Jhoannes
un lutin qui passait une étrange journée tout en se persuadant qu'elle était normale. C'était un vieux lutin avec une barbe d'argent. Il lui restait quelques cheveux d'or plantés sur le haut du crâne, mais qui ne valaient pas plus qu'un écu en toc. Il y avait fort fort longtemps qu'il avait compris que la vie ne ressemblait pas aux contes de fées, que les princesses faisaient plus souvent commerce de poison que de bonté et que les ogres, les vrais, prenaient n'importe quel visage. Le seul château magique qu'il avait jamais arpenté, celui où la configuration des couloirs et salles changeait dès qu'on avait le dos tourné et où les couleurs des vitraux muaient selon l'humeur, était sis dans son crâne. Et comme le serviteur qui gérait cette petite usine était parti en voyage, et que le chant de la femme blanche retenue captive dans la Tour Nord lui était devenu insupportable, même son esprit n'y foutait plus tellement les pieds. Il traçait des cercles dans le paysage autour. Attendant on ne sait quoi.
10.02. À l'aube levée, alors qu'il était en route vers Limoges, ses pensées erraient dans une plaine monotone, d'un vert si tendre mais pâle qu'il n'avait aucun goût. C'était doux, ce gros vide qui l'habitait, et tête et corps. C'est ce qui arrive quand on se met à jouer suffisamment longtemps les ermites dans un village perdu au nord de la capitale, et qu'on passe ses journées à piocher des cailloux au fond d'une mine de fer. Perché sur son canasson de trait, le barbu se laissait bercer par le roulis des sabots, lançant régulièrement des illades vers sa gosse derrière, Hazel, qui somnolait encore à moitié sur sa selle. Au détour d'un buisson, il remarqua que deux grands yeux le fixaient, d'un vert bien plus cru que celui de la plaine, et, sans même s'en rendre compte, décida de regarder ailleurs. On rentre bouchon, t'inquiète.
L'après-midi venu, enfin de retour dans sa baraque, il avait continué à ignorer le buisson dérangeant en se concentrant sur des âneries et ces activités ennuyeuses que les adultes se veulent forcés d'accomplir en les nommant devoirs. Poncer une commode. Éclat vert. Arroser les passeroses. Tenir à jour des suites de chiffres dans un codex sinistre. Et des choses moins chiantes, comme prendre un bain, aussi, pour virer l'odeur que sa meilleure copine la fée du printemps avait laissé dans sa barbe depuis la veille et qu'il croyait à présent détecter à chaque inspiration. Jouer à chat-loup avec Hazel entre les saules dépouillés par la saison. Lire les lettres reçues dans la journée. L'une d'entre elles interpella davantage son attention ; elle était écrite par la menotte d'une enfant.
Une des filles de la dame au regard vert qu'il s'évertuait à ne pas croiser, l'informait, sans donner d'autres clefs de contexte mais simplement les miettes d'un puzzle dont il était bien loin de mesurer l'ampleur, que son marin-chevalier avait déserté leur histoire, emportant avec lui leur autre gamine. Éclat vert. Je suis là. Oui je sais. Que tu vas mal. Après. Je dois encore finir de poncer cette commode. C'est très urgent, tout à coup. C'est un devoir. Ce soir, promis, j'arrête de tourner la tête et de faire des ronds dans la plaine. Je turbine déjà. Je cherche une solution pour t'envoyer un soutien sans m'en mêler non plus, parce que qui sait quel rôle j'ai joué dans le drame que tu vis. Pas grand chose il en savait, et heureusement. N'empêche qu'il avait cogité sur ce problème ensuite. Même en terminant de poncer cette foutue commode.
La nuit tombée, reclus dans sa chambre, il le retournait encore tous les sens, au rythme d'un sablier malade qu'il faisait jouer entre ses doigts. Le sable s'y écoulait trop vite. La solution, aussi maladroite soit-elle, il la trouva lorsque ses billes noires et contrariées tombèrent sur une autre sorte d'éclat dans un coin de sa piaule. C'est quoi ça ? Ah oui. Des tunes. Des ronds dorés entassés dans une baignoire. C'est vrai qu'on a ça. Tout a un prix, ce soir je peux payer un peu. Alors il fit mander un messager, confia dans ses fontes une bouteille de liqueur fine, dont le premier rôle restait de tabasser la tronche. Pas une boisson pour célébrer autre chose que son foie, et l'oubli. Il ne confia aucune lettre, sinon des consignes brèves, et lorsque le gars parvint enfin à articuler le nom d'un de ses alter ego correctement, il le laissa filer.
Désolé pour le cours d'orthophonie à l'arrache, Monsieur Courrier, mais il faut bien qu'on comprenne que ça vient de moi sans que ça vienne réellement de moi. C'est elle qu'il faut trouver, mais moi qu'il ne faut pas tant dire. Oui je suis un lutin, et j'ai des problèmes.
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llo Lutin Bobo
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10.02. À l'aube levée, alors qu'il était en route vers Limoges, ses pensées erraient dans une plaine monotone, d'un vert si tendre mais pâle qu'il n'avait aucun goût. C'était doux, ce gros vide qui l'habitait, et tête et corps. C'est ce qui arrive quand on se met à jouer suffisamment longtemps les ermites dans un village perdu au nord de la capitale, et qu'on passe ses journées à piocher des cailloux au fond d'une mine de fer. Perché sur son canasson de trait, le barbu se laissait bercer par le roulis des sabots, lançant régulièrement des illades vers sa gosse derrière, Hazel, qui somnolait encore à moitié sur sa selle. Au détour d'un buisson, il remarqua que deux grands yeux le fixaient, d'un vert bien plus cru que celui de la plaine, et, sans même s'en rendre compte, décida de regarder ailleurs. On rentre bouchon, t'inquiète.
L'après-midi venu, enfin de retour dans sa baraque, il avait continué à ignorer le buisson dérangeant en se concentrant sur des âneries et ces activités ennuyeuses que les adultes se veulent forcés d'accomplir en les nommant devoirs. Poncer une commode. Éclat vert. Arroser les passeroses. Tenir à jour des suites de chiffres dans un codex sinistre. Et des choses moins chiantes, comme prendre un bain, aussi, pour virer l'odeur que sa meilleure copine la fée du printemps avait laissé dans sa barbe depuis la veille et qu'il croyait à présent détecter à chaque inspiration. Jouer à chat-loup avec Hazel entre les saules dépouillés par la saison. Lire les lettres reçues dans la journée. L'une d'entre elles interpella davantage son attention ; elle était écrite par la menotte d'une enfant.
Une des filles de la dame au regard vert qu'il s'évertuait à ne pas croiser, l'informait, sans donner d'autres clefs de contexte mais simplement les miettes d'un puzzle dont il était bien loin de mesurer l'ampleur, que son marin-chevalier avait déserté leur histoire, emportant avec lui leur autre gamine. Éclat vert. Je suis là. Oui je sais. Que tu vas mal. Après. Je dois encore finir de poncer cette commode. C'est très urgent, tout à coup. C'est un devoir. Ce soir, promis, j'arrête de tourner la tête et de faire des ronds dans la plaine. Je turbine déjà. Je cherche une solution pour t'envoyer un soutien sans m'en mêler non plus, parce que qui sait quel rôle j'ai joué dans le drame que tu vis. Pas grand chose il en savait, et heureusement. N'empêche qu'il avait cogité sur ce problème ensuite. Même en terminant de poncer cette foutue commode.
La nuit tombée, reclus dans sa chambre, il le retournait encore tous les sens, au rythme d'un sablier malade qu'il faisait jouer entre ses doigts. Le sable s'y écoulait trop vite. La solution, aussi maladroite soit-elle, il la trouva lorsque ses billes noires et contrariées tombèrent sur une autre sorte d'éclat dans un coin de sa piaule. C'est quoi ça ? Ah oui. Des tunes. Des ronds dorés entassés dans une baignoire. C'est vrai qu'on a ça. Tout a un prix, ce soir je peux payer un peu. Alors il fit mander un messager, confia dans ses fontes une bouteille de liqueur fine, dont le premier rôle restait de tabasser la tronche. Pas une boisson pour célébrer autre chose que son foie, et l'oubli. Il ne confia aucune lettre, sinon des consignes brèves, et lorsque le gars parvint enfin à articuler le nom d'un de ses alter ego correctement, il le laissa filer.
Désolé pour le cours d'orthophonie à l'arrache, Monsieur Courrier, mais il faut bien qu'on comprenne que ça vient de moi sans que ça vienne réellement de moi. C'est elle qu'il faut trouver, mais moi qu'il ne faut pas tant dire. Oui je suis un lutin, et j'ai des problèmes.
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