Domaine de Corbigny, sombre forêt
Quelques bouteilles, éparses et presque toutes vidées, autour du bien mauvais lit de camp qui servait de couche à Corbigny lorsque, comme de plus en plus régulièrement, il fuyait les rumeurs du monde au fin fond de sa forêt domaniale, à lintérieur du petit pavillon de chasse quil avait fait, sommairement, aménager, sans charme ni apprêt à peine leut-on distingué dune simple masure de bucheron-, nétait lenclos le jouxtant et où paissait un rude destrier taillé pour les longues courses à travers bois, ni quelconque autre décorum quun beau garde-chasse garni darmes en parfait état le seul vrai luxe de cette modeste tanière. Juste un peu au-delà des bouteilles couchées au hasard de leur court règne, quelques écuelles, vides elles aussi, nétaient quelques restants patiemment rongés dosselets de petit gibier autour desquels sacharnaient deux ou trois grosses mouches vertes. Dans lâtre, embrochée au-dessus dun feu presque éteint, la carcasse dun lièvre achevait de noircir, une marmite sans couvercle trônant juste à coté, laissant voleter les derniers espoirs dune soupe presque asséchée. Dans lun des sombres recoins de lunique pièce perchait, hiératique et noble, un faucon pèlerin, chaperonné, encore jeune quoique déjà de forte taille, semblait attendre la fin des temps en silence.
Presque au centre du logis sarcboutait une lourde table de chêne sans fioriture de celles qui résistent aux siècles et aux modes- où sempilaient vaisselles et parchemins dans une sorte de foutoir informe, un scel et un encrier renversé au milieu de lensemble, une lourde tête reposant lourdement, de coté, sur dépais vélins éparpillés sans ordre ni logique
Corbigny dormait dun sommeil hostile, comme surpris par les remugles dun alcool en plein mitan de son insomnie passée. Les paupières cillant nerveusement sous leffets de mauvais songes, ceux-ci lemmenaient vers les rives sombres dun cauchemar où sentremêlaient hérétiques assassins au sourire maléfique, de sorcières rodomondes, folles de pouvoir et d'orgueil, de bruits de ferraille et crys de guerre, d'aboiements insupportables de chiens enragés, de babils pathétiques de nouveaux nés affamés. Sa main droite se resserra fortement sur la plume quelle maintenait encore, nerveusement, lorsque le rêve obsédant le fit pénétrer en une salle immense où, infime Gulliver dans un monde de géants, il se retrouvait en plein pays de Brobdingnag tel le plus minuscule des cirons au milieu dune fête monstrueuse
Au dehors, un chaud soleil dété parvenait difficultueusement à percer de trop rares rayons les frondaisons proches, jusque vers le centre de la pièce, venant apporter une nébuleuse lueur à travers les fenestrons du pavillon, éparpillant de faibles feux sur les pierres précieuses de létoile dAristote, abandonnée par son possesseur sur langle droit de la table, unique moment de couleur et de pure lumière dans ce qui ressemblait plus à un bouge quà toute autre chose. Au pied de son maître, la tête négligemment posée sur ses cuisses, un dogue pignait nerveusement, inquiet, sans doute, de ne point voir son maitre s'éveiller.
Brutalement, comme rattrapé par ses chimères, Erik redressa le buste, lil encore tout embrumé de fatigue et de vapeurs éthylique, lâchant bruyamment :
Foutrecul ! Par la Semence du Couillard des Enfers ! Ces damnées allégeances !
Poursuivant son soliloque dune voix lasse, lautunois baissa dun ton, comme sil sadressait à son chien surpris par le mouvement brusque de son maitre, le regard éploré tendu vers lui alors que le maitre prenait avec douceur cette tête entre des mains noircies par lencre du calame abandonné en pleine dormition, tandis qu'au sol glissait cette lettre inachevée -à peine entamée, en réalité- qu'un oeil averti eut pu voir adressé à la Duchesse de Bourgogne. Mais seul le nom d'icelle semblait y figurer, ainsi, peut-être, qu'une entame, une manière de termes courtois s'achevant sur une énorme tache d'encre brune, rien de plus :
Jimagine que je dois bien cela à Son Eminence
Je me prétends son ami
Pourtant, je lai totalement abandonnée
Comme tout et tous
Tu ten contrefiches, le chien
Heureux sois-tu de nêtre quun chien
Heureux sois-tu
Je lui dois bien cela, tant et si peu à la fois
Toi, tu es heureux, fidèle animal !
Erik se releva tout aussi sèchement que précédemment, se dénuda totalement, se saisit d'un lourd carré de savon noir et, séchappant un instant de la maisonnée, se baignant, sa crasse et lui, dans les marécages de létang quil avait fait aménager afin dy attirer foulques macroule, cannes et cannetons et autres poules deau. Linstant, quoi que bref, lui fit le plus grand bien, se sentant prêt à affronter ne fut-ce quune journée- ce monde quil fuyait de plus en plus, ces rumeurs dhommes et de mensonges, de faux semblants et de trompeurs. Sen retournant auprès de lâtre dans le même appareil, Erik déjeuna rapidement des restes de la soupe au vin et au lard épaissie par une trop longue cuisson, examina les vêtements fripés qui commençaient à sentir très légèrement la moisissure le bâtiment était fort humide- et quil avait négligemment entreposé dès son arrivée dans le secret dune antique malle, mais au moins étaient-ils propres et bien suffisamment apprêtés et solennels pour le raout auquel il avait obligation de se rendre. Il sen vêtit, rapidement et sans gout, décida, après y avoir promené une main pensive, de ne point tailler sa barbe de dix jours, laissa juste ce quil fallait de nourriture et deau pour que ses deux fidèles bêtes puissent se sustenter, couru seller son lourd cheval qu'il monta avec une certaine prestance, malgré l'age avançant, pour filer dune traite jusquau château où, il le savait bien, les allégeances devaient avoir commencé depuis un bon moment.
Il ne sétait point trompé : Il devrait dorénavant affubler Vaxilart dun titre de duc et, il sen était fallu dun rien que les choses aillent plus vite quil ne pouvait lespérer, Migisti devait recevoir dans un instant fiefs et titres. Il faudrait donc que le Pair attende un peu
Quil puisse enfin sen retourner dans cet endroit secret où il pouvait sabandonner à loubli des temps, chasser le connin, lancer son molosse sur les traces de quelque blaireau, connaître tous les secrets du « Moamin », en appliquer la sapience en peaufinant le dressage de son pèlerin, battre la campagne sans se soucier de rien
De rien ni de personne ! A peine quelques minutes passées en ville et déjà il ne songeait quà retrouver son ermitage, sa thébaïde
Reprendre le chemin de la solitude et du silence, au plus vite : La vraie vie était véritablement, indubitablement, définitivement ailleurs quen cet instant
[i][MAJ pour quelques corrections et oublis - essentiellement le "début de lettre à Ingeburge", liés à un ordi récalcitrant sur ce forum^^ Je remercie ma mémoire vive, mais pas très... Seconde MAJ pour cause de slash inopportuns apparus comme par magie!!!]