Le soldat Aknaïl avançait d'un pas rapide en direction de l'infirmerie de campagne qui avait été levé pour les blessés des deux armées. Peu de temps avant, il avait ramené quelques personnes avec l'aide de amis. Ils étaient nombreux, et la violence avait cédé la place à une souffrance sans nom, tant elle était puissante.
Pour le moment, les entrechoquements et la rage avait disparu, laissant la naissance de l'humilité et du dégoût s'emparer de tous les esprits. Puisqu'il n'avait plus besoin de se battre temporairement, ou plus précisément, de se défendre puisqu'il n'avait jamais vraiment eu l'intention de tuer ses adversaires ; Aknaïl voyageait sans arme ni bouclier sur ce chemin rougit du sang que les blessés avait laissé échappé en cours de route.
Ployant sous le poids de trois grandes sacoches, une de chaque cotés, et une autre dans le dos, l'homme accéléra l'allure en se penchant d'avantage. Après quelques minutes, il releva le pan de la tente et pénétra dans l'antre de la douleur, tant physique que morale. Les blessés lui semblaient innombrables, les plaintes de douleurs se formaient en une terrible symphonie qui pouvait toucher n'importe qui dans son âme et conscience.
Immobile, une main sur la hanse de la sacoche droite, le soldat fixe ce spectacle désolant d'un regard triste. Ils étaient si jeunes....
Alors qu'il avançait à travers les nombreuses paillasses, il regardait ces bandages imbibés de sang, ces moignons de poignets ou de jambes, et ces visages défigurés à jamais. Aknaïl avait l'impression que chaque images s'imprimeraient à jamais en lui, comme une malédiction pour ce qu'il avait osé faire. Brutalement, une main agrippa sa veste et manqua de le faire tomber. Un homme se tenait farouchement à lui, serrant les dents sous le joug d'une terrible douleur qui semblait le torturer indéfiniment. Une bonne partie de son flanc gauche avait disparu, et seule une énorme compresse maintenait ses tripes et ses organes en place, alors que le lit et les tissus où il se tenait étaient gorgés de sang.
Ne pouvant rien pour lui, et surtout terrifié par cette vision d'horreur, l'homme desserra l'emprise et s'éloigna en silence, une main plaquée sur la bouche. Il n'avait plus qu'une envie, c'était de quitter cette enfer, tant sa conscience était à présent mise à mal. Il avait participé à ce massacre, et il était maintenant témoin du résultat. Aknaïl fixa donc ses chaussures et pressa le pas, se concentrant pour ne plus entendre ces cris et ces soupirs d'agonies qui finissaient, à la longue, par le rendre à moitié dingue.
C'est alors, que son regard tomba alors sur une femme en piteux état, sérieusement blessée à la tête. Un courant électrique le paralysa brutalement. Il la connaissait. Après avoir longuement hésité, s'approcha lentement, n'osant vraiment croire ce qu'il voyait. Des souvenirs remontèrent alors subitement en lui, le ramenant à une époque où, en taverne, il avait fait sa rencontre avec humour. L'homme avait tenté de deviner son boulot avec acharnement, et elle se débrouillait si bien que deux heures après, il n'était pas plus avancé. Un bref sourire parcouru son visage quand il se rappela l'avoir momentanément prise pour une comtesse. A l'époque, Varden avait terminé son mandat, et Aknaïl n'avait pas vraiment prit le temps de savoir qui l'avait remplacé.
Les bons souvenirs cédèrent subitement la place à un sentiment de tristesse. Il s'approcha un peu plus, puis fixa la personne qui se tenait à coté, l'interrogeant du regard quant à son état. Mais en réalité, il ne tenait pas à le savoir, il ne voulait rien savoir.
Confus, il s'abaissa à son niveau et fixa la terrible blessure qui parcourait son crâne. Ses yeux s'abaissèrent vers le sol, puis remontèrent timidement.
- Hé championne.....
Sa voix s'étrangla, les sons ne sortant plus tant sa gorge était serrée.
- Je ne t'avais pas dit de prendre soin de toi ?
Le soldat remonta un peu plus la couverture, la ramenant jusqu'à son cou d'un geste lent, puis il se redressa lentement en regardant longuement cette femme, qu'il considérait avec respect, comme une amie.
- Je reviendrai te rendre visite Loulianne ! Lacha-t'il finalement avant de s'écarter.
Le regard devenu sombre, Aknaïl continua son chemin et partit à la recherche d'un médecin. Au bout d'un instant, il se trouva en face d'une femme aux traits tirés par la fatigue. Son visage avait blêmit, et cela lui rappela immédiatement l'infirmière de l'OST. Comme elle, la femme semblait avoir négligé sa santé pour offrir toujours plus de soins aux mourants, quitte à les faire passer avant elle. C'était une mentalité très riche, d'être animé par la compassion et l'altruisme, plutôt que par la haine et la colère.
Alors qu'elle s'occupait d'un autre blessé, Aknaïl s'approcha et parla d'un voix claire.
- Excusez-moi toubib....Vous êtes dame Mélian n'est-ce-pas ?_________________