'avant, on avait pris à droite. Et ça serait pas juste. Ni pour moi ni pour elle, d'avoir cette vilaine épée de Damoclès au-dessus du museau pour nos débuts et fins de vies respectives. Alors voilà, chaque jour qui passe, je prie pour que l'univers ne me mette pas entre les mains une seconde fille, pas encore, qu'on me laisse d'abord essayer de réparer mes foirades passées avec la première. J'ai que deux mains, c'est long. Telle est ma pénitence. Alors que lorsque je pense à toi, j'ai pas d'angoisses. Ni peur, ni le vertige. Tu m'es frais, léger. J'suis sûre.
Pardon.
Mais tu sais pas à quel point c'est rare, les zones sûres, dans ma vie. Peut-être un jour je te raconterai. Qu'on te racontera. Que tu liras sur un bout d'annales déchiffré. Que t'apprendras à entendre et reconnaître. Que tu croiras. Crois-le, lorsque je t'écris que je suis fatiguée de ces millions d'incertitudes. Presque toujours japparais au-dessus, parce que mes tourments n'ont leur place que dans ma forteresse personnelle. Là-haut. Il paraît que ton père, lui, possède un château avec une tour à mon nom. Oui, on fait un beau gratin à nous deux, il est bien doré. Alors sans doute que toi aussi, t'hériteras d'une résidence mentale. Faudra que tu fasses plusieurs jeux d'clefs. Conseil. Tu seras probablement aussi lunaire que ton père, ça me fiche pas la frousse. T'es mon gars sûr. Mon ilot serein. Ceci est une prière.
Et pourtant.
Pourtant je devrais être pétrifiée à l'idée d'avoir un fils. J'devrais arrêter de prier, faire marche arrière, il est encore temps. Parce que Johannes, de tif blond et barbe d'argent, i-
- « Astana ! Vous v'nez ? »
Sursaut. Papier roulé en boule et jeté au feu. Réflexe. Faire disparaître les preuves.
- « Oui ! »
Fissa les fringues lissées, fissa la porte derrière laquelle se font entendre :
- « C'fait des plombes qu'on vous attend, mon renard des landes. »
- « Papa, pourquoi tu mens ? »
- « Tch. Bouchon j't'expliquerai. »
- « T'es loooooooongue ! »
Voilà, faites des gosses. Danoise apparaît enfin, mine encore habitée par les restes d'une vive surprise, sans doute aux quelques ombrés coupables. La porte du bureau fermée avec soin dans son dos. Non, je priais pas pour un garçon. Du tout.
- « J'suis là. »
- « Faisiez des listes ? »
- « N- »
T'as une tête de coupable, déjà, Sa Blondeur. Alors nie pas. Oui absolument, c'est ça, des listes. Comment tu m'as trop gaulée, astre de mes jours.
- « Hin j'ai commencé la mienne ! J'sais toujours pas si c'est bien d'agrandir la famille. »
_________________