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[RP] Surtout ayez l'air naturel

Jhoannes
Trente-sept secondes plus tôt, et si l'on oubliait sa dégaine de trimardeur sur le retour, le barbu se fondait relativement bien dans la clientèle de la boutique. Lui aussi, les mains vagabondant entre les tissus exposés en vrac sur l'étal, il comparait un drap de laine peignée avec un autre drap de laine peignée. La facture de l'un valait-elle davantage que celle de l'autre ? Le cramoisi ou le vert sapin ? La question existentielle méritait qu'on y réponde, non pas par crainte de se faire entuber sur le ratio prix / qualité, mais parce que quitte à faire des emplettes de blanc, autant ne pas avoir à y retourner dans l'année car on aura acheté un produit tout nul qui se déchirera au premier angle de commode rencontré, et alors consacrer son temps pour des choses essentielles, comme faire de la musique en tapant sur des culs de bouteille ou bien encore étudier l'anatomie d'une or- Oh putain c'est Paulin.

Une silhouette imposante vient de passer le seuil du commerce. Direct, Blondin rabaisse son capuchon pour dissimuler sa trogne aux regards, en priant pour que les mèches de dorure folles veuillent bien rester planquées en-dessous le temps qu'il trouve comment se sortir de là. Qu'est-ce qu'il avait dit Paulin en début d'année ? Si tu reposes un pied dans Paris, je t'égorge ? Pas exactement en ces termes, mais le message portait un fond similaire ; si je te vois dans la capitale, tu es un homme mort. Mort. Jhoannes n'a pas envie de mourir. Pas aujourd'hui, pas ici. Et même si Paulin a développé un fond de clémence depuis leur dernière entrevue sanglante, même s'il le fait pas réellement clamser, il loupera pas l'occasion de lui péter la gueule à nouveau. C'est une première certitude. La seconde, c'est qu'il doit trouver une issue. Rapidement. La troisième, c'est qu'il n'achètera aucun des draps.

Il risque un bref regard vers l'entrée, et s'illumine d'un sourire, car il ne voit plus Paulin. La route est libre. Il fait un petit pas en arrière, et perd son sourire, parce que Paulin vient de s'adosser à côté de la porte pour tailler une bavette avec le drapier. À à peine deux toises, versant nord du hasard des malheureux. Plus il reste là, plus ses chances d'échapper au sort s'amenuisent. Sous les masses de tissus, ses doigts rencontrent un long fuseau en bois qui s'était égaré là. Et là, idée. Idée bâtarde, mais idée quand même. Fuseau agrippé, et planqué sous sa cape. Il se cache derrière la cliente juste à côté de lui, la première venue, désolé, en plus j'te connais pas, faut croire que toi non plus t'as pas de chance aujourd'hui, et lui plante le bout du fuseau derrière un rein. Assez fort. Faut que ça soit crédible. Une paume se presse en même temps contre son avant-bras. Faut pas qu'elle hurle. De loin, on dirait juste un mec en cape qui fait semblant de s'intéresser aux considérations textiles de sa copine. Même qu'il lui murmure des mots doux et tout :


- « Ne bougez pas d'un poil et tout ira bien. »

Alors c'est moche, oui, mais parfois faut bien improviser dans la vie. Surtout si on veut la garder.
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Ernestine
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Baudelaire - Recueillement


Vert bouteille ou bleu canard ? Telle était la question existentielle qui agitait l'esprit d'Ernestine Belmont à l'heure de pointe de la fin d'après-midi, alors que la boutique n'arrêtait pas de se remplir. Oublier les autres humains, ne pas se mettre à hurler quand un gros lui écrasait le pied, faire abstraction des odeurs, se concentrer pour deviner, à partir d'indices somme toute très maigres sur les goûts de Mademoiselle d'Aragon, la couleur de tissu qui lui plairait le plus, tout ceci demandait à la jeune fille des efforts colossaux. Elle ne s'en sortait pourtant pas si mal, le pour et le contre du bleu canard étaient pesés avec une certaine concentration et une apparence de sérénité qui n'était pas loin d'être convaincante. Elle semblait presque avoir oublié qu'elle avait peur, qu'elle détestait Paris et qu'on meurt tous à la fin. Il y avait de réels progrès. Bientôt elle parviendrait peut-être même à dormir sans veilleuse et à s'écarter lentement des scarabées sans avoir besoin de hurler en fuyant à toutes jambes. Pas tout de suite bien sûr, mais dans cinq ou dix ans, qui sait ?

Seulement pour évaluer les progrès des prochaines années, encore faudrait-il qu'Ernestine les vive, ces prochaines années. Et ce projet-là, pour lequel elle avait commencé à nourrir un certain espoir, certes prudent et raisonnable mais un espoir tout de même, s'avère soudain fortement compromis par une pression au bas de son dos et une voix masculine menaçante. La petite blonde déteste qu'on l'approche, encore plus qu'on la touche. Pourtant, bizarrement, c'est maintenant le cadet de ses soucis et les billes vertes restent rivées sur le tissu qui paraissait très doux sous ses doigts il y a deux secondes et qui est devenu étonnamment irritant. Sa paume posée dessus est terriblement moite, elle est en train de mettre du jus de paume sur le tissu et elle va ruiner le bleu paon qui aurait tellement plu à sa maîtresse. Il faudrait qu'elle s'excuse et qu'elle l'achète, mais on se doute bien qu'elle n'en aura pas le loisir. Comme elle a oublié de naître idiote, le programme des prochaines minutes, voire des prochaines heures, lui défile à présent sous les yeux en haute définition. Si on l'autorisait à sortir de sa besace un vélin, elle arriverait même à nous l'écrire et à spoiler toute la suite. Il y aura des pas pressés avec la dague dissimulée dans son dos, puis une venelle peu engageante et déserte, des jupons relevés, une maladive envie de dégobiller, et à la fin la mort. Terminer comme ça a commencé.

Le plus naturellement du monde, la petite blonde s'est mise à pleurer. Pas doucement et légèrement, plutôt en vidant à une vitesse record l'intégralité de sa réserve lacrymale. Mais en silence s'il vous plaît, et en réprimant autant que possible les sanglots, parce qu'il lui a sommé de ne pas bouger. Que la douleur se tienne tranquille. C'est à cause de cet ordre également qu'elle laisse la morve lui couler du nez sans chercher à l'essuyer. Au fond, peut-être que si ça dégouline assez pour qu'elle ait l'air de s'être pris un coup de pelle en pleine tête, il se rendra compte qu'elle ne fait vraiment pas envie et la laissera repartir ? C'est fou l'espoir tout de même, ça vous ferait croire n'importe quoi.

Malgré tout, il faut tenter quelque chose, personne dans les parages ne faisant attention à leur étrange duo. Ca ne sert à rien de négocier avec le terroriste, elle a déjà perdu, mais si elle ne le fait pas le Très-Haut lui dira qu'elle n'a fait aucun effort. Et zut quoi, par sainte-Gilberte, ça ne fait pas 19 ans qu'elle se casse le cul pour finalement s'entendre dire ça à la dernière minute. Aussi, dans un ultime sursaut de vie murmuré, elle articule entre ses dents en reniflant :


« Je vous préviens que *snurfffl* vous allez le *snurfffl* regretter. Vous allez griller aux Enfers avec *snurfffl* Daju. Et mes frères ils vous... *snurfffl* mes frères ils vous retrouveront et ils vous couperont les... les... *sniff* les roubignoles ! »
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Jhoannes
Krkrkr. Elle a dit roubign-

Non, concentration. C'est chou, mais pas le temps. Le barbu, qui est au plus près de la scène, entend bien lui les petits reniflements caractéristiques du sanglot contenu. Est-ce qu'il s'en veut déjà ? Un peu. Ou plus exactement, il s'en voudrait, s'il avait l'opportunité de prendre du recul sur cette situation. À cette minute, il a le nez en plein dedans, alors il peut pas se permettre le luxe de tout bien expliquer à la demoiselle. Il voudrait la rassurer, t'inquiète, toi il t'arrivera rien dans tous les cas, c'est moi le rat coincé dans le bateau qui fait naufrage. Toi tu es la… la clef de la porte de l'escalier qui mène vers la terre ferme. Oui, ce monde est bizarrement foutu. Mais là ça m'arrange que tu continues à croire qu'il y a réellement une lame prête à t'embrocher au moindre écart.


- « Non mais pleur… pleurez pas… Respirez un bon coup. »

Ou l'art de donner des conseils utiles en toutes circonstances. Contrôler ses poumons, c'est la base. Limite il va lui donner un cours de respiration diaphragmatique pausée, histoire qu'elle lui claque pas entre les mains. D'ailleurs, dans cet état, il sait même pas si elle sera capable de faire ce qu'il compte lui demander. Non pas qu'il l'accable, il connaît la sensation et le sale goût dans la bouche que ça fait d'être à sa place, mais il va falloir rapidement remédier à ça. Alors sans trop réfléchir :

- « C'quoi votre petit nom ? »
- « Ernestine Belmont. »


Du tac-o-tac elle répond. Comme une leçon mille fois apprise et récitée.

- « D'accord… »

Il marque un silence. Le temps de lui envoyer de bonnes ondes et de décoller rapidement sa paume de son avant-bras, pour s'enfourner trois grains de lavande fraîche dans le bec. Le dernier repas du condamné. C'est-à-dire qu'il aurait commandé quelque chose de plus copieux, dans l'absolu, et la lavande la fumer, mais il fait avec ce qu'il a. Et trouve plus aisément de l'inspiration quand il mâche. Allez savoir. La mitaine retrouve prestement appui sur le bras de la jeune fille. Te barre pas.

- « Hum. »

Oui, Blondin adore le goût de la lavande.

- « Ernestine, si vous relevez lentement le museau vers la p… Lentement, ayez l'air naturel. Vers la porte ouais. Vous voyez le grand gars qui se tient à côté en train de ricaner ? »

C'est lui le vrai vilain. Si si, je te jure.
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Ernestine
Echec de la menace aux roubignolles. Au lieu de prendre ses jambes à son cou dès les sept frères béarnais mentionnés, le terroriste lui demande d'arrêter de pleurer. Dans un autre contexte, ça la ferait rire. Arrêter de pleurer... Il en a de bonnes, lui. On aimerait bien l'y voir. En attendant, elle continue de sangloter, ne parvenant à s'interrompre que le temps de décliner son identité, et reprenant de plus belle aussitôt après, au moment où elle se met à regretter d'avoir donné son nom. Grâce à elle, il pourra maintenant ruiner sa réputation, la retrouver en cas d'entourloupe, faire payer toute sa famille. Bien joué, Ernest, toujours l'art de réagir en parfaite adéquation avec ce que ton intérêt et ta survie exigent.

Dans son dos, ça s'est mis à mâcher. Ça mange. Il mange. Il mange avant de la tuer. Ernestine sent bien que sous l'épaisse couche de froid, de terreur, d'angoisse, d'inquiétude, d'appréhension et d'anxiété, un quelque chose plus brûlant commence à la démanger. Un quelque chose qui bout et qui lui donnerait envie de se retourner d'un coup pour remonter les bretelles du malotrus, façon nounou autoritaire. Car ce n'est pas des manières ça. Agresser une jeune fille chez le drapier, passe encore. Lui dire de ne pas pleurer, ça devient limite. Mais profiter de la situation pour s'empiffrer, sérieusement ? Si Belmont ne s'est pas encore retournée et ne lui a pas encore flanqué de gifle, c'est seulement parce qu'il y a un couteau qui appuie sur son rein. C'est aussi qu'il la déconcentre en lui demandant de regarder quelqu'un. Ce qu'elle fait. Il y a en effet, près de la porte, entouré par une horde de jeunes filles en pâmoison, au moins deux ou trois, une espèce de type très grand et carré, tout à fait conforme à la silhouette que la petite blonde imagine dans son dos.

Deux options. Soit son agresseur a des comptes à régler et Ernestine est l'heureuse élue choisie pour transmettre un message, sous la forme d'un pli, d'une patate ou d'un assassinat. Mais si c'est ça, le bouffeur de lavande a des problèmes de vue, parce qu'il y avait vraiment de meilleurs candidats. Même la vieille dame là-bas, qui a la main qui tremblote en caressant du lin et qui jabote toute seule, elle aurait fait une meilleure messagère de mauvaises nouvelles. La première option est donc peu plausible. Reste la seconde. La jeune femme est tombée sur un détraqué du bulbe, un torturé de la lambruche qui veut la pousser vers l'espèce de type pendant que lui regarde. C'est tellement écœurant qu'Ernestine a un peu cessé sa lamentation et ne répond qu'en serrant les dents, pour qu'on ne remarque pas trop qu'elle susurre des trucs à un homme collé dans son dos. Sinon ça risque de faire jaser. Et peut-être qu'elle va mourir, d'accord, mais il est hors de question que son meurtrier lui nique sa réputation.


« C'est qui ? Et vous êtes qui ? »

Et je vous préviens que si je croise au Paradis Solaire celle qui vous a élevée, elle va m'entendre.
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Jhoannes
Vrai qu'il a oublié de faire les présentations en bonne et due forme. C'est pas parce que t'agresses quelqu'un que ça t'empêche de le faire poliment. Un peu de tenue, bordel.

- « Ah, heu… Lui c'est Paulin. Comme vous pouvez l'voir, il a la mirette qu'accroche facilement sur les jolies filles comme vous. »

Si quand il le dit ça ressemble à une affirmation, dans sa tête, c'est plus une prière pour qu'elle soit en effet jolie comme les jolies filles. Paulin il calcule pas les thons, Blondin le sait. Donc à cet instant, même pas il réalise à quel point ça doit la rassurer d'apprendre que le mec qui la tient en otage a jugé qu'elle faisait pas partie du camp des moches. Ernestine, il n'a pas franchement idée de ce à quoi elle ressemble, de face. C'est-à-dire que leur amitié est assez neuve. Il a fait connaissance avec Ernestine-de-profil, du coin du regard, il y a à peine une minute, mais alors il rêvait encore de traités de médecine et de percussions bourrées. Et puis là il se familiarise avec Ernestine-de-dos, mais cette facette d'elle risque pas de lui servir à grand chose s'il veut sortir d'ici indemne. Combien de secondes on mate un boule en moyenne ? Peut-être pas assez pour capter suffisamment l'attention du brun, même si ça arrive. Pari risqué. Alors s'il te plaît, à défaut d'être véritablement gracieuse de bouille, sois bien roulée et pas foireuse. Dis-moi que je suis pas tombé sur une borgne, avec l'orbite à l'air qui dit coucou à un gros poireau et ses trois poils de cul qui se battent en duel au centre.

- « Et heu… »

Et moi, on va éviter le sujet en fait. Je vais rester la chose menaçante dont ton imagination pare les traits. Surtout que je suis à peine plus grand que toi, en vrai, que j'ai une tronche de looser avec des yeux de chiot et des rides, et une dégaine tellement impressionnante qu'à côté d'un Paulin je passe pour une vraie ballerine. D'ailleurs, ses gros bras, là, à ce connard, m'ont déjà envoyé balader dans les airs, et si je plane avec grâce, la chute a été presque mortelle. Alors on se concentre sur l'ordre du jour de notre charmante réunion imprévue : toi divertir pour que moi vivre. Oui, ici c'est la loi de la savane meuf. Mais tu vas voir, mon plan est limpide, ajusté à l'ongle près, avec mon talent dingue d'horloger improvisé.

- « Vous voulez qu'on sorte d'ici, c'est simple. Quand j'vous dis… »

Il baisse encore la voix, et se coupe quelques secondes quand la mémé qui sucre les fraises décide d'abandonner sa tranche de lin pour aller inspecter les draps, dans son espace d'étal à lui. Comme elle a l'air vraiment passionnée par le monde du textile, il reprend :

- « Quand j'vous dis, on fait tous les deux mine qu'on se taille d'ici, calmement, et vous, Paulin, vous allez lui occuper le cerveau pour me laisser le temps de tourner le coin de la rue. C'est cl- »

Mamie-la-Tremblote vient de trouver son trésor. Depuis trois heures qu'elle écume les boutiques pour lui, lui, oh oui, lui, ce grand drap mauve qui lui rappelle les printemps d'antan et les roulades coquines dans le foin de sa jeunesse avec le fils du maréchal ferrant. Dans un geste élancé, accompagné d'un petit couinement joyeux, elle étend le linge devant elle en ouvrant grand les bras, son coude tape dans le flanc d'un barbu déjà sous haute tension, qui de surprise en lâche son fuseau. L'outil en bois résonne clair contre le sol, et s'en va rouler dans l'oubli, loin, entre les pieds de la foule. Paulin tourne la tête au son. Blondin s'accroupit derrière l'étal. Vers Ernestine il relève un regard brusque, et avant qu'elle ne crie, empoigne l'ourlet de sa jupe dans une mitaine qui implore. Chut, steuplé, chut.

Je viens d'être reconverti en gazelle.

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Ernestine
C'est allé très vite. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas un couteau qui est tombé par terre, elle n'a pas entendu le “cling” caractéristique de la lame, c'était plutôt le “poum” lourd du bois. Et pendant ce temps, elle a croisé le regard de Paulin. Paulin a des yeux, on ne peut pas lui enlever ça. C'est dommage qu'il ne semble pas y avoir grand chose derrière, parce que du coup ils lui donnent un quelque chose de bovin alors qu'en vérité, en eux-mêmes, leur couleur est assez fascinante. Il faudrait les mettre sur quelqu'un d'autre.

Si Ernestine avait la moindre inclination pour les mauvais garçons, elle reconnaîtrait tout de même que l'ensemble constitué par Paulin est agréable, fait d'angles et de lignes très nettes et très symétriques, en fait franchement beau. Seulement elle ne s'en rend pas vraiment compte, s'en fiche assez et se détache donc aisément du regard imbécile qui la scrute pour braquer ses deux billes vertes vers le terroriste.

Il est littéralement à ses pieds, et bien moins impressionnant que Paulin. Etant donné les circonstances, inévitablement elle le hait. Belmont aime les choses droites, alignées, rangées et propres. L'inconnu est tout cabossé et bordélique, et en voyant son visage elle en vient assez vite à émettre de sérieux doutes sur son hygiène, physique comme mentale. Décamper maintenant, ce serait tentant. D'autant que le vieil homme lui-même (il est vraiment bien plus vieux qu'elle ne l'imaginait) doit être en train de réaliser qu'il s'est loupé dans le choix de sa diversion. Ernestine ne fait pas partie de la catégorie des “jolies filles”, elle a des yeux trop verts, des cheveux trop blonds, une peau trop blanche, un visage trop fin, des seins trop petits, des fesses trop plates. C'est vraiment compliqué pour elle de se regarder dans un miroir, alors plaire à un séducteur comme Paulin, quelle insanité. Voilà, c'est décidé, elle va laisser en plan l'agresseur et sa tête brouillon, qu'il se débrouille, elle ne verse pas dans ces magouilles. Un geste sec vient le forcer à lâcher son jupon, elle n'aime pas qu'il le tienne comme ça, il va le salir, puis on dirait un enfant et elle n'aime pas les enfants, encore moins quand ils ont l'air si vieux. Dans un théâtral reniflement, morve et larmes sont ravalées. Certes, ce n'est pas très propre, mais ce n'est pas comme si elle avait le temps de sortir son mouchoir, il y a toujours Paulin qui la regarde.

Seulement entre les tempes bizarres de cette jeune fille étrange, l'envie de se protéger et d'éviter toute forme d'embrouille n'a pas toujours la priorité. Ce jour-là, elle ne l'a pas. Le môme à la tête de vieil homme a titillé quelque chose de plus fort, la curiosité. Ce serait injuste que ça s'arrête là et qu'elle ne connaisse jamais le fin mot de cette histoire. Elle veut savoir, maintenant. Et pour savoir, elle inspire fort, parce qu'il va falloir faire comme si on était courageuse l'espace de quelques secondes, puis pose un regard furibard sur le garçon accroupi avant de s'éloigner de lui, rejoignant à grands pas l'homme qui la regarde. L'important, c'est de ne pas se laisser le temps de réfléchir.


« Mon Paulin ! Ce que tu m'as manqué ! »

La voix est presque forte, trop par rapport au nombre de décibels autorisés dans un magasin de chiffons, et comme la demoiselle joue des coudes pour se faufiler entre la foule des admiratrices, elle paraît folle bien comme il faut. Ainsi, vaillante, la frêle silhouette se plante devant Paulin, qui fait bien deux têtes de plus qu'elle.

« - Tu te souviens de moi, n'est-ce pas ? Hein que tu te souviens de moi ? Hein ?
- M.. Marie ? »


Il a dit ça au hasard. Ils savent tous les deux qu'il a dit ça au hasard. Statistiquement, ce n'était pas idiot, mais c'est manqué, et Ernestine s'illumine d'un sourire soulagé.

« Oui, Marie ! Oh mon Paulin, j'étais sûre que tu ne m'aurais pas oubliée. »

Et Ernestine de le prendre soudain dans ses petits bras faiblards et de presser sa nuque pour qu'il se penche. Allez, viens là plonger ta tête dans mon cou. Comme tu m'as manqué, tout ça. Et surtout, ne regarde pas vers la porte. Et toi, le terroriste, tu as intérêt à te dépêcher. Car il y a une couille dans le pâté. En plus des jeunes filles qui observent médusées l'improbable étreinte, Paulin s'est parfumé. Beaucoup. Et si Ernestine reste encore quinze secondes si près de lui, c'est sûr, elle va lui vomir sur l'épaule. Au moins, tu es prévenu.
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Jhoannes
Est-ce qu'il aurait choisi quelqu'un d'autre pour entre ses mains sa vie confier s'il avait eu ce luxe ? Très certainement. Même mamie-lavande lui semble une meilleure option pendant ces quelques, brèves, mais pleines secondes, de regards échangés. Dans les auréoles de verdure de la jeune femme, il lit un petit éclat, qu'il décrypte à l'instinct, pour l'avoir tant de fois perçu pendant presque trente années. Elle le trouve sale. Elle le trouve ça sale, et à lui ça lui semble injuste. Une vieille blessure, ça fait remonter. Il sait que son visage est propre, là, si, même ce matin-ci qu'il sort d'une entrevue avec une ancienne tête couronnée, alors il l'a joué à l'arrache mais pas cradingue. C'était pas le moment de se pointer avec des miettes de beignet dans la barbe.

Elle va crier oui ou non, Ernestine ?

Ça lui fait comme si elle voyait qu'il avait souvent eu la tronche souillée dans sa vie. Ce regard, il appelle à la surface les années de trimard, et la terre, la pluie, le foin et la crasse. Un mépris de caste, qui le force à avoir honte de ce qu'il a été. Et le petit mouvement brusque qui retire le jupon vient couronner le tout. Quoi ? Ils puent pas mes doigts. J'y ai frotté sous les ongles. Oui bon, le noir, c'est les taches d'encre, ça accroche dans le derme, j'y peux rien… Elle crie pas. C'est déjà ça. Lui il relève un peu le menton, juste au moment où elle se détache de l'étal pour se barrer. Il reste agenouillé, il attend la sentence. Ernestine-de-face vient d'atterrir dans la case : animosité automatique et partagée. Putain elle va le balancer, avec sa tête blonde de rapporteuse.


- « Mon Paulin ! Ce que tu m'as manqué ! »

Les yeux ronds, le palpitant au bord du fil, il écoute. Mamie-lavande, lui tapote sur l'épaule. Tu te sens bien mon vieux ? Oui oui. Petit sourire pour rassurer. Chut. J'écoute. Elle le balance pas. Elle lui offre une échappatoire. Ou alors, elle a mijoté en speed une petite vengeance vicieuse, et elle lui fait miroiter un accès à l'issue de secours pour bien lui refermer la double-battante sur le nez quand il posera un orteil sur le seuil. C'est une hypothèse, mais du genre impossible à vérifier sans se mouiller. Vite, il rabat à nouveau son capuchon et se redresse, pour apercevoir Ernestine qui tape l'accolade du siècle au Paulin. Il a l'air tout remué, l'autre gros lourd. C'est parfait, c'est maintenant. Et c'est peut-être pas un ponte du terrorisme, Jhoannes, mais quand il s'agit de fugue, par contre…

Marcher comme un client normal. Le pas souple, ni lent, ni pressé. J'me baladais. J'me baladais et puis je suis entré ici, mais finalement j'ai rien trouvé qui me parle, dans ces gros tas de draps, alors je m'en vais, normalement. Et pile quand t'as le museau qui commence à s'enfoncer dans l'épaule de ta nouvelle-meilleure-pote-inventée, Paulin, moi je me taille. Une pointe de botte sur le seuil, puis la seconde, et t'inquiète que ça me prendra pas long pour me fondre dans la foule ensuite. Pour Ernestine, pas un regard, c'est trop risqué, puis il la sent moyen la donzelle. N'empêche qu'elle a donné du sien pour que le poussin se fasse pas bouffer par le renard, alors après avoir tourné au premier angle à gauche, prenant une bonne respiration de mec libre, adossé à la pierre, il envoie un muet :

Merci Marie.

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Ernestine
Dans cette pièce, il y a plus sale que l'air brouillon et débraillé du vieil homme qui l'a agressée il y a deux minutes. Il y a le regard que Paulin adresse à Ernestine au moment où celle-ci le libère de son étreinte pour tenter de remplir ses poumons d'autre chose que de l'air saturé de parfum musqué à vous filer la nausée. C'est remarquable comme elle parvient à retenir le haut-le-cœur qui lui vient, même pas ça soulève ses épaules, elle mériterait une médaille pour un tel self-control.

Belmont est du genre méthodique et concentrée. Obsessionnelle, en fait. Pas un regard vers la porte ou le terroriste. Elle demeure imperturbable et fait comme si elle ne voyait pas la lubricité avec laquelle le balèze en face la toise, de haut en bas, de bas en haut, et vas-y que je refais un passage de haut en bas qui fait une escale marquée là où sont supposés se situer les seins, même si on ne peut pas en être tout à fait sûr puisque la petite blonde n'a pas beaucoup d'arguments et qu'elle les cache bien sous de nombreuses couches de tissu épais. Finalement, il semble qu'il n'a pas qu'un goût prononcé pour les “jolies filles”. Il semble même qu'il est ouvert d'esprit, le garçon, et qu'il est prêt à accepter dans son lit une fille moins jolie que les autres mais qui a le mérite de l'audace et qui, une fois sa surprise passée, l'amuse visiblement beaucoup.

Par ailleurs, Ernestine fait aussi semblant d'ignorer les regards noirs qui pèsent lourdement dans son dos. Elle ne voit rien, n'entend rien, ne perçoit rien. Il existe une bulle, qui pue, dans laquelle il n'y a qu'elle et Paulin, et Paulin a le regard moins libidineux et dégoûtant qu'en réalité, et il n'y a personne d'autre dans la bulle, et la blonde n'est pas en train d'y attendre qu'un terroriste qu'elle n'aime pas ait eu le temps de s'enfuir. Dans cette bulle, elle reste un moment, grands yeux rivés sur ceux de l'inconnu, priant intérieurement pour que le terroriste se dépêche et que la bombance visuelle de Paulin suffise à le rendre patient.

Un ange passe. Elle a presque eu le temps de réciter un demi-Pater Noster au moment où elle se résout à faire exploser la bulle. A ce stade, si l'autre n'a pas eu le temps de sortir, c'est qu'il veut mourir, et il l'aura donc mérité.


« Oh bon. Tu avais l'air occupé. Je ne voulais pas te déranger. Je suis pressée, d'ailleurs. Non, n'insiste pas mon Paulin, je n'ai pas le temps. Mais je suis ravie de t'avoir revu et... »

La grosse main du jeune homme, autour de son poignet. Cette fois, un hoquet de dégoût lui échappe, mais comme elle a tout de même tenté de le retenir, on peut faire passer ça pour un roucoulement de plaisir. Il va la manger. Il faut qu'elle parte.

« Ce soir, mon Paulin. Tu n'as qu'à me rejoindre ce soir. »

Le balèze fait l'erreur de détourner un instant le regard, pour jauger la réaction des demoiselles derrière Ernestine qui ont toutes l'air outré qu'un nouveau plan s'amène alors qu'il avait promis de passer la soirée avec chacune. Le petit poignet emprisonné profite de l'inattention pour se libérer et la Béarnaise qui disparaît déjà marmonne des “au revoir”, “à bientôt”, “excusez-moi je suis pressée” en se faufilant entre les admiratrices puis entre les clients, décidée maintenant à ne pas entendre la voix de Paulin qui, de plus en plus loin, lui demande où elle veut qu'il la rejoigne, où ils peuvent se donner rendez-vous, où c'est qu'elle habite déjà.

Elle sort et se mêle très vite aux passants, afin d'être sûre que le mangeur de jeunes filles ne la poursuive pas. En même temps, elle se hisse sur la pointe de pieds, comme si cela pouvait l'aider à repérer celui qu'elle vient de sauver. Il n'est plus là. Ce n'est pas envisageable qu'il ne soit plus là. Il l'aurait attendue quand même. Elle n'a pas fait tout ça par pure charité aristotélicienne, elle veut savoir l'histoire entre ces deux types. D'un pas pressé, Ernestine rejoint le bout de la rue et tourne la tête à gauche, à droite, avant de décider de tourner à droite. Elle va le retrouver.

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