Samsa
- "Je me souviens encore de la première fois
Qu'on s'est embrassées.
Nous n'avions pas besoin de gui
Pour savoir ce qu'est l'amour.
Dans les bons et mauvais moments
Il y a une chose qui reste vraie :
Noël, c'est mieux
À chaque instant passé avec toi."*
Le Noël avait été passé à Aixe, en compagnie de Lucie et Arry. Lucie, c'était la famille ; la demi-soeur d'Alcimane. Le repas avait été plaisant et joyeux, convivial, pour le plus grand plaisir de Samsa qui n'aimait pas beaucoup les grandes assemblées malgré sa capacité en taverne à pouvoir suivre et entrainer dix personnes en même temps - pour peu qu'elle ne soit pas trop fatiguée au départ, et que ça ne dure pas trop longtemps. Elle s'était éclipsée peu après minuit et les cadeaux offerts pour se rendre sur les tombes de Lucie - l'autre, sa suzeraine - et d'Eldearde afin de déposer, sur la première, une couronne de fleurs et sur la seconde, une paire de gants en fourrure. Une histoire en rapport avec un chapeau en fourrure qu'elle lui avait offert précédemment, de son vivant. Cerbère n'abandonne personne, pas même ses morts. Elle était revenue, sans peine ni chagrin, poursuivre les discussions une partie de la nuit. Le réveillon était terminé, les cadeaux avaient été offerts ; Noël était comme achevé. Pas totalement, en réalité.
Le lendemain, après être rentrée avec Alcimane, elle avait rejoint discrètement l'échoppe d'un peintre. Sur le chemin, elle avait pensé et peaufiné la manière dont elle offrirait, en premier lieu, la ceinture en soie. Elle avait tout organisé autour de celle-ci : elle avait trouvé le savoir-faire, toute seule. L'avait vendu à moitié prix à la brave Thaïs et lui avait fourni la soie également, trouvée à la sueur de son front. Un projet confidentiel bien rôdé. Elle était sûre que la ceinture plairait à Alcimane ; elle espérait simplement qu'elle n'en ait pas déjà trouvé une tant cela pouvait lui plaire ! Le plan semblait avoir fonctionné, et Cerbère avait devancé les attentes de sa compagne. Mais il y avait autre chose, quelque chose sur laquelle Samsa travaillait depuis un moment, ici, dans cet atelier de peintre.
C'est une femme qui accueillit Samsa et celle-ci lui sourit. L'artiste était effectivement une femme, formée par Jeanne de Montbaston, une des rares femmes artistes connues de l'époque. Elle avait également voyagé en Italie où la peinture de la Renaissance prenait un essor plus rapide qu'en France.
-Saluté pardi. Ma commande est-elle prête ?
-Elle l'est, Votre Grandeur, comme convenu.
-Montrez-la moi une dernière fois té.
La dénommée Gisla emmena la combattante en arrière-boutique où deux jeunes hommes achevaient la préparation d'un tableau d'environ un mètre soixante-cinq et d'une belle envergure. Samsa s'approcha et étudia une dernière fois la peinture dans ses teintes et couches de peinture. Cette uvre avait été faite à quatre mains : deux de la femme peintre, et deux de Samsa qui n'était pas en reste. Elle avait longtemps travaillé dans deux ateliers différents de peinture et de tissage. On ne cessait ainsi jamais de s'étonner quand on apprenait qu'elle savait coudre, quand bien même n'égalait-elle pas des Samaële ou des Sorianne. Elle préférait de toute façon l'art de la forge à celui de l'aiguille.
-Vous m'avez quand même faite très rousse pardi.
-C'est la lumière de la scène, Votre Grandeur.
-Ahin. Ce n'était pas déconnant.
-Vous avez un bon coup de pinceau.
-Nous avons fait une bonne équipe té. Ma vassale sera ravie de ce souvenir de notre cérémonie d'hommage.
La vérité, évidemment, ne pouvait être dite. Il avait fallu mentir, et tout s'était bien passé. L'artiste n'avait rien soupçonné, moins encore avec l'influence italienne qui autorisait bien plus de représentations, pourtant basiques, que l'art médiéval en lui-même bannissait au nom d'une bienséance démesurée.
Samsa lui sourit et lui remit une bourse ; le dernier paiement d'un travail de plusieurs mois. Les deux hommes finirent la pose du cadre et, alors que Samsa s'éloignait pour rentrer accueillir la livraison prochaine, l'artiste la retint :
-Votre Grandeur, quel nom souhaitez-vous donner à ce tableau, pour que nous le gravions sur le cartel ?
Samsa s'arrêta sans se retourner pour autant. Elle réfléchissait. Elle n'avait pas forcément pensé à ce détail qui avait pourtant son importance. Il ne devait pas être trop explicite : le coup de la vassale, ça ne duperait personne d'autre que l'artiste. Le titre aurait pu être "les dames de [insérez ici le nom de la seigneurie d'Alcimane encore inconnu]", mais ce n'était pas quelque chose d'assez stable, d'assez durable. Ça pourrait lever des suspicions, aussi. Cerbère tourna finalement la tête vers la femme et lui dit, en souriant :
-Appelez-le "26".
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[De retour chez Samsa et Alcimane, seigneurie de "On-ne-sait-toujours-pas"]
[De retour chez Samsa et Alcimane, seigneurie de "On-ne-sait-toujours-pas"]
Cerbère avait profité de l'absence de sa compagne au château pour faire livrer le tableau en toute discrétion, éloignant temporairement les domestiques les plus bavards et dévoués qui auraient pu baver au retour de la dame en titre - quand bien même un tissu cachait la toile. Elle l'avait faite adosser contre un mur de la salle principale par les deux jeunes hommes de l'atelier mais, dès qu'ils étaient repartis, elle s'en était emparée - tant bien que mal - pour l'amener dans leur chambre et l'appuyer ainsi contre un de ses murs. Luvre n'était pas à cacher ; Samsa n'aurait pas participé à l'élaboration d'un grand tableau fait pour être dissimulé. Il y a des risques qui ne se prennent pas, et des choses qui ne se font pas. Simplement, elle ne voulait pas qu'un il indiscret puisse assister à la révélation de la toile. Ce moment-là n'appartenait, et n'appartiendrait, à personne d'autres qu'aux concernées. Un moment arraché aux retenues publiques et aux obligations morales s'il leur en prenait, qui ne briseraient pas les élans quels qu'ils soient.
Samsa s'installa en bonne place, là où Alcimane serait obligée de passer si elle voulait grimper se changer ou ranger quelques documents dans leurs coffres. Tranquillement assise sur un siège confortable, elle s'occupa à lire quelque livre pris au hasard d'une bibliothèque honorable. En l'occurrence, "Lais de Marie de France", un recueil de récits en vers glorifiant l'esprit chevaleresque, la belle saison et l'amour courtois. Cerbère aimait les contes et légendes, les récits et l'harmonie des vers ; ça l'inspirait, la guidait et apaisait ainsi en même temps un cur qui cachait bien souvent aux autres sa peur de l'échec. Celui-ci, elle ne l'avait pas encore lu, et ça la changeait plutôt des légendes arthuriennes.
-Vous saviez que dans de nombreux récits, la belette est un animal qui amène une plante guérisseuse pardi ? demande-t-elle à l'aveugle en entendant Alcimane rentrer. Ce doit être la carotte énonça-t-elle avec amusement en tournant la tête vers sa compagne. Les biquettes se portent bien ?
* = paroles traduites de Joshua Bassett - The perfect gift
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