Jhoannes
Dans son codex l'archiviste rature, malgré lui détourne ou omet certains faits, et pas malgré lui les interprète, entre une page barbouillée de triangles et l'autre de phrases sans queue ni tête. En vrai il a juste la flemme de faire ses comptes.
Le Mans, au neuf mai de l'an 1470.
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Le Mans, au neuf mai de l'an 1470.
- Le Limousin (et la Marche) ont vu naître une sorte de monstre à deux gueules, dont le prochain conseil prendra les traits de l'une, qui tentera sans doute de bouffer l'autre. Reste à À ma droite, une liste majoritairement forgée par celles et ceux qui ont participé à la prise récente du château (avec, on le murmure en tout cas, un appui militaire interne), liste menée par la princesse de Varenne, qui fut déclarée traîtresse à la Couronne de France. À ma gauche le baroud d'honneur du ban nobiliaire (mais pas que, mais essentiellement), qui a eu comme un sursaut, quelques jours avant l'ouverture des urnes, à l'idée d'abandonner le contrôle des terres à celles et ceux qui s'en sont emparés par la force, force d'ailleurs du soutien des Shats de Shawie et du clan des Clair-Obscur, sous le joug d'une certaine Rose, que je n'ai pas eu l'heur de croiser. La princesse de Maintenon m'a décrit une femme fort laide, avec un mauvais éclat dans le regard, mais faut-il se fier à la princesse de Maintenon qui est elle-même doucement fêlée du cabochon, je l'ign
L'avenir du Limousin (et toujours de la Marche, on t'oublie pas Boson le Vieux) est encore plus coton à augurer qu'à l'ordinaire. Ce dont on peut gager, c'est que beaucoup ne supporteraient pas de voir la Varenne à sa proue, et feraient (s'ils ne l'ont déjà fait) appel à la Couronne pour venir mettre un petit coup de poulaine dans la fourmilière. Quelle Couronne ? Heureusement qu'on frappe de nouveaux écus deux fois l'an pour qu'on ait l'occasion de se faire une idée de son profil. La malédiction qui plane au-dessus du trône doit peser bien plus lourd aux régnantes et régnants que les joyaux dont on leur ceint le crâne. J'imagine qu'ils ont les nerfs glacés de nature, pour ne pas perdre la boule une fois le spectre en main. Présage de trépas a des notes bien plus angoissantes que celle d'une mort bête et imprévue. Je deviendrais fou à leur place. Mais ce doit être un excellent moteur pour les caractères qui sont rassurés par l'ordre. Pas l'temps d'jouter. Des anciennes bulles à aller éclater, et des nouvelles à souffler.
J'ai récemment croisé la route d'un partisan de la monarchie la plus pure. Il criait dans les rues de Loches que c'était punition des cieux, de faire mourir tour à tour une souveraineté choisie par le peuple, et non par Déos. Que ce peuple commençait à se prendre pour Lui, et que d'autres maux allaient venir s'abattre, avec la promesse de nouvelles épidémies de peste, de champs ravagés par des grêlons gros comme des mamelles de vache et autres joyeusetés. Je crois qu'il avait un petit coup dans le nez. Je crois que je suis un monarchiste pas convaincu. On peut regretter fantasmer la dernière dynastie des Capétiens, tout en admettant qu'il est juste que les gens aient voix au chapitre de qui les gouverne. Encore que j'en croise régulièrement qui votent un jour et affirment se ficher du monde politique le reste de l'année. C'est là que je suis perplexe. Le royaume est un organisme sur lequel il est pas déconnant de se pencher un chouille, surtout quand il est affaire de sa tête. C'est elle qui régit l'ensemble. Aussi faut-il tenter de faire fonctionner la sienne, au-delà du dernier pamphlet brillant sur Madame de Truc en pleine culbute avec Monsieur de Machin. Tout est politique, jusqu'à ce que la nature s'en mêle.
Je me demande ce que les gens vont bien pouvoir inventer dans les temps qui viennent, de beau comme de laid. Le monde change vite à mon regard. J'aimerais pouvoir me réfugier sur un nuage après ma mort, pour pouvoir continuer à observer tout ce manège d'en haut. Pendant la première moitié de ma vie, personne n'avait songé à bidouiller ces petits caractères d'imprimerie, et je ne lisais quasiment jamais le même livre (quand j'avais assez de moule pour en avoir un sous les yeux). Les tatouages étaient les marques des marins, des putains et des mercenaires. Aujourd'hui des titrés en arborent. Moi-même j'en ai sur le cul et ailleurs. Et quelques bouquins en ma possession. Trois. Ils ne me semblent pas moins précieux que ceux des copistes. Vu ma naissance, c'est déjà dur à croire que j'en ai. Je suis curieux de ceux que je ne lirai pas. Peut-être qu'un jour on élira un cordonnier au pouvoir, avec des dessins à l'encre partout sur les bras, qui causera que dans son patois, avec un accent à couper au couteau, et qui demandera plus à personne de faire courbette devant lui. Je vais mettre toutes ces âneries sur le dos du Maine. L'air qu'on y respire est chargé. Et je ne veux pas savoir de quoi.
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