Jhoannes
Trente-sept secondes plus tôt, et si l'on oubliait sa dégaine de trimardeur sur le retour, le barbu se fondait relativement bien dans la clientèle de la boutique. Lui aussi, les mains vagabondant entre les tissus exposés en vrac sur l'étal, il comparait un drap de laine peignée avec un autre drap de laine peignée. La facture de l'un valait-elle davantage que celle de l'autre ? Le cramoisi ou le vert sapin ? La question existentielle méritait qu'on y réponde, non pas par crainte de se faire entuber sur le ratio prix / qualité, mais parce que quitte à faire des emplettes de blanc, autant ne pas avoir à y retourner dans l'année car on aura acheté un produit tout nul qui se déchirera au premier angle de commode rencontré, et alors consacrer son temps pour des choses essentielles, comme faire de la musique en tapant sur des culs de bouteille ou bien encore étudier l'anatomie d'une or- Oh putain c'est Paulin.
Une silhouette imposante vient de passer le seuil du commerce. Direct, Blondin rabaisse son capuchon pour dissimuler sa trogne aux regards, en priant pour que les mèches de dorure folles veuillent bien rester planquées en-dessous le temps qu'il trouve comment se sortir de là. Qu'est-ce qu'il avait dit Paulin en début d'année ? Si tu reposes un pied dans Paris, je t'égorge ? Pas exactement en ces termes, mais le message portait un fond similaire ; si je te vois dans la capitale, tu es un homme mort. Mort. Jhoannes n'a pas envie de mourir. Pas aujourd'hui, pas ici. Et même si Paulin a développé un fond de clémence depuis leur dernière entrevue sanglante, même s'il le fait pas réellement clamser, il loupera pas l'occasion de lui péter la gueule à nouveau. C'est une première certitude. La seconde, c'est qu'il doit trouver une issue. Rapidement. La troisième, c'est qu'il n'achètera aucun des draps.
Il risque un bref regard vers l'entrée, et s'illumine d'un sourire, car il ne voit plus Paulin. La route est libre. Il fait un petit pas en arrière, et perd son sourire, parce que Paulin vient de s'adosser à côté de la porte pour tailler une bavette avec le drapier. À à peine deux toises, versant nord du hasard des malheureux. Plus il reste là, plus ses chances d'échapper au sort s'amenuisent. Sous les masses de tissus, ses doigts rencontrent un long fuseau en bois qui s'était égaré là. Et là, idée. Idée bâtarde, mais idée quand même. Fuseau agrippé, et planqué sous sa cape. Il se cache derrière la cliente juste à côté de lui, la première venue, désolé, en plus j'te connais pas, faut croire que toi non plus t'as pas de chance aujourd'hui, et lui plante le bout du fuseau derrière un rein. Assez fort. Faut que ça soit crédible. Une paume se presse en même temps contre son avant-bras. Faut pas qu'elle hurle. De loin, on dirait juste un mec en cape qui fait semblant de s'intéresser aux considérations textiles de sa copine. Même qu'il lui murmure des mots doux et tout :
- « Ne bougez pas d'un poil et tout ira bien. »
Alors c'est moche, oui, mais parfois faut bien improviser dans la vie. Surtout si on veut la garder.
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Une silhouette imposante vient de passer le seuil du commerce. Direct, Blondin rabaisse son capuchon pour dissimuler sa trogne aux regards, en priant pour que les mèches de dorure folles veuillent bien rester planquées en-dessous le temps qu'il trouve comment se sortir de là. Qu'est-ce qu'il avait dit Paulin en début d'année ? Si tu reposes un pied dans Paris, je t'égorge ? Pas exactement en ces termes, mais le message portait un fond similaire ; si je te vois dans la capitale, tu es un homme mort. Mort. Jhoannes n'a pas envie de mourir. Pas aujourd'hui, pas ici. Et même si Paulin a développé un fond de clémence depuis leur dernière entrevue sanglante, même s'il le fait pas réellement clamser, il loupera pas l'occasion de lui péter la gueule à nouveau. C'est une première certitude. La seconde, c'est qu'il doit trouver une issue. Rapidement. La troisième, c'est qu'il n'achètera aucun des draps.
Il risque un bref regard vers l'entrée, et s'illumine d'un sourire, car il ne voit plus Paulin. La route est libre. Il fait un petit pas en arrière, et perd son sourire, parce que Paulin vient de s'adosser à côté de la porte pour tailler une bavette avec le drapier. À à peine deux toises, versant nord du hasard des malheureux. Plus il reste là, plus ses chances d'échapper au sort s'amenuisent. Sous les masses de tissus, ses doigts rencontrent un long fuseau en bois qui s'était égaré là. Et là, idée. Idée bâtarde, mais idée quand même. Fuseau agrippé, et planqué sous sa cape. Il se cache derrière la cliente juste à côté de lui, la première venue, désolé, en plus j'te connais pas, faut croire que toi non plus t'as pas de chance aujourd'hui, et lui plante le bout du fuseau derrière un rein. Assez fort. Faut que ça soit crédible. Une paume se presse en même temps contre son avant-bras. Faut pas qu'elle hurle. De loin, on dirait juste un mec en cape qui fait semblant de s'intéresser aux considérations textiles de sa copine. Même qu'il lui murmure des mots doux et tout :
- « Ne bougez pas d'un poil et tout ira bien. »
Alors c'est moche, oui, mais parfois faut bien improviser dans la vie. Surtout si on veut la garder.
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