Sofie.
Et le monde a tourné sans nous.
C'est une phrase apprise depuis peu, elles n'auraient jamais pu s'en douter, le monde tournait autour d'elles, elles décidaient de quand et comment, mais ce monde autonome qui valse sans elles c'est juste de la trahison...
Car la modestie n'existait pas en Auvergne, ils ont les volcans et le fromage, ils ont Silec et Maychou, alors, si encore fallait se taper en calamité la modestie, personne ne viendrait y vivre.
C'est ainsi que la vie coulait, d'une à l'autre, surtout chez l'ôtre à ses frais et l'insouciance empestait les jours de pluie.
Elle se souvient encore de ce fameux soir, l'ivresse en troisième larron, elles refaisaient le monde, tout y passait, l'amour n'existait pas, les hommes tous des marrons, la politique des corrompus, sauf elles..Les médicastres des escrocs, les vendeurs des bonimenteurs. Une fée passait parfois pour étinceler la lueur dans les esprits, avant qu'elles ne s'endorment. Et la fameuse phrase lancée en défi, comme les gosses peuvent prétendre aux rêves.
Plus tard je serai Reine de France!
Elle avait haussé les épaules, plus tard c'était après la griserie, demain elle voudra traverser la mer sur la pointe des pieds pour aller à Alexandrie, demain il fera jour..
D'accord ! t'as vu la nouvelle duchesse? Sa robe n'est pas associée à ses yeux.
Elles finissaient par s'endormir, en se coulant dans de merveilleux songes, car au fond, l'amour était un rêve, éternelles amoureuses de la vie, avant tout, elles couraient derrière l'idéal, chacune aspirant à l'utopie du lendemain.
Et enfin..
Quelques déconvenues, quelques espoirs et beaucoup de larmes, elle était là, placée au premier rang, assez proche pour découvrir les joyaux de la couronne, posés sur la tête de l'ôtre, assez proche pour en sourire et pour savoir le chemin de vie et ses sacrifices, pour en arriver là..
Encore présente pour quelques mariages, quelques naissances, quelques imbroglios, elle était là.
Comme elles se maudissaient, cette haine féroce qui devenait un je t'aime rageur, il fut dans le passé bien des gens qui tentèrent de les séparer, alors l'autre sortait les griffes, quand la première se rangeait derrière. Léglise, les hommes, les férues de la jalousie, la politique et les guerres...Elles ont dû faire toutes les guerres, pour être aussi fortes aujourdhui.
Cet hiver sera beau, l'amour brille et la neige arrivera à l'heure. Enfin, elles se retrouvent, le rendez-vous est donné, ce sera Alençon au bord du lac, sans la garde et le tralala. Sans les soldats et son vieux capitaine, sans personne, juste elles et quelques canards qu'elles massacreront à coups de pierres pour les mutiler. Car les canards à trois pattes c'est toujours plus attachant que les intègres.
Assise sur une grosse pierre, elle attend, la bouteille est au sol, pas besoin de godets. Devant elle, Udon, coule paisiblement, si elle savait..Le rendez vous est donné, elle avait reçu le message codé, elles seront à l'écart, loin des yeux, loin de tous..
La rivière est dans son lit depuis des décennies, ce jour, elle risque den sortir pour aller se cacher. La couleur rouge carmin est un mot tabou, pourtant leau rougira dêtre témoin de souvenirs impérissables. Au loin le clocher bat son rappel, la messe peut bien attendre, elles doivent y boire le vin, cest la France entière qui attendra et retiendra son souffle, cest autour dune bouteille que les idées les plus florissantes ont vu le jour dans le passé Des flammes et une biscuiterie en ruine pourraient en témoigner.
Enfin, elles seront seules, juste deux, comme bien souvent dans le passé.
Enfin, quelques pas derrière elle font craquer les branches mortes, peut-être quelles auraient dû prévoir un mot de passe, pour ce rendez-vous secret, mais dans le doute..
Mot de passe ?C'est toi?
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