Jhoannes
Vingt-sept heures sans dormir et après avoir fumé autant de pipes aux herbes qu'un hobbit pendant la fête du village, un homme barbu sort de sa léthargie. Il est adossé à un tronc, quelque part dans la pampa frontalière entre deux comtés. C'est un chouette tronc. Le croissant de lune est étrangement clair, et étrangement pâle. Le feu de camp de fortune avale son dernier bois, mais Jhoannes il a encore chaud sous sa cape en peau. Il est bien. Il fixe la toute brillante là-haut, qui va bientôt disparaître derrière les premiers feuillages du printemps, parce qu'il a beau planer comme un ange depuis tout à l'heure, là, contre son chouette tronc, le monde ne l'a pas attendu pour continuer de tourner. Ni les gens pour prendre la route. Au loin, quinze silhouettes empilées dans des charrettes et sur des canassons sont en train de se faire la malle. Pendant quelques minutes, il peut encore apercevoir leurs lanternes qui s'agitent comme des feux follets. Il est un peu à la bourre, mais pas tant. C'est jouable, s'il se bouge maintenant, qu'il pense. Au ralenti qu'il pense.
Il peut rattraper le gros du troupeau, s'il s'active suffisamment. C'est comme dans la chansonnette qu'il a gardée en tête un temps le mois dernier. Elle disait quoi déjà ? Non, ça lui vient plus. Il tente de retrouver le rythme en pianotant sur un genou mais y a rien qui remonte à la surface. C'est pas grave. De toute façon il faut se bouger de là, qu'on a dit. L'éventail d'affaires qui lui fait front atterrit dans un sac de toile grossière, en embarquant avec lui quelques brins de gazon, grains de terre et des insectes totalement affolés par la découverte soudaine de leur nouveau biome en jute. Il aura bien le temps de trier tout ça plus tard, quand ils auront fait un bout de voyage avec lui. Un bout de voyage, là, ça commence à lui revenir, les bribes du dernier refrain au hit parade qu'on a entendu partout sur les marchés en février. Même pas il aime tant les paroles, mais la mélodie est accrocheuse. Tout bas il la roucoule, son sac jeté à l'épaule, en traversant un pan de pénombre pour rejoindre son poney qui bat patiemment du sabot depuis tout à l'heure.
♩ Hardi mon m'ptit, trace pas ta route à de-mi
Sur ton destrier vole com-me le vent de mai
Gare à la donzelle qui se la joue puce-lle
Loin des brises empoisonnées, file comme vent de mai
Lalalali ♩ C'est vraiment à chier hein ?
Blondin estime que le poney renâcle pour approbation, et continue à détailler les couplets de « Vent de mai », à sa sauce, parce qu'il n'a pas tout retenu, sinon l'air entraînant. Depuis un certain temps déjà, une paire d'yeux l'observe depuis un petit buisson touffu. Pas une paire d'yeux qui reluit dans le noir, non, une paire d'yeux bien humains, bien secs et patients. Il n'en prend absolument pas conscience, ni des petits bruits de feuilles qui remuent en contre-tempo d'une bourrasque, alors qu'il termine ses allers et venues musicales pour charger sa monture. Ni quand il balance de la terre sur les braises pour les étouffer, ni quand il tire sur la bride de son destrier, qui le fera pas voler comme le vent de mai, pour suivre la route vers l'est. Le reste de la troupe n'est plus visible à présent. Pas grave. Hardi mon p'tit. Il évolue en levant fréquemment le nez vers le sol, pour ne pas se vautrer dans une racine, puis vers le ciel, pour vérifier si les étoiles mentent sur la direction. Une drôle de petite chaîne nuageuse s'est formée, comme pour indiquer : c'est par là.
Alors c'est par là qu'il va, Jhoannes, et le buisson le suit.
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Il peut rattraper le gros du troupeau, s'il s'active suffisamment. C'est comme dans la chansonnette qu'il a gardée en tête un temps le mois dernier. Elle disait quoi déjà ? Non, ça lui vient plus. Il tente de retrouver le rythme en pianotant sur un genou mais y a rien qui remonte à la surface. C'est pas grave. De toute façon il faut se bouger de là, qu'on a dit. L'éventail d'affaires qui lui fait front atterrit dans un sac de toile grossière, en embarquant avec lui quelques brins de gazon, grains de terre et des insectes totalement affolés par la découverte soudaine de leur nouveau biome en jute. Il aura bien le temps de trier tout ça plus tard, quand ils auront fait un bout de voyage avec lui. Un bout de voyage, là, ça commence à lui revenir, les bribes du dernier refrain au hit parade qu'on a entendu partout sur les marchés en février. Même pas il aime tant les paroles, mais la mélodie est accrocheuse. Tout bas il la roucoule, son sac jeté à l'épaule, en traversant un pan de pénombre pour rejoindre son poney qui bat patiemment du sabot depuis tout à l'heure.
♩ Hardi mon m'ptit, trace pas ta route à de-mi
Sur ton destrier vole com-me le vent de mai
Gare à la donzelle qui se la joue puce-lle
Loin des brises empoisonnées, file comme vent de mai
Lalalali ♩ C'est vraiment à chier hein ?
Blondin estime que le poney renâcle pour approbation, et continue à détailler les couplets de « Vent de mai », à sa sauce, parce qu'il n'a pas tout retenu, sinon l'air entraînant. Depuis un certain temps déjà, une paire d'yeux l'observe depuis un petit buisson touffu. Pas une paire d'yeux qui reluit dans le noir, non, une paire d'yeux bien humains, bien secs et patients. Il n'en prend absolument pas conscience, ni des petits bruits de feuilles qui remuent en contre-tempo d'une bourrasque, alors qu'il termine ses allers et venues musicales pour charger sa monture. Ni quand il balance de la terre sur les braises pour les étouffer, ni quand il tire sur la bride de son destrier, qui le fera pas voler comme le vent de mai, pour suivre la route vers l'est. Le reste de la troupe n'est plus visible à présent. Pas grave. Hardi mon p'tit. Il évolue en levant fréquemment le nez vers le sol, pour ne pas se vautrer dans une racine, puis vers le ciel, pour vérifier si les étoiles mentent sur la direction. Une drôle de petite chaîne nuageuse s'est formée, comme pour indiquer : c'est par là.
Alors c'est par là qu'il va, Jhoannes, et le buisson le suit.
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