Saens
"Aubergine. Panais. Carottes. Généreuse l'aubergine, ample l'aubergine, comme celle des faunes."
Mais la maraîchère n'y entendait rien, dans le brouhaha matinal, aussi le beau galvaudeux dégoisait ses remarques sur les panais et les satyres tout seul, et ses âneries virevoltaient dans l'air comme autant de puces sur le cul d'un chien qui s'ébroue. Trois marchands plus loin, un chevrier - jeune, aux boucles brunes, la lippe angélique, ça lui traversa l'esprit un instant, fugace, que ç'aurait pu être lui, l'amant pâtrétique de la brune. Mais fugace donc, bien vite dissipé par les douces exhalaisons des fromages. Juste un, mais un coriace, un frais, un vrai. Et plus tard, dans l'échoppe fourmillante d'un biterrois de boucher.
"Les blancs, les sot-l'y-laisse."
On rigole moins avec l'abatteur, surtout lorsque l'on vient de croiser un éphèbe qui ramène une saucissonade de douleur. Dans sa besace flottaient des petits trésors, perclus dans des chiffons comme des petites paupiettes : muscade, gingembre, cardamone, cannelle, sel. La sauce, elle sera cameline ou ne sera pas. Du miel aussi, quelques amandes et quelques raisins. Parce qu'il faut engraisser la brune, qui est devenue aussi frêle qu'une branche de saule en hiver, toute nue sans ses feuilles. Pour la garnir un peu, Saens avait hésité entre deux solutions, l'enfantement ou le gavage, et entre deux maux avait choisi le moindre, elle serait donc gavée comme une oie précieuse, par les écus dont d'habitude il ne faisait rien.
Il récapitula dans un coin de rue l'énoncé de ce qui serait cuit dans l'heure. Avant de monter à leur auberge, frôla le reflet d'une vitre et s'y regarda. Tenta d'aplanir ses épis sauvages, de dresser sa barbe, d'avoir l'air moins brouillon et moins con. Mais ça Saens, la connerie n'est pas dans le système pilaire, c'est une affaire de trombine, et la tienne, tu auras beau la larder ou la farder, tu ne la changeras pas. N'y pense plus, et va donc jouer au maître queux. En haut il déposa les victuailles sur une table - près de trois bouteilles dûment bouchonnées qui contenaient chacune un liquide bleu, du plus gris au plus clair, et la brune qui dormait dans un coin de drap, il passa bien un quart d'heure à l'admirer. Il descendit les escaliers en catimini, jusqu'aux fourneaux qu'habitait un aubergiste amène - pas rondouillard, le tablier relativement sain, pas égrillard pour un sou.
En bas, il rejouait pour la seconde fois la même scène, la voix éteinte.
"Messer le tenancier ? Landry c'est cela ? Landry. Heu... ma femme, qui est en haut, Saroline, oui, un beau brin de demoiselle je sais, elle est... C'est assez rude à dire. Elle est... hum, malade. Très malade. Une infection du boyau culier, c'est assez terrible. C'est remonté jusqu'à l'arête du doux et là ça touche à son pauvre cur, hélas... Moi ? Moi je crève de trouille, j'ai les couilles qui se disloquent de jour en jour, mais elle si vous la voyez... Elle tousse. Tousse tant, et si vous saviez quoi, bref, sa gorge s'empâte. Alors, hier, elle m'a dit "Mon beau, mon grand, j'ai le gosier qui claque. J'voudrais ripailler une dernière fois, à bonne fourchetée, avant de n'avoir que de la merdre dans le", enfin, je vous passe le reste, vous vous doutez. Alors, Landry, si tu voulais bien me prêter tes fourneaux, que je lui concocte une petite bâfrée d'avant la mort... Oui... Merci Landry, merci. Moi ? Moi c'est Séandre."
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Mais la maraîchère n'y entendait rien, dans le brouhaha matinal, aussi le beau galvaudeux dégoisait ses remarques sur les panais et les satyres tout seul, et ses âneries virevoltaient dans l'air comme autant de puces sur le cul d'un chien qui s'ébroue. Trois marchands plus loin, un chevrier - jeune, aux boucles brunes, la lippe angélique, ça lui traversa l'esprit un instant, fugace, que ç'aurait pu être lui, l'amant pâtrétique de la brune. Mais fugace donc, bien vite dissipé par les douces exhalaisons des fromages. Juste un, mais un coriace, un frais, un vrai. Et plus tard, dans l'échoppe fourmillante d'un biterrois de boucher.
"Les blancs, les sot-l'y-laisse."
On rigole moins avec l'abatteur, surtout lorsque l'on vient de croiser un éphèbe qui ramène une saucissonade de douleur. Dans sa besace flottaient des petits trésors, perclus dans des chiffons comme des petites paupiettes : muscade, gingembre, cardamone, cannelle, sel. La sauce, elle sera cameline ou ne sera pas. Du miel aussi, quelques amandes et quelques raisins. Parce qu'il faut engraisser la brune, qui est devenue aussi frêle qu'une branche de saule en hiver, toute nue sans ses feuilles. Pour la garnir un peu, Saens avait hésité entre deux solutions, l'enfantement ou le gavage, et entre deux maux avait choisi le moindre, elle serait donc gavée comme une oie précieuse, par les écus dont d'habitude il ne faisait rien.
Il récapitula dans un coin de rue l'énoncé de ce qui serait cuit dans l'heure. Avant de monter à leur auberge, frôla le reflet d'une vitre et s'y regarda. Tenta d'aplanir ses épis sauvages, de dresser sa barbe, d'avoir l'air moins brouillon et moins con. Mais ça Saens, la connerie n'est pas dans le système pilaire, c'est une affaire de trombine, et la tienne, tu auras beau la larder ou la farder, tu ne la changeras pas. N'y pense plus, et va donc jouer au maître queux. En haut il déposa les victuailles sur une table - près de trois bouteilles dûment bouchonnées qui contenaient chacune un liquide bleu, du plus gris au plus clair, et la brune qui dormait dans un coin de drap, il passa bien un quart d'heure à l'admirer. Il descendit les escaliers en catimini, jusqu'aux fourneaux qu'habitait un aubergiste amène - pas rondouillard, le tablier relativement sain, pas égrillard pour un sou.
En bas, il rejouait pour la seconde fois la même scène, la voix éteinte.
"Messer le tenancier ? Landry c'est cela ? Landry. Heu... ma femme, qui est en haut, Saroline, oui, un beau brin de demoiselle je sais, elle est... C'est assez rude à dire. Elle est... hum, malade. Très malade. Une infection du boyau culier, c'est assez terrible. C'est remonté jusqu'à l'arête du doux et là ça touche à son pauvre cur, hélas... Moi ? Moi je crève de trouille, j'ai les couilles qui se disloquent de jour en jour, mais elle si vous la voyez... Elle tousse. Tousse tant, et si vous saviez quoi, bref, sa gorge s'empâte. Alors, hier, elle m'a dit "Mon beau, mon grand, j'ai le gosier qui claque. J'voudrais ripailler une dernière fois, à bonne fourchetée, avant de n'avoir que de la merdre dans le", enfin, je vous passe le reste, vous vous doutez. Alors, Landry, si tu voulais bien me prêter tes fourneaux, que je lui concocte une petite bâfrée d'avant la mort... Oui... Merci Landry, merci. Moi ? Moi c'est Séandre."
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