Jhoannes
- - « S'battre c'est pour les zanzidouilles moi j'dis ! »
Jhoannes, à dix ans, avant de se prendre une raclée par les gosses du quartier parce qu'il avait pas envie de partager sa pomme ce jour-là.
- « Z'êtes mignonne hein, mais j'affronterai pas le grand machin brun qui vous reluque depuis tout à l'heure pour vous ouvrir les cuisses non plus. »
à vingt ans, en train de draguer une meuf sur un comptoir normand. L'histoire raconte qu'elle est finalement repartie avec le brun.
- « La violence c'est moche. Alors on dit j'vous file mes tunes, mes miches de pain, et on en reste là ? Non ? »
à trente ans, alors qu'il marchandait vainement face à une bande de brigands, sur un carrefour entre Dole et Poligny.
- « Demain, on recommence ? »
à quarante ans, et sobre, une heure à peine après s'être fait matraquer en lice par la meilleure pote de son ex-femme.
Le lendemain, il était au rendez-vous. Minuit pile, en lice. Rarement il avait été autant ponctuel. Les moignons de sa patte gauche serrés dans une bande de lin, pour épargner au moins ça. Mais le reste ? Non. La première nuit, il lui avait demandé d'oublier les coups hauts, histoire de pas faire éclore les crevasses boursouflées et violacées qui lui zébraient les côtes. Douzaine de sales petits volcans prêts à se réveiller, en tout cas le pensait-il, même si c'était bien plus réel dans son cabochon qu'autre chose. Des semaines, que tout ça avait été suturé, lavé, recousu encore, rincé, pansé, soigné, refermé. Ce qui restait de pus, c'était dans l'âme que ça coulait. Au fond, vers les dernières couches, celles qu'on soupçonne même pas jusqu'à ce qu'elles viennent nous créer des cauchemars qui recommencent, jamais au même endroit, pas forcément avec les mêmes personnes, mais toujours avec ce goût crade et irréel au réveil. Dans la lie des douves, où s'enracinent les souvenirs. Bobine d'images que le barbu ne veut pas encore se projeter dans sa tête.
La seconde nuit, la condition avait été levée. Tape où tu veux, cogne comme tu veux. Haut, bas. Flancs. Je m'en fous. Je veux dormir comme un gosse, comme ça a fait la veille. Je veux encore ça. Et Sadella est, pour une petite montagne de raisons plus ou moins sensées ou tordues, la seule personne au monde qu'il autorisera à le frapper en ce moment. Non pas qu'il puisse prétendre la connaître, mais d'instinct, il lui fait confiance toute dans le jeu de la bagarre. Elle est aussi, paradoxalement, mais ça tombe à pic, quelqu'un qu'il n'aura pas peur d'avoiner en retour. D'une, parce qu'elle est suffisamment râblée pour encaisser correctement les torgnoles, et de deux, parce qu'il ne lui en veut pour rien. De rien, de rien. Jamais il n'aura lu un éclair malveillant dans ses yeux. Et vu la dose de rogne et le besoin de vengeance qui lui fait encore serrer les mâchoires parfois, même s'il est pas bien baraqué, mieux vaut se chiquer sans risque de déraper. Sans peur. Au second rendez-vous, il est là aussi. Comme hier. À mains nues, ça me va. On sent mieux.
D'façon j'me suis toujours battu comme un gamin de rue, et j'emmerde les chevaliers. Oui c'est gratuit. Je peux. Privilège des doux colériques.
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