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[RP] Carnet de voyage...

Ewaele
[Du Languedoc à la Bourgogne en passant par le Lyonnais.]

Elle avait traversé les villes après sans forcément les voir, regardant surtout le ciel pour voir si sa buse revenait avec un quelconque message. Mais la première chose qu’elle vit ce fut le cheval de Breccan. Il l’avait donc rattrapée et avait quitté lui aussi le groupe. Décidément ceux qui étaient partis pour Montpellier avaient finalement tous suivi leur route pour des raisons différentes. Première étape Uzès. La rousse avait besoin d’apprendre à revivre différemment, faire un trait sans doute définitif sur son passé proche ou lointain. Bizarrement elle avait l’impression que les choses se répétaient, mais pas pour le même sujet. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à Nico, où qu’il soit et fasse, il était et serait encore un moment présent en son cœur et son âme. Ils n’avaient pas partagés autant de temps ensemble pour que les brises marine des côtes du sud puissent tout effacer aussi facilement. Malgré l’abandon du Comte pour la Comtesse, malgré le fait qu’il lui ait dit de l’oublier, elle n’arrivait à faire la part des choses, il l’avait marquée à sa façon et sa cicatrice sur son ventre était un exemple comme un autre. Pourtant il lui faudrait tourner une page, elle le savait. Il avait été clair, il ne reviendrait pas… A quoi bon se battre contre des moulins à vent? L’amour et ses désillusions étaient dévastateurs, qui pouvait le nier?

Elle allait de taverne en taverne dans les villes qu’elle prenait pour étapes, désireuse de se noyer dans de nouvelles connaissances, d’apprendre sur les régions où elle passait, sur les gens. Elle fit de belles rencontres: Uzès et Grigri, Vienne et Tenshikuroi. Mais elle ne prenait pas le temps d’approfondir devant continuer sa route. Au moins cela lui mettait du baume au cœur et sans doute lui permettait de regarder l’horizon qui se présentait devant elle dans un camaïeu de gris. Enfin elle l’espérait. Buse et pigeon la trouvèrent en Lyonnais. Deux missives, une d’Yseault qui lui répondait, et une autre de sa vassale qui lui donnait des nouvelles et lui annonçait que le lendemain elle serait sur Lyon avec des membres de la Copa et le Connétable de France. Hasard ou pas, c’était là que serait la rousse aussi, et un sourire naquit sur ses lèvres. Retrouver des amis, des connaissances, mais aussi peut-être lui permettre de finaliser ce qu’il lui avait traversé l’esprit depuis peu. Lyon et la joie des retrouvailles, la magie des instants passés avec Vinou à parler jusqu’au bout de la nuit, à découvrir ses compagnons de voyages, et surtout de se livrer l’une à l’autre. Prendre une décision plus qu’une autre. Elle voulait à la base retourner auprès de ses frères licorneux mais sans nouvelle du ténébreux, elle avait baissé les bras. Plus envie de se battre, plus envie de grand chose d’ailleurs pour le moment. Juste se laisser porter par le courant et suivre son instinct, et pour l’heure il lui disait de suivre Lekaiser. Elle irait donc en Bourgogne, elle prendrait le temps de lui demander de bien vouloir la recevoir et de discuter avec elle de ce qui s’était glissé dans sa petite tête de rousse. Elle avait eu un accueil digne des grands au milieu des lances périgourdines et cela lui avait réchauffé le cœur… La flamme qu’elle était recommençait lentement à reprendre goût à la vie, à briller, à brûler. Que c’était bon de se retrouver enfin, même si cela ne devait durer, elle voulait s’en nourrir.

Chalon… Voilà, c’était le lieu de rendez-vous de beaucoup apparemment, la ville fourmillait de monde, des campements partout autour de la ville, plus une chambre d’auberge de disponible. Elle accepta la proposition de se joindre à ceux avec qui elle avait chevauché ces dernier temps, on lui monta sa tente non loin de celle du Connétable et de ses hommes et femmes. Là les journées s’égrenaient lentement, des connaissances à foison, des discussions aussi douces, qu’intéressantes, ou houleuses selon qui prenaient la peine d’entrer ou de sortir des tripots de la ville. Les périgourdins étaient très présents et entouraient la rouquine de leur bonne humeur, leur joie de vivre. Elle prenait plaisir à s’installer dans le coin de la taverne là où la cheminée brûlait buche après buche, elle déposait sa cape azur et se posait simplement avec les talons de ses cuissardes sur la table, entassait les tisanes devant elle, et souriait un peu plus de jour en jour en leur compagnie. Leur simple nom sur ses lèvres lui apportait du réconfort… Wulfrik, Vinou, Pat, Lenance, et les autres… Sans oublier Lek qui se faisait de plus en plus présent les soirs auprès d’eux.

Puis vint le jour où elle fut reçue sous la tente du Connétable et là, pendant quelques heures, ils discutèrent. Armées, militaires, connétablie. Ewa lui parla de ses envies, de ses attentes, de sa motivation. Il l’écouta, lui répondit, un échange très intéressant s’instaura lors de cette soirée, puis petit à petit la conversation tourna simplement à du plus léger… Pour finir par se rendre ensemble en tavernes rejoindre les habitués nocturnes et compagnons. Comment expliquer ce qu’il pouvait se passer sous couvert de ses retrouvailles sans cesse joyeuses. Comment ne pas voir que certaines choses évoluaient. Comment ignorer les comportements, les sourires, les gestes… Comment ne pas se rendre compte du temps qui s’écoulait en compagnie de certaines personnes. Mais comme toujours il fallait un mais… Rien ne pouvait être simple, rien ne pouvait couler comme de l’eau sur la peau qui suit les formes du corps et qui ne s’arrête jamais avant d’avoir toucher le sol… Une seule possibilité. Non jamais! Alors elle rentra dans une période d’observation, scrutant le moindre élément qui pouvait lui donner un indice, une réponse, la voie à choisir. A l’écoute de tout et de rien, mais là. Mais une chose était sure, elle ne voulait pas se jeter dans le vide à nouveau, les précipices tuaient certainement, et ce n’était pas son but. Elle avait besoin de temps, elle commençait juste à se reconstruire, et puis de tout façon, la patience avait aussi du bon. Apprendre à connaître, découvrir, apprécier, laisser le temps faire son chemin et rapprocher, s’il devait en être ainsi, les âmes qui devaient l’être.

Elle avait ouvert le portillon de fer et elle était entrée dans le ventre de la fontaine. (*)

Ô serpent d'eau, mains d'eau, petite mer bouillonnante à fraîcheur de remous! Douces contractions enroulées contre ses jambes! Mouvements concentriques autour de ses cuisses Muscles massés, vivifiés, caressés! Baisers de tant de bouches en ondes lisses! Elle avait marché jusqu'à la pierre centrale enrubannée des désordres de ses pluies. Il lui fallait capturer l'ardeur de la source, ses tremblements, ses vibrations, l'agitation de ses veines, l'éclatement de son cœur, ses débris sans cesse recollés, reconstitués en vaguelettes autour de ses jambes, de ses cuisses encore et encore. Là dessous, trempée du déluge, dégoulinante d'une presque noyade, d'une fresque aux fragments époumonés, elle, les deux mains plaquées sur la pierre luisante, collée contre le socle granuleux avec ce chant en fond de gorge, ce chant sans musique, sans mot, ce chant de larmes et d'amer, ce chant à se laver des tourments du monde. A renaître enfin…


(*)Giono -la rondeur des jours-
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Breccan
[Errance galloise dans les rues d'Autun]

Breccan était arrivé ce matin dans la ville d'Autun...seul, encore une fois. Depuis pas loin de six mois même plus il ne l'avait pas quitté,toujours à ses côtés, sillonnant les nombreuses routes du Royaume. Frère et sœur inséparable et pourtant durant ces deux dernières semaines ou serait ce moins? Peu importe après tout, les voila une nouvelle fois éloignés. Cela n'avait pas grand chose à voir avec le jour où sur les terres Berrichonne, il l'avait quitté alors qu'elle était mal en point, pour partir en mission. La rouquine était entre de bonnes mains oui...mais il s'en voulait encore de l'avoir laissé seule. Lui qui répète sans cesse ou presque qu'il sera toujours présent pour elle. Ce jour là, sur les terres Berrichonnes alors hostile...il ne l'était pas ou plutôt, il ne l'était plus. Si quelque chose lui était arrivé...Brec chassa cette funeste pensée de sa caboche et une autre prit place bien que nettement différente car les rôles étaient inversés à présent. Il faut repartir un peu plus au Sud, dans les environs de Narbonne. Le Gallois, Ewa, Yse la blondinette et Ethan le Ténébreux remontaient doucement vers Montpensier afin d'y passer les fêtes...Brec ne trouvait pas cette ville bien attrayante m'enfin en compagnie de ses amis cela devrait aller tout de même. Mais c'était sans compter l'imprévu qui chamboule tout. Vous la sentiez venir cette saleté hein? Ben pas lui. Suffit d'une décision, d'une lettre et le groupe uni depuis des lustres s'en retrouve éparpillé aux quatre coins du Royaume...non ce n'est pas vrai, ils ne sont pas aussi rapide que ça hein, donc oui le groupe est scindé mais ils sont encore dans la région Languedocienne. Pis ce n'est pas important, juste du détail. Ce qu'il faut retenir par contre c'est que le Breccan a connu un réveil des plus mouvementés ce matin là. La sœurette avait mis les bouts quelques heures auparavant en ne lui laissant qu'une lettre. Lettre qu'il a encore sur lui aujourd'hui. Où aurait il pu la déposer de toute façon, lui qui est sur la route depuis si longtemps sans être jamais retourné au bercail.Bref. En y repensant un mince sourire se dessina sur les lèvres de l'Incorrigible, Ewa le connaissait bien. Rien d'étonnant après tout ce qu'ils ont vécu ensemble. Amitié, guerres, emmerdes diverses et variées, fraternité..fossé. Passons. Comme elle s'en était douté, à peine la lecture de la lettre terminée, Breccan était déjà entrain de préparé Ombre ,son cheval, afin de partir le plus rapidement possible à la recherche de la rouquine disparue. Fort heureusement il la retrouva quelques lieues plus loin, du côtés d'Uzès. Le voila soulagé et bien décidé à ne pas la perdre de vue de sitôt...du moins c'est ce qu'il croyait car après ces quelques jours passés à Chalon, il reprend la route seul encore une fois..direction Limoges. Bordel de flûte..ce que les au revoir de la veille furent déchirant. Il se revoit au milieu de la taverne, serrant Ewa dans ses bras, lui disant au revoir mais ne parvenant pas à se décider à la quitter...retardant le plus possible l'instant où il lui tournera le dos pour s'en aller vers d'autres horizons.

Suffit d'un mot...un seul.

Pour la première fois depuis un sacré bout de temps, il va reposer les bottes au Limousin...S'il tient encore debout et s'il n'est pas réduit à l'état de ruine fumante. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu'il n'avait pas eu de nouvelle du comté, celui qu'il considérait comme le sien il n'y a encore pas si longtemps que ça et les dernières choses entendues n'avaient rien de bien réjouissantes. Cependant, bien que l'envie de refoutre un pied au Limousin ne se fait pas des plus fortes, l'heure était grave et il se devait de retourner là bas. En effet une de leur sœur, la petite mais néanmoins tyrannique capitaine rouquine, Cerridween était en fâcheuse posture ou du moins un courrier ne laissait rien présager de bon. Le Gallois ne pouvait pas rester sciemment les bras croisés à ne rien faire pendant qu'on ne sait quelle saloperie est peut être entrain d'arriver à une Licorne. Cette pensée lui est insupportable. Bien inconscient celui qui a eu la très mauvaise idée de s'attaquer à l'ordre. Ethan et Yse l'attendaient déjà en la capitale, il n'y avait pas une seule seconde à perdre. Peu avant le coin de la rue, Breccan remarqua une auberge, elle sera parfaite pour se plomber le bide avec un plat consistant et se reposer un peu avant de reprendre la route.

Aujourd'hui ici, demain ailleurs...

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Mariealice
Le temps filait, courait puis lambinait un instant avant de reprendre son cours sans que rien ne puisse jamais l'arrêter. Marie le regardait parfois couler entre ses doigts comme du sable, parvenant par moments à entrapercevoir les grains alors qu'à d'autres elle n'en discernait rien, pas même un long ruban. Depuis que la missive d'Ewaele lui était parvenue, il oscillait allégrement entre les deux. Grain à grain lorsqu'elle se retrouvait devant un parchemin, la plume à la main, n'arrivant point à écrire une seule ligne. Si vite en apprenant que son ainée voulait devenir dame de compagnie de la Duchesse Fitzounette et qu'elle partait le lendemain en compagnie du blondinet Karyl.

Mais elle avait assez attendu, assez repoussé, il lui fallait coucher sur le vélin des mots, quels qu'ils soient.


Citation:
Ewa, ma soeur, mon autre,

Tout d'abord pardonne-moi. Pardonne-moi de mon long silence depuis ta lettre, pardonne-moi de ne point être là quand tu en as le plus besoin, pardonne-moi de me sentir impuissante.

Impuissante oui parce que je te sais malheureuse, en colère, que je craignais que cela n'arrive car même si j'aime beaucoup Nico, je le connais assez bien également pour savoir qu'il a de grandes périodes où il s'enferme et où rien ne le touche plus. Sans doute ai-je cru que tu parviendrais à l'en sortir. C'est presque amusant, je me rends compte que je te dis à son propos ce que l'on m'a dit concernant Gaborn. Non que je te souhaites la même fin....

Prends le temps qu'il te faut mais sache que de toute façon tu es et reste une personne que j'aime et tu pourras toujours trouver refuge près de moi, près de nous. Je t'attends.

L'une protège l'autre à jamais.

Ton Autre


Un long soupir passa les lèvres vicomtales alors que les gestes machinaux reprenaient le dessus et que le scel était apposé comme pour tenir à l'écart du monde extérieur ces quelques mots qui lui semblaient bien peu en regard de l'agitation qui régnait en elle.
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Ewaele
[A la croisée des routes]

Chalon des au revoir à la chaine…

Quand il est écrit que les chemins doivent se séparer que pouvons-nous faire pour changer la donne? Rien, c’est ainsi, il faut savoir prendre sur soi et faire contre mauvaise fortune bon cœur. Des choix elle en avait fait à chaque fois que cela était nécessaire, essayant de trouver en elle ce qui serait le mieux ou répondait le plus à ses attentes. Des erreurs aussi elle en avait fait en prenant ces choix, mais là elle ne pouvait rien faire ou du moins pas grand-chose, à part aller à contre courant de ce qu’on attendait d’elle ou de ses valeurs, sa droiture… Elle avait beau se répéter le cœur a ses raisons, elle ne pouvait braver les interdits ou les non-réponses qui l’auraient mise sans doute dans des situations plus ou moins rocambolesques. Alors le soir où Breccan lui annonça qu’il reprenait la route pour rejoindre ses frères de la Licorne elle ne sut quoi lui dire. Elle ne l’aurait pas retenu c’était certain, ils avaient aussi chacun leur vie et pour l’heure la sienne était encore à Chalon. Elle ne prévoyait pas d’ailleurs de partir de la Bourgogne avant… Un moment. Qui, selon l’histoire, serait long ou pas. Mais là, dans cette taverne avec leurs amis périgourdins, quand il se leva pour dire que c’était l’heure, son cœur se serra, ses jambes eurent même du mal à la porter quand il lui ouvrit ses bras pour un dernier moment ne pouvant que leur appartenir. Comment expliquer les trop pleins d’émotions quand celui qui chevauche à ses côtés depuis des lustres part vers son ailleurs? Comment ne pas se laisser envahir par tout un flot d’images, de souvenirs, de paroles… La rousse le vivait mal mais c’était ainsi, ils se retrouveraient un jour, de cela ils n’en doutaient ni l’un ni l’autre. Regarder le Gallois partir sans se retourner et la porte claquer, un vide…

Mais si tout avait été aussi simple… Si c’était le seul départ qui allait la toucher ou la mettre à mal… Aimer, parce que, ne pas vraiment aimer c'était de "l'enamoure" (l'enamoure c'est ce qui ressemble à s'y méprendre à l'amour)... Et il y avait, dans le monde, depuis toujours, un "enamoure fou"! Ses vrais amis étaient ceux et celles qui l'aimaient telle qu’elle était, qui savaient de quel bois elle était faite, de quelle résine elle saignait, de quelle sève vivait le bois qu’elle était, de quels petits insectes ce bois était habité en sa chair... La vie était faite de malentendus, d'illusions, de tromperies, de ruses, de rapport de force et de toutes sortes de lézards relationnels... Et d'a priori à n'en plus finir... Elle mettait simplement en scène ses rêves, ses vérités et tout ce qu’elle ressentait... Cela avait commencé par un doute, une petite conversation à peine remarquée entre lui et elle! Puis d'autres doutes encore et encore... Des petits indices qui faisaient encore grandir ce doute! Elle positivait les choses en se disant que « ça n'arrive qu'aux autres. » Alors elle avait fermé les yeux! Et toujours ces petites choses différentes, pas comme d'habitude qui vous ré-ouvraient les yeux et vous mettait face à l'évidence! Dans l'instant, elle pensait qu'à force d'aimer, d'aimer vraiment, d'aimer comme ça, gratuitement, d'aimer les autres pour ce qu'ils étaient, sans rien changer de ce qu'ils sont, avec leurs failles et leur force, cela faisait très mal, une vraie douleur physique, un tremblement permanent de l'être, de l'âme. Elle avait su tardivement que cela serait le dernier soir en leur, en sa compagnie… Elle en aurait revu certains et pas d’autres, le temps manquant dans les préparatifs de ce départ qui grondait depuis quelques temps dans les campements mais qui était toujours repoussé aux lendemains… Mais pas là! Alors il fallait regarder la réalité en face et se donner un peu de temps, le temps de dire ou de faire les choses, le temps des promesses et des certitudes qui n’en étaient pas vraiment mais qui devaient rassurer, le temps une dernière fois de plonger son regard dans le sien ou vice et versa d’ailleurs, le temps… Ils n’en avaient plus. Appelait-on cela l'amour? Vous en pensez quoi vous? Aimez-vous? Si vous aimez, faites le vraiment, pas comme cela, pas si pitoyablement, pas si impitoyablement… Elle ne savait plus si elle croyait en quelque chose sinon en cet aspect misérable de ce que sont les humains. Ils portaient le poids de leurs détresses, le poids de leurs erreurs, le poids de leurs incapacités à regarder les choses en face sans les transformer, le poids de leurs masques. Ils traduisaient la peur d'être, la peur de montrer ce qu’ils étaient. Arriver là, à la pliure de cette séparation, avec la conscience aiguë et douloureuse de tout cela, elle ne savait pas quoi en penser. On la traitait de cérébrale, de rêveuse, on lui disait même parfois, quand elle donnait dans l'humour à revendre et la répartie facile : est-ce que tu joues? Non, que diable, elle ne jouait pas. Elle vivait le plus possible et si peu... Et si mal... Elle le regarda s’éloigner dans la nuit sombre et froide, ne pouvant faire un autre geste que de le suivre de ses émeraudes… Une promesse était une promesse.

Elle était partie ensuite de son côté préparer sa monture et prendre la route pour rallier Autun puis Sémur afin de rejoindre les Altérac et patienter autant se faire que peu. Mais là encore l’histoire ne l’avait pas décidé ainsi.

Ewa avait de quoi s'inquiéter pour sa sécurité. Mais il était trop tard désormais et il ne fallait pas perdre de temps. Un regard avait suffit pour voir que les deux hommes qui la rejoignaient à vive allure n’avaient pas de bonnes intentions. Déjà elle avait la méfiance dans la couleur de ses yeux. Elle n'avait nullement foi en ces êtres qui semblaient assez joyeux de montrer la voie, d’ouvrir la route. Il y avait dans l'odeur de ses sentiments quelques senteurs écœurantes. Elle était prête à protéger sa vie s’ils avaient de mauvaises intentions à son égard. Le froid, le vide. La nuit impénétrable. Elle remonta un peu son col car l'air était plus frais que les nuits précédentes. Elle pensait pourtant s'être habituée à ses températures. Visiblement non. Sur son cheval, elle ramena ses jambes plus étroitement sur ses flancs, étirant son dos. Ses yeux étaient vides et caves, soulignés de cernes causées par des nuits entières à discuter en taverne ou à la lueur blafarde de la lune gibbeuse. Un bois craqua, mais ce bruit disparut comme poussière dans le vent, délité, rendu à un néant duquel naissait d'autres bruits, sourds, étouffés, provenant des hommes qui se rapprochaient de plus en plus. Grand galop, des paroles... Deux hommes l’encadraient. Son esprit tiqua immédiatement et elle se permit de détailler les deux comparses. Lequel allait l’attaquer en premier? Etait-ce celui qui avait un chapeau sombre, habillé de blanc très repérable de nuit quand bien même cette dernière fut des plus sombres? Ou bien celui qui lui rappelait son père dans sa posture spartiate, des mèches rousses s’échappant d’un foulard qui lui couvrait la tête, portant des bottes? Elle chercha chez les deux un point commun quelconque, dans la forme des yeux, l'arrête du nez, le trait de la mâchoire, la couleur des yeux... Dans des orbes lunaires, son cœur sembla faire écho à quelque chose, elle fronça légèrement les sourcils, incertaine. Elle sortit son épée marquée de la Licorne de son fourreau, mais il était déjà trop tard! Le vent déplaçait au sol des volutes de poussières qui tourbillonnaient lentement avant de se reposer mollement, comme si rien ne s'était passé. Au-dessus de cela, la jeune femme sentit ses malotrus se déplacer et elle se raidit, attendant un coup, trop habituée à la violence. Dans le fond, elle n'aurait trouvé aucune raison à un acte de violence, mais son esprit était tellement perturbé qu'elle valsait à la limite de la perte de contrôle. Sa peau la brûlait presque et son visage la picotait. Il y eut un moment de flottement, durant lequel la rouquine releva le visage et plongea ses grands yeux émeraudes dans les puits bleus de ceux d’un des brigands qui éclata d’un rire tonitruant avant de l’assener d’un coup qui lui fit perdre définitivement connaissance sur le bord de la route.

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Ewaele
Sa main était une ancre plus solide qu'une chaîne de montagne. Et son cœur, martelé de millions de coup de fer, s'endurcissait à la seule présence de son corps sur ce sol dur et froid. Il n'y avait que l'étonnement dans ses gestes, que la peur et la crainte d'une nouvelle rencontre. Au loin, comme venant d'une autre contrée, elle eut l'impression d'entendre un bourdonnement. Loin d'être agaçant, sa présence était comme le murmure câlin d'une nourrice chantant une berceuse, félicité du sommeil promis à lui-même. Que voyait-elle ? De l'envie ? De la compassion ? Ou de la haine ? C'était, semblait-il, un mélange des trois. Alors qu'elle commençait doucement à reconstruire une vie, alors qu'une ébauche d'espoir et que le bonheur semblait vouloir étendre ses ailes à nouveau au dessus de sa tête, le destin funeste s'était à nouveau manifesté.

La rouquine fronça les sourcils et se concentra sur son autre épée qui reposait maintenant sur ses genoux. Jamais les inscriptions qui ornaient sa lame ne lui avaient semblé aussi vaines. « Honneur, amour de la terre, fidélité à ton cœur. » Son père, l’avait fait forger à l'occasion de son sixième anniversaire. L'âge où on entrait en formation martiale dans leur clan. L'arme magnifique avait suscité l'admiration des vieux guerriers qui lui avaient servi de maîtres lorsque son propre père était pris par les campagnes, mais aussi la curiosité. Offrir une lame à une enfant de cet âge… Que signifiaient ces signes anciens gravés sur le plat de la lame ? Très vite la gamine qu’elle était avait su la manipuler à deux mains d'abord, puis l'âge aidant elle avait maîtrisé son usage d'une seule main, la faisant passer de l'une à l'autre à la grande surprise de ses adversaires. La jeune femme rampa pour aller chercher dans sa besace éparpillée de son contenue partout sur le sol, sa gourde, afin de boire une rasade du liquide de feu. La chaleur envahit immédiatement sa gorge et son ventre, magie de ce breuvage aux effets discutables en cas d'abus. Elle s'assit, adossé au flanc de son cheval qui s'était tenu à l'écart pendant le mauvais traitement qu’on lui avait infligé.
Elle tint la lame à bout de bras, pointée sur l'horizon qu’elle contempla avec une étrange fierté mêlée d'intrigue. Elle n'avait jamais forgé de lame de ce genre, aussi "agressive". Les commandes ou les travaux qu'exigeaient sa formation, avaient vu naître sous l'enclume beaucoup de ces armes classiques qu'on laisse pendre à sa hanche au cas où : des glaives, des coutelas, des poignards et même quelques lames faciles à manier et légères pour les damoiselles envieuses de se défendre mais jamais...


- C'est comme si ... celle-ci avait une destinée, n'était née que dans un seul but. murmura t-elle en jaugeant le fil de l'épée, un œil fermé. C'est étrange.

Pas si étrange. Elle se souvint des paroles de son vieux père forgeron "Les lames ont une âme, jeune fille." Puis il retrouvait son sérieux après s'être amusé d'avoir fait des rimes malgré lui , qui n'avait pas l'esprit et le cœur a la poésie qu'il laissait aux femmes et aux trouvères, puis disait, son regard engoncé dans son visage buriné brillant étrangement " Oui , une âme ...instillée par son créateur ou par celui qui la manie...et parfois , une volonté propre".
Autrefois, l'adolescente qu'elle était avait accueillit ces propos d'un sourire goguenard, pensant qu'il s'agissait des fabulations d'un vieil esprit un peu fatigué, obsédé par la passion du métier de la forge...mais maintenant, ces mots trouvaient écho, alors qu'elle contemplait cette épée, cette œuvre.


- Une âme, une destinée ... Quelle est ta destinée ? demanda-t-elle à la lame, les traits tirés. Quelle est MA destinée ?

Ewa contempla son visage dans le reflet du métal damasquiné. Ses traits acérés, l’émeraude de ses yeux brillant dans l'ombre de ses orbites creusées, d'une étrange lueur fiévreuse, ses lèvres minces sa chevelure flamboyante qui avait poussé et cascadait sur ses épaule. Son visage tout entier s'était aminci, durci, aiguisé. Elle était à l'image de cette épée qu'elle tenait. Agressive, froide...maudite. Ses doigts se resserrèrent convulsivement autour de la garde, en faisant grincer le cuir, alors que son corps tout entier se contractait de rage. Elle renversa la tête en arrière et parti d'un rire sinistre et furieux puis fit siffler sa lame dans les airs nauséabonds, encore et encore. Pris d'un morbide accès de colère, courut dans la lande, feintant, frappant un ennemi invisible à grands renforts de cris de rage. Sa lame décapita les roches, ravagea la végétation ténue et rare qui perçait du sol mort, traça des sillons vengeurs dans la terre, soulevant des panaches de cendre. Ewaële tournoyait dans le paysage désolé, rivalisant de passes, d'estoc, de sauts, riant comme une possédée. Elle sentait son sang battre, enfler les veines de son bras d'une chaleur sauvage qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle sentit bientôt son corps tout entier emprisonné dans une chape brulante alors qu'une fumée s'élevait de sa peau dans un crépitement. La rage lui faisait perdre tout contrôle de son pouvoir. Tant pis, qu'elle brûle, qu'elle se consume tout entier ici et maintenant...Y aurait-il quelqu’un pour la regretter ? Elle ne le voulait pas. Elle poussa un ultime cri de rage et se laissa tomber en arrière, les bras en croix, alors que le cuir de la garde se racornissait sous la chaleur incandescente de sa main droite. Elle ferma les yeux et mangea à nouveau le sol ivre de l’effort ultime qu’elle venait de faire pour se laver de n’avoir pas pu se défendre comme elle aurait du un peu plus tôt. Et elle resta allongée jusqu'à ce que le jour vienne lui caresser ses traits. Une violente quinte de toux qui lui arracha la gorge la sortit définitivement de sa torpeur. Elle ouvrit à peine les yeux pour constater qu'une brume s'était levée autour d’elle. Elle ricana en refermant les yeux, grimaçant sous les virulentes démangeaisons acides que lui procuraient chaque inspiration. Pris d'un soudain éclair de lucidité, elle se redressa d'un bond. A en juger par la morne lumière qui perçait a travers le plafond de nuages, elle était restée un moment allongée dans la poussière. Elle se sentait étrangement calme, comme si elle avait exsudé tout le chaos de cet accès de rage, comme si elle l'avait discipliné.
Elle eut un frisson et tourna lentement son regard vers son bras droit. L'arme serrée dans sa main était désormais nimbée de flammes fines et crépitantes, d'un ocre presque doré, qui cascadaient de son épaule, ourlaient sur les muscles fins de son bras pour venir caresser presque sensuellement le fil son épée. Elle s’ébroua la tête pour reprendre ses esprits et essayer de faire face au mieux à la situation qui était la sienne. Récupérer tout ce que les brigands n’avaient voulu d’elle et déposer son maigre butin dans sa besace. Elle se hissa sur sa monture ressentant pour la première fois les maux que les coups assenés par les deux hommes avaient laissés sur son corps. Elle arriva à Autun épuisée, muscles endoloris, sans parler de son ventre qui lui semblait-il se déchirait à nouveau… Le fameux coup de pied avait il fait de nouveau dégât sur cette plaie qui décidément ne se refermerait jamais… Trouver un lieu pour se laisser tomber et dormir, un ballot de paille, une écurie lui irait amplement pour l’heure. Mais elle se devait de prévenir quelques personnes avant de penser à se laisser aller dans ce dédale. Marie-Alice, Breccan, Vinou… Lui… Mais que pourraient-ils faire pour elle ? Rien… Ces messages seraient court et sans doute rassurant, de toute façon a quoi cela pouvait il bien servir de les inquiétés, la plus part était sur les routes et de sa Suzeraine elle n’était plus qu’a vingt lieues…
Un simple : J’ai reçu une jolie rouste cette nuit par deux hommes… Pas d’inquiétude je m’en relèverais. A très vite Ewa. Et peut être un ‘je pense tendrement à vous’ pour lui…

Elle se laissa tomber en arrière dans la paille fraiche que les palefreniers venaient de mettre pour son cheval, les missives étaient parties, la jeune femme pouvait enfin s’abandonner dans l’écurie de la ville ne demandant pas son reste. Mais ce fut à ce moment qu’un pigeon arriva à son intention, bestiole maligne qui savait toujours où trouver son destinataire… Une réponse de Marie à son précédent courrier… Elle n’avait pas la force de le lire pour l’heure, elle le posa contre son cœur, sa dextre bien à plat dessus comme si elle avait peur qu’il ne s’échappe par l’intermédiaire d’une bourrasque de vent imaginaire vu qu’elle était encerclée par des planches de bois. Elle remonta de sa senestre sa cape azur à la Licorne qui n’avait pas souffert des malotrus qui l’avait violentée pendant la nuit. Elle ferma les yeux sachant d’avance que ce sommeil serait vide de tout et sans doute pas réparateur, mais elle n’en pouvait plus… Elle voulait et avait besoin de repos.

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Ewaele
[Autun… Sémur via la Franche Comté…]

Elle se réveilla groggy, fatiguée et courbaturée… Elle releva lentement ses cheveux en haut chignon, découvrant sa nuque et frotta son visage de ses mains… Elle grimaça et vit une goutte de sang sur un de ses doigts. Elle s’enquit d’un miroir dans sa besace pour voir son reflet et se rendre compte que le côté gauche était salement amoché… Pommette tuméfiée, œil bleui et lèvre coupée… Rien de très grave, tout cela disparaitrait avec le temps. Il lui faudrait aussi voir comment se portait la cicatrice sur son ventre, elle avait reçu un ultime coup de pied dessus… Hématome ou ecchymose, un point qui avait sauté, rien d’impressionnant pour la rouquine, des petits bobos mais son corps était meurtri et elle n’avait pas grand-chose sous la main pour arranger son état.

Un homme entra dans l’écurie, brun, le visage à moitié dissimulé derrière un foulard, son regard parlait pour lui. Deux yeux d'un gris anthracite dont les nuances n'avaient rien à envier au ciel tourmenté au-dessus d'eux, très vifs et brillants. Une chevelure sombre étonnamment longue qui ondulait dans le courant d’air cisaillant. Sa stature et la musculature fuselée qu'on devinait sous ses atours élimés avaient quelque chose de... martial. Mais sa grande silhouette n'était pas roide, plutôt aux aguets, prête à agir lestement et rapidement en cas de danger. Le regard de la rouquine accrocha un instant le fourreau contre lequel reposaient ses longs doigts...Une épée longue dont la facture de la garde lui était étrangère.

Les sourcils orangés d'Ewa s'incurvèrent légèrement mais elle préféra laisser pendre sa lame le long de son flanc plutôt que de manifester des intentions agressives au premier contact. Il était impossible de savoir d’où il venait et ses intentions, bien que l'homme eut les traits durs et sombres de ces âmes tourmentées. Elle ne voulait pas risquer un incident diplomatique. Il enfouit une main dans une sacoche qui chevauchait le dos de son équidé et il s’approcha d’elle doucement sans un mot. Il vint déposer un onguent sur le côté gauche de son visage toujours aussi silencieux, nulle manifestation ne pouvait se lire sur ses traits et la rousse, n’osant dire ou faire quoi que cela soit, resta stoïque, voire démunie après ce qu’elle avait vécu la nuit passée. Sans une seule parole il lui donna la pommade et partit comme il était venu. Elle se laissa tomber sur un ballot de paille, interdite de ce moment hors du temps qu’elle venait de vivre. Puis, réalisant qu’il passait et qu’elle avait encore de la route devant elle, se prépara et se hissa tant bien que mal pour rallier Sémur.

Elle avait continué sa route perdue dans ses pensées, se souvenant de ce que son père lui avait conté sur le jour où ils avaient fuient lui et sa mère son village natale : « Il était un jeune guerrier, marchait d'un pas lourd sur le manteau de neige, avançant parmi les tentes en ruines de son camp natal. Des flammes venaient miroiter dans le ciel ténébreux de la nuit et des cris résonnaient dans le lointain. Tout n'était que désolation, décombres et vestiges d'un autre temps. Des cadavres aux visages déformés par la terreur reposaient sur le sol, le corps transpercé par il ne savait quelle arme meurtrière et destructrice : ces cadavres étaient ceux de son peuple... Au détour de l'une de ces maisons de fortune, la "grand place" où se dressait le feu de joie dont la lumière flamboyante miroitait sur les tentes alentours et où le cœur des villageois venait battre à la mesure des rires des enfants et des instruments de musique dans une profonde liesse, c’était révélé à lui. C'était bien la première fois où il était témoin du fait que le cœur du village, le symbole de leur clan et de leur ardeur, était consumé, dégageant une fumée noirâtre et âcre! Et un détachement de guerriers au visage grossier et au sourire cruel profanait ce lieu si cher à son cœur. L'un d'eux, plus massif que ses comparses, dressait fièrement la tête de son ami, et la bonhomie qui caractérisait le mieux le puissant guerrier n'était plus que souvenir. Ce village qu'il s'était juré de protéger n'était plus qu'un vestige, ses villageois n'étaient plus que poussière. Il les avait trahis, abandonnés... Il était tombé à genoux et avait poussé un hurlement de rage et de tristesse, longue complainte qui se transforma en un rugissement effroyable. Et soudain, le sol se déroba sous ses pieds et son cœur s’était soulevé. » Elle ouvrit les yeux et se redressa, le vent hurlant à ses oreilles et giflant son visage gelé. La bête sur laquelle elle se tenait, galopait à une allure vertigineuse. Ewaële resserra les cuisses et enserra le cou de sa monture. Le soleil hivernal se reflétait sur la robe de son cheval et l'aveuglait, rendant cette situation insupportable. Elle était dans la plus profonde confusion, complètement désorientée… Elle avait continué sa route sans réfléchir, ne cherchant même pas à voir ses amis et se dirigeant directement vers cette frontière, vers cette route qu’elle s’était refusée à faire quelques jours plutôt et qui maintenant l’attirait sans qu’elle en comprenne la véritable raison.


[Saint-Claude]

Elle était là, assisse au pied d’un arbre, son dos appuyé contre, essayant d’épouser ses rugosités au plus prêt pour se protéger du vent qui, une nouvelle nuit encore; allait souffler. Elle n’avait pas envie de retrouver la chaleur d’une taverne où sans nul doute un foyer brûlerait sous la chaleur de flammes dansantes… Mais elle s’essoufflait et n’avait plus envie de cela, elle regrettait les derniers jours passés, elle ne savait plus trop quoi penser. Elle avait fait demi-tour et s'était faite brigander, avait des bleus au cœur, au corps et à l’âme, mais s’était interdite de s’écouter et avait reprit les routes malgré tout pour se rapprocher autant qu’elle le pouvait, mais jamais à les rattraper… Elle était là dans l’obscurité enveloppante de la Franche Comté, n’ayant prévenu personne et n’en faisant qu’à sa tête.

Elle tenait en sa main une plume et avait posé un vélin sur sa besace pour prendre appui, mais les mots ne venaient pas. Elle avait beau essayé de regrouper ses esprits rien ne venait comme elle aurait désiré, le blanc… Le vide! S’excuser mais de quoi? D’être femme, d’être rousse, d’être honnête… Non cela on ne pouvait pas lui enlever… Elle pouvait comprendre beaucoup de choses mais pas les silences. Après avoir passé la nuit là, elle laissa sa plume gratter le parchemin ne sachant même pas si sa buse ferait un vol pour la Suisse ou pas.


Citation:
*Il est des matins...
Où un air de douceur vient frôler mes pensées nostalgiques, une musique toujours... L'écouter sans cesse...Encore et encore pour prolonger le temps qui semble s'être arrêté...

Il est des matins,
Où on se laisse à croire que l'amour n'a pas de limite, n'a pas de frontière, n'a pas de raison... O raison qui prime sur le cœur, que nous fais-tu là...

Il est des matins,
Où nos pensées naviguent encore sur les flots de notre passion... Brûlante, enivrante comme un parfum de liberté qui s'était toute introduite en notre être fatigué...

Il est des matins,
Où je me surprends à vouloir redevenir une petite fille, juste pour avoir l'insouciance, la pensée galopante vers des jeux de marelle, de cache-cache...

Il est des matins,
Où cette douceur revenant, laissant passer l'orage, la cruauté d'une absence, la dureté des mots, l'oubli des rires enfantins... Ce mélange qui fait que la vie, j'aimerais y croire encore...

Il est des matins,
Où la pensée, la raison, la réalité reprend le dessus à se dire que l'amour se prend, se donne, se partage, se respecte... Se danse dans de folles farandoles du départ et du revenir…

Il est des matins,
Où la simplicité de mes mots n'enlève en rien la sincérité, si chère à mes valeurs, où j'ai semé des petits cailloux sur un chemin, pour ne pas se perdre... Ou mieux se retrouver…

Il est des matins,
Où les calèches viennent et repartent, où j'aimerais encore entendre le cocher crier, me rappelant que je suis encore dans cette histoire sans fin...


Elle ne prit même pas la peine de signer, roula le tout et le scella, seule marque que la rouquine laissait comme trace, peut être aussi la légère odeur de son parfum si typique… Fruits d’été et miel.


*Texte écrit pour ljd Pierrig disparu le 3 juillet 2009
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Ewaele
[Retour en royaume françoys… Ouvrir les yeux!]

Du balcon de marbre, Ewaele contemplait les étoiles, l’estomac serré dans une angoisse grandissante. Elle se revoyait lors de la soirée en taverne avec Milo, l’affreux comme elle l’appelait. Il avait rencontré Marie-Alice et ils avaient parlé d’elle, d’eux…

- Ewa, il est tard, tu devrais peut être aller te coucher!

La jeune femme glissa un regard furtif au grand miroir dont les écailles d’onyx étaient tout juste éclairées par la pâleur d’une lune brumeuse. Elle voyait le reflet du jeune homme face à elle comme s’il pouvait être là et lui parler. Tout droit sorti de son imagination il était venu continuer la conversation entamé un peu plus tôt… Pourquoi lui?

- Il ne viendra pas, il ne viendra plus Milo…

C’était prononcé d’un souffle tremblant, du bout des lèvres. L’espace d’un instant ses yeux quittèrent les reliefs laiteux des nuages pour se poser sur ce miroir avec en reflet une image tronquée. Elle avait appuyé ses coudes sur la balustrade, le front posé sur ses mains jointes comme une muette prière, la cascade de ses cheveux déployée sur ses bras, sur le marbre comme un fluide figé dans sa course. Elle ne ressentait même plus le froid de cette nuit en Bourgogne.

- Et quand bien même il reviendrait cela changerait quoi hein?

Un sanglot lui répondit à travers le rideau de la chevelure rousse. Elle crut entendre comme par magie l’homme pousser un soupir caverneux, cette dernière bondit, l’air ahuri, et tourna sur son imaginaire reflet un visage sillonné de larmes

- Oh la rouquine, ressaisis-toi! Gronda t-il. L’aimes-tu?

- Je veux encore y croire. Murmura-t-elle en baissant les yeux.

- Cesse donc de te morfondre, cela rendra ton attente que plus insupportable…Et ne changera rien à la situation. Il ne reviendra sans doute plus… Il te faut tourner une page et tu le sais, c’est cela qui te rend ainsi, le fait de faire face à la vérité.


La jeune femme hocha la tête et ravala ses sanglots puis disparut dans la pénombre de sa chambre, à peine éclairée de quelques chandelles à la lueur vacillante. Elle revint et le reflet s’était envolé. Elle se mit à traverser des souvenirs, des images tissées du passé et du vécu de son défunt père. Elle l’avait vu imprégner les sensations de joie, d’amour, d’amitié… Mais aussi ressentir les trahisons les plus odieuses, la douleur de l’échec, de la séparation, vivre et revivre les tourments d’une vie heureuse détruite par l’avidité de pouvoir et les calculs machiavéliques d’autrui.

Elle revint se placer face au miroir pour voir son reflet, tendit une main tremblante vers l'arcade commotionnée et l’œil bleui, la pommette entaillée, frôla du bout des doigts les plaies encore luisantes de sang aggloméré sur ses lèvres, son menton... La jeune femme se regardait mais aucun mot ne daignât franchir la barrière de sa bouche... Trop de choses, il lui fallait faire le tri. Passé et présent s'entrechoquaient dans son esprit, déroulant leurs lots d'enjeux, d'appréhension, de sentiments contradictoires... L'éprouvant rituel, exhumant des souvenirs et des espoirs qu'elle croyait morts, perdus, lui revint en mémoire, agitant son corps d'un tremblement d'émotion. L'eau verte de son regard s'agitait des méandres d'un trouble indicible fait d'espérances fébriles et d'angoisses tenaces... Elle posa le bout de ses doigts sur ses paupières closes et brûlantes, la mâchoire serrée alors que l'image du visage altier qu'elle aimait tant lui apparaissait, taché de sang, les yeux sinoples instillés d'une rage meurtrière et incontrôlée, ses lèvres si douces étirées dans un sourire carnassier et impitoyable. Une telle vision lui arracha un gémissement douloureux alors qu'elle s'asseyait pour reprendre ses esprits... L'échine courbée comme dans l'attente d'un châtiment divin, d'une juste punition pour les actes de son passé. La Comtesse sentit tout le désarroi qui l'habitait, elle ressentit au plus profond d'elle la peur qu'elle avait de son propre regard, mêlée aux souvenir cruels de la perte dans un chaos qui lui chavira l'âme.

Tout au long de leur relation, ils avaient appris à développer ce lien étrange et fusionnel qu'ils avaient pressenti dès leur première rencontre. Leur amour leur donnait une sensibilité unique, une empathie puissante et inexpliquée qui leur permettait de se comprendre et de connaître l'autre, jusque dans l'intangible, l'immatériel... Là où partager avec l'être aimé n'était plus que de l'ordre du sensitif...Un échange, un dialogue faits de regards et de ressentis tant charnels que spirituels. D'aucun auraient pu dire qu'un tel amour, une telle symbiotique, pouvait exister… C'est cette osmose qui lui avait permis de sentir l'ombre en son aimé, depuis leur dernière entrevue. De voir les palpitations étouffées mais bien présentes de ce spectre qui était en lui, qui faisait partie de son âme et qu'il semblait rejeter avec tant de force parfois... Maintenant elle comprenait.

Derrière son front blême, ses yeux clos, d'autres images s'imposèrent doucement, éclipsant celles qui venaient tout peine d’arriver... C'était là tous les souvenirs de sa vie, amalgame de ce que son père avait pu lui en raconter, de ce qu'elle en avait imaginé, de ce dont elle se souvenait. Elle se revit petite, entourée d'amour, la présence douce d'un père aimant, sa force rassurante dans une vie qui naissait et s'épanouissait comme s'ouvre la corolle du lys lorsque la lumière l'abreuve, lorsque ses racines se déploient et s'ancrent dans la terre. Elle revit les moments de joie partagée au sein d'une famille unie, du moins le croyait-elle. Les tâtonnements, l'ancrage de valeurs si belles. Et puis...Le Chaos... Tout s'était écroulé... Ce berceau d'amour et de lumière dans lequel elle aurait dû s'épanouir avait chaviré... Posant sur ses épaules le premiers des fardeaux qu'elle devait porter avec courage et abnégation. Laissant un vide si béant qu'il avait fallu dresser des boucliers pour ne pas se laisser happer, se réfugier derrière la colère, se gainer de pierre, murer son cœur. Comment elle avait pu vivre cela? Ce pilier manquant qui rendait son âme branlante, l'avidité d'un amour et d'une présence qui lui manquaient comme si elle les avait toujours connus! S'agripper aux rêves, aux quelques repères qu'il lui restait, croire encore, tenter de subsister pour ne pas perdre la raison et l'amour de la vie. L’amour d’une mère qui la rejetait, qui l’ignorait, pour qui elle était transparente. Elle n’avait jamais compris pourquoi, mais en avait souffert en silence, se rattachant à la seule présence qui pouvait la réconforter, la seule personne à qui elle aurait tout donné : Son père.

Elle redressa doucement la tête, ses mèches rousses collant sur son visage tiré et baigné de larmes. Suite à leur première rencontre et les quelques rares discussions qui suivirent sur les intrigues politiques du Limousin, ils avaient préféré évoquer ses souvenirs d’enfance. Elle se souvenait lui avoir conté comment dans leur sillage les barbares avaient semé la mort et la destruction, le point d'orgue de leurs horribles exactions, sans honneur et sans pitié, était le sanglant massacre de son clan en l'incendiant. Puis la fuite et tout le reste, souvenirs de son père dont elle n’avait aucune image en mémoire. Et Nico avait fait chemin en son cœur, balayant ses peurs, apaisant ses craintes, prenant sa main dans la sienne, devenant ce pilier qui avait disparu et qui était unique. Comment après avoir déjà perdu son père arriverait-elle à effacer cet homme? Elle resterait sans doute la seule à connaître les raisons de ce retrait, de cette douleur, des fantômes qui habiteraient toujours leurs mémoires...Et la seule à pouvoir encore le comprendre même dans la mort si c’était son choix.

Ewaële se leva et fit un pas vers le miroir, sa silhouette accablée de douleur. Sa voix s'éleva, brisant le silence pensant de la pièce. Une voix tremblante d'émotion, mais douce... Et assurée… Elle se rapprocha encore, tendit une main presque timide vers lui, voyant maintenant son reflet dans son miroir, comme par peur qu'il ne se brise sans ce contact.


- Mon amour je... Sa gorge s'étrangla dans un sanglot désemparé et elle noua soudain ses bras à sa propre taille…

- Ooh, Nico... sans doute n'existe-t-il pas de fondements, d'excuses à nos actes... Mais tout le pardon que je pourrais t'accorder n'effacera jamais la souffrance de ce que nous avons enduré. Ce châtiment, ce dédain que tu attends de moi, tu te l'infliges déjà à toi-même. Je ne veux pas plonger avec toi. Même avec tout mon amour, toute ma compassion, je ne peux effacer ce qui nous est arrivé. Je souffre autant que toi de tout cela et c’est toi que j’aurais aimé avoir à mes côtés… On ne peut justifier l'injustifiable, mon ange... Mais on peut essayer de le comprendre. Je sais comme toi quel néant apporte l'absence des êtres aimés, avec quelle force du désespoir on peut s'acharner à protéger le peu qu'il nous reste, à poursuivre des Chimères qui... Nous rappellent un peu la chaleur d'antan...

Puis elle se détourna de ce reflet qui n’existait que dans sa tête. Elle s'appuya sur la balustrade, les yeux perdus dans le firmament étoilé comme pour échapper à la vision qu'elle avait eu de lui, perdant tout contrôle dans une rage désemparée. Milo avait raison et avec lui, Marie… Il fallait qu’elle vive et qu’elle arrête de regarder en arrière. Même pour lui!
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Ewaele
[Lyon… Un départ imprévu!]

Trop longtemps cela faisait trop longtemps… Des nouvelles, mais rien qui ne pouvait la rassurer. Elle se rongeait les sangs, ne vivait plus, était devenue l’ombre d’elle-même, ne voulant même plus voir les personnes qui l’avaient si bien accueillie en cette capitale. Sa tête et son cœur étaient tournés vers la Provence et pour cause. Combien d’hommes et de femmes qu’elle connaissait se trouvaient là bas, combien y laisseraient un morceau d’eux ou qui sait leur vie. Elle souffrait et n’arrivait pas à en trouver la cause, se retranchant derrière des faux semblants pour ne pas s’avouer les choses, pour ne pas faire face à ce qu’elle n’avait pas osé faire pour respecter son serment au-delà de tout. Mais elle n’arrivait plus à se regarder en face, car quand bien même elle ne pouvait prendre part à ce qu’il se passait, elle aurait pu être à leur côté et apporter un peu de soutien et peut-être plus en cas de besoin. Et, comme à son habitude, défiant les futurs dangers en cette nuit chaotique elle prit une décision ferme et définitive… Partir!

Les correspondances reçues la veille l’avait faite hésiter que cela soit Muad, Lenance ou Grimoald, ils essayaient tous de la rassurer mais cela ne suffisait plus, elle devait constater avant qu’il ne soit trop tard, du moins c’était ses craintes et ce qui la poussa à préparer un minimum d’affaires en prenant un hôtel particulier en Lyon pour laisser le reste et voyager léger. Elle irait sur les routes, seule et si elle devait encore manger la poussière ou y laisser la vie, c’était que cela était son destin. Elle ne voulait plus réfléchir, ne pas savoir et être dans l’ignorance attendant le retour de sa buse qui lui annoncerait sans nul doute un jour qu’une de ses connaissances était morte au combat. Galoper, sentir le vent s’engouffrer à nouveau dans ses cheveux, fouetter son visage et venir insidieux glisser sous ses vêtements pour la faire frissonner, ressentir ce chaud-froid d’une course endiablée en plein hiver, se sentir vivre en courant vers la mort.

Le visage congestionné de remords de la Comtesse, la détresse inconsolable qu’on pouvait lire dans le tumulte du regard vert, ne trouveraient pas de réponse avant d’avoir rejoint ceux qu’elle avait laissés partir sans se retourner. Si quelque démon de la vengeance, les appels des ancêtres, la haine née de l’inconcevable horreur dont elle avait été victime avaient peut être empêché qu’elle réalise l’abomination de ses actes sur l’instant…C’était une femme brisée, perpétuellement hantée par le remords et le dégoût d’elle-même. L’ombre qu’elle avait senti en elle dès les premiers instants, qui parfois rehaussait tant son authenticité, sa touchante humanité, n’était pas tant le sceau indélébile d’un douloureux passé mais celui qu’on appose à ceux qui n’ont rien pu faire pour empêcher cela. Si Ewa n’avait pu se résoudre à s’ôter la vie pour se punir, elle avait choisi un châtiment bien plus douloureux encore : celui d’affronter chaque jour la lourde vérité. Là où la mort aurait pu la soustraire à ce tribut, elle avait choisi d’être inlassablement confrontée aux fantômes et à sa contrition, à un tel point qu’elle s’estimait indigne d’être heureuse et d’elle-même dressait des barrières toujours plus hautes, plus étroites et infranchissables. La rouquine fut saisie d’un frisson en comprenant la dualité des sentiments qu’elle ressentait depuis le début quant à ce qu’il se déroulait sous ses yeux, en sa tête et en son coeur.

Elle eut un regard douloureux pour ces missives qu’elle avait ressorties alors qu’elle faisait une halte aux frontières du Lyonnais. Ce regard qui désormais n’osait plus les lire. Après une si longue errance, tant d’horreurs vécues, tant de tourments, cette femme éprouvée par ses chimères et ses ombres ne méritait-elle pas le repos et la paix? Cette lumière en elle, cette noblesse teintée de mélancolie, cet amour de la justice ne pouvaient être des illusions. Elle le savait au plus profond de son être. Elle ferma les yeux. Pour fuir ou pour mieux s’imprégner de certains mots, de ses souvenirs, nul n’aurait pu le dire. Elle écouta les rêves perdus, le dédain et les trahisons, le poids de la destinée d’un pays, d’une lignée, d’une magie antique pesant sur ses épaules. Elle serait irrémédiablement associée à cela, comme les aspérités, les défauts, les étranges irrégularités qui marquent parfois les œuvres de la nature, qui fascinent et effraient mais qui restent indissociables de leur support, constituent une part de leur identité.


« L’âme d’un homme se forge par les faits de lames mais aussi ceux du cœur. » murmura-t-elle. Il était temps d’offrir une autre chance à sa vie. Elle tortilla le cordon qu’elle avait autour du cou avec comme pendentif une simple pièce trouée qu’elle avait récupéré la veille par un porteur particulier et qui l’emportait à nouveau vers le Sud. Elle reprit sa route.
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Ewaele
[Sur les routes…]

La jeune femme de noir vêtu avait observé l'air de rien les deux hommes et prêté une grande attention à leur conversation. Elle avait quitté Lyon depuis quelques jours déjà pour rallier la Provence dans le but d'avancer discrètement son affaire. Mais elle ne s'y était pas rendue directement. Elle avait trainé dans quelques tavernes parmi les plus douteuses de Montélimar, en quête de rumeurs, de renseignements qu'elle cherchait sur ce qu’il se passait de l’autre côté de la frontière du Lyonnais. De fait, sa route avait croisé un barde lorsqu'elle avait passé le seuil d'une auberge, ses traits et sa longue chevelure dissimulés sous une capuche sombre. Pour autant, les propos du personnage, installé avec son comparse à une table, avaient éveillé son attention. Sans en rien laisser paraitre, accoudée au comptoir, tournant le dos à l'individu, elle avait écouté l'homme narrer une légende à l'auditoire captivé: l'histoire d’un nomade exilé, devenu forgeron, de ce prince guerrier déchu qui menait une existence d'errance et vivait d'expédients, forgeant des armes révélant un talent d'exception en devenir. Ce récit eut un écho dans l'âme de la rousse. Le barde s'était tu, chacun était retourné à ses conversations et l’itinérante était restée en alerte. Lorsque le ménestrel s'était tourné vers son comparse à la peau d'ébène et lui avait murmuré "d'ailleurs je dois les avertir qu'ils sont en danger, je dois rallier leur dernier lieu de campement au plus vite", elle avait pris sa décision en son fort intérieur. Dès que les deux hommes quittèrent l'établissement, elle régla son dû à l'aubergiste, sortit quelques minutes après eux et se dirigea vers l'orée des bois pour rejoindre sa monture.

La pluie battante s'abattait sur la Boesnière. Sa cape de licorneuse pesait sur ses épaules alors qu'elle ordonnait à son cheval d'avancer afin de tracer toujours plus vite, toujours plus loin. Elle progressait donc, l'échine courbée face au vent pour rejoindre le campement des armées françoyses, loin derrière les collines. Elle surveillait le ciel à la recherche du moindre mouvement d’oiseau qui pourrait lui donner des nouvelles mais depuis deux jours plus rien, même pas un porteur… Sa buse tournoyait au dessus d’elle, poussant des cris stridents comme si elle lui disait qu’elle ne voyait rien venir elle non plus, comme si elle se ralliait à sa cause, à ses doutes, à ses craintes. Une voix résonnait dans le crâne d’Ewa d'une manière proprement inconnue pour elle. La Comtesse aurait voulu la chasser mais elle avait également quelque chose d'envoûtant. La voix se fraya un passage jusqu'au plus profond de son être, il n'était désormais plus question de l'ignorer. Ses membres endoloris ne semblaient plus exécuter le moindre mouvement. Ils la clouaient sur place, livrée à son destin. Un destin qui, apparemment, passait par une revisite de son passé. Son cœur semblait vouloir déchirer et sortir de son poitrail. Des souvenirs immondes jaillirent du plus profond de son âme. Des actes immondes, des guerres, des femmes violées, torturées, des trahisons, des parricides, l'exécution d'êtres chers. Ses anciens souvenirs presque oubliés déboulaient depuis son âme à la porte de son esprit. Des champs de batailles, des corps jonchant le sol, la désolation, le sang. Un bourbier sans nom et des geôles glaciales, spartiates, encore plus mortelles que la blessure qui avait faillit lui retirer la vie. Ses hommes, leurs mains, le dégout d’être une femme soumise à leur force, à leur abject besoin de dominer de la plus vile manière le morceau de chair qu’elle était en la possédant, en la blessant pour la seconde fois d’une manière plus marquée. Cette cicatrice là ne pourrait jamais se refermer, ils lui avaient volé ce qu’une femme a de plus précieux… Elle essuya d’une façon colérique avec son avant bras les larmes mélangées aux gouttes qui parsemaient son visage balayant une mèche rousse. Elle devait faire abstraction de tout ça, elle ne savait pas ce qu’elle trouverait, mais surtout ne devait pas partir perdante, négative. Aller de l’avant et garder la foi…


[Provence… Quand le ciel lui tombe sur la tête]

Ne plus s’arrêter, savoir. Aller au bout de ses forces, savoir. Ne plus penser, savoir. Ignorer les battements de son cœur et le magma qui tournicotait dans ses entrailles, nait de sa peur, ses angoisses… Pousser son cheval pour arriver plus vite. Elle se maudissait un peu plus à chacune des lieues effectuées, elle tremblait de froid mais pas seulement. Elle arriva juste pour voir ce qu’elle aurait aimé ne jamais voir… Elle arrêta son équidé d’un coup sec, hypnotisée par la vision de cet homme portant sur son épaule un petit corps inerte. Elle n’arrivait plus à bouger, son sang n’avait fait qu’un tour et ses muscles étaient tétanisés. Vision d’horreur, elle se sentit vide, venait de recevoir une gifle sans nom. Muad et le sale gosse. Tirer sur les rennes… Un pas. Essayer d’avaler sa salive… Un pas. Résister, résister, résister… Tous ses gestes allaient dorénavant se passer au ralenti comme si son cerveau était incapable de voir le temps défiler, de voir l’urgence. Le monde autour d’elle s’effondrait, ses murailles si durement construites recevaient l’assaut de cent trébuchets d’un coup. Elle se laissa glisser du dos de sa monture et les yeux hagards se dirigèrent là où le vassal de Marie s’était stoppé… Elle ne ressentait plus la fatigue, ni le poids des lieues chevauchées, elle ne ressentait plus rien d’ailleurs, que du vide à la place du cœur, elle se haïssait et avait peur de ce qu’elle allait découvrir… Fallait-il qu’elle tourne la tête pour être sure que ce petit corps qui jonchait le sol avec un médicastre au-dessus de lui était? Non son instinct le lui avait soufflé… Un simple murmure se faufila d’entre ses lèvres : ‘Grimoald’.

Ses yeux doucement remontèrent des bottes aux braies et au mantel de Marc… Elle était là, hésitant et d’un coup ce fut une furie rousse qui se jeta sur lui, les poings en avant martelant son poitrail de toutes ses forces, tapant sans cesse, pour lui faire mal, pour se faire mal, pour vider cette douleur qu’elle n’arrivait pas à refouler, elle mitraillait encore et encore ne faisant même plus attention à sa frappe…

Vous m’aviez promis, vous m’aviez promis…

Répétait-elle inlassablement en hurlant comme si le frapper n’avait pas suffit. Puis d’un coup le calme avant une nouvelle tempête? Elle se laissa tomber à genoux… Ses mains glissèrent le long du torse, des jambes de Lasteyrie, sa chute s’arrêta, en touchant le sol, elle se raccrocha à ses braies en baissant la tête… Sa main gauche lâcha le vêtement et se faufila autour de son cou… Elle se releva lentement, très lentement et plongea son regard émeraude dans le sien, lui mit la pièce trouée qu’elle avait autour du cou sous le nez et lâcha d’une voix frémissante… ‘Vous m’aviez promis!’
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--Muad_dib



"Vous m'aviez promis.... vous m'aviez promis...." Des mots qui résonnent dans la tête de Muad avec intensité. Oui oui il avait merdé bon... mais il n'était qu'un homme non? Depuis quand les hommes devaient ils tenir leur promesses? Elle qui avait été politicienne devait savoir ca... Il faut mentir pour faire plaisir! C'est une règle de base a toute bonne relation sociale. Alors oui bon... en l'occurrence son mensonge n'avait tenu que une semaine... en politique ils arrivaient a mentir pendant un mois de campagne tout entier!... mais l'exploit été deja remarquable pour Muad. Puis bon... l'gosse était pas mort... enfin pas tout a fait... enfin presque... Il fallait l'espérer quoi...
Il ne faisait plus trop le mariolle, ca c'était certain par contre. Puis sa jambe devait avoir sacrement honte vu comment elle rougissait. Mouarf! naaaan! ne pas rire! Ewa semblait effondrée... elle était effondrée d'ailleurs; littéralement; au pied de Muad. Bon bon bon... une solution! vite! Coup d'oeil discret vers le cheval... Mouais... la fuite semblait encore le plus simple. Mais il ne fallait pas partir comme un voleur tout de même. Il était en Provence pour "redorer" son blason et partir sans un mot n'irait certainement pas aider a cela. Soupire sur soupire... mais que faire nom de Dieu?
S'agenouillant devant Ewa il la regardé a travers le trou de la pièce qui se balançait devant son nez.


Je suis... désolé?

La phrase du siècle! elle était arrivée! Seigneur tout puissant bénit donc celui qui porte ta Tres Sainte parole pleine de sagesse. Bon... et puis quoi dire d'autre après tout... Déjà il était désolé alors que ce n'était pas entièrement sa faute. Il n'avait pas obligé le gosse a venir en première ligne et l'en dissuader n'aurait servit qu'a affermir un peu plus sa détermination de jeune étalon fougueux. Nouveau chapelet de soupires qui s'égraine dans un silence de mort.

Écoute Ewa... je ne pouvais rien faire. Le gosse était a mes cotés et en un éclair il s'est retrouvé coupé de moi et a terre. C'est deja un miracle que j'ai réussi a le ramener en vie au campement. J'ai promis oui, mais certaines promesses ne peuvent être tenues. Celle ci en faisait parti même si je l'ignorais au départ. Il est blessé a la jambe, il va s'en sortir je pense. Quoi qu'il en soit tout cela m'a fait comprendre que ma place n'est pas a essayé de défendre un idéal stupide et une guerre sans fondement. Aujourd'hui j'ai tué un enfant... Il aurait put être mon fils...

Brusque prise de conscience... Le gosse était tombé. Mais Muad y était pour quelque chose. Il aurait du le faire attacher dans un coin du campement pour qu'il ne participe pas a cet assaut des plus risqués. Mais a quoi bon?... De toute façon les dernières décisions de Muad n'avaient fait que l'enfoncer un peu plus dans des actions stupides et inconsidérées. Mais que foutait il diable en Provence alors que sa suzeraine le pressait depuis des semaines de venir la rejoindre?... Oui... oui... c'est ce qu'il fallait faire!
Pourquoi réfléchir plus? Il le voulait depuis des semaines! Se levant sans un mot il lanca un dernier "désolé" en direction d'Ewa puis se précipita sur son cheval pour foncer a bride rabattue vers Eymoutier et son calme. Oui voila... du calme. Une longue période de calme... Et les caves d'Eymoutier sont bien remplies...
Ewaele
[Etre ou ne pas être…]

Comment réagir elle ne le savait pas ou plus du moins, tout lui semblait si… Elle était dépassée par les évènements, comment pouvait-elle lui en vouloir à lui? Tout ça car elle lui avait demandé de surveiller le gosse? Elle savait pertinemment au fond d'elle que personne n’aurait rien pu faire et sans doute même pas elle dans la même situation que Marc. Comment pouvait-elle rejeter sa rancœur à la face de cet homme? Qui était- il réellement pour elle, pour qu’elle puisse se permettre de le juger de la sorte, pour l’incriminer de n’avoir rien fait? Etions-nous maitres du destin mais surtout des actes des autres? Elle savait que non, mais à ce moment là il avait été le bouc émissaire idéal. Quand elle l’entendit s’excuser elle ressentit une pointe glaciale la traverser. Décidément où se trouvait son cœur? En avait-elle un? Elle pencha la tête pour l’écouter et la question lui revint comme un message défilant devant les yeux. Qu’étaient-ils l’un pour l’autre? A part le fait d’avoir la même suzeraine, pouvaient-ils parler d’une amitié même naissante ou simplement d’une rencontre anodine, deux être liés par une vassalité de loin ou de près… Elle soupira, sachant qu’elle avait sans doute été trop loin et que ce qui allait suivre ne lui plairait pas, mais que faire maintenant? Stupide elle avait été, stupide face à lui elle resterait pour toujours et à jamais.

Agenouillés tous deux, elle aurait pu reprendre la parole, essayer de s’excuser, de lui faire comprendre ce qu’elle ressentait, la peur qu’elle avait eu, mais ses lèvres restaient scellées face à Muad. Seuls ses yeux auraient pu parler pour elle mais dans l’état présent des deux personnages, ni l’un ni l’autre n’étaient en état de faire la part des choses. Trop de sentiments mêlés les tenaillaient pour qu’ils puissent aller de l’avant comme deux adultes en d’autres circonstances l’auraient fait. Les dés étaient jetés, leur destin avait été lié par une promesse intenable et tout s’effondrait là maintenant dans le chaos de ce campement où les blessés et les morts maintenant arrivaient pour se faire soigner ou recevoir l’extrême onction… Lasse, elle était lasse, prendre sa main mais elle ne pouvait pas bouger, ses yeux auraient aimé lui dire regarde-moi, regarde mes prunelles, lis en moi… Je ne t’en veux pas, tu ne me devais rien, mais… Mais rien du tout, elle devait ravaler sa fierté et parler, parler pour ne pas laisser le mal s’insinuer là où il ne devait même pas être. Elle n’en eut pas le temps, elle le vit se relever et prendre la fuite impuissante. Elle le regarda s’éloigner penaude, vide, déchirée, un ultime ‘je suis désolé’ la glaça jusqu’aux os et elle s’effondra sur le sol, froid et humide…

Elle se laissa porter vers un ailleurs, celui qui ne pouvait que la réconforter en ces cas là et qu’elle ne connaissait pas pourtant, sauf à travers les récits de son père.

Le ressac des vagues se brisait sur les rochers aux arêtes dentelées, inlassablement. Flux... reflux... flux... reflux... La rouquine ne se lassait pas de contempler ce spectacle perpétuel. Elle prit le temps d'admirer d'un coup d'œil circulaire le paysage sauvage et immuable qui s'offrait à ses yeux, les hautes falaises qui barraient l'accès à cette plage magnifique, tels des remparts naturels, leur paroi abrupte interdisait toute tentative d'escalade et semblait propre à décourager toute intrusion... Le lieu idéal. La jeune femme se voyait retirer ses cuissardes, soulageant ainsi ses pieds chauffés par la longue marche qu'elle venait de faire, comme si passer d’une vie à des pensées lui avait demandé un effort surnaturel. Elle savoura la douce sensation du sable entre ses orteils et remonta ses braies comme un enfant qui s'apprête à patauger puis elle ôta sa cape et relâcha sa chevelure qu'elle avait retenue par un lien de cuir tressé. Le vent vint caresser sa peau et jouer avec ses cheveux tandis que le disque doré s'abîmait dans la mer... Elle écarta les bras comme mue par une irrépressible envie de tournoyer au gré de la brise sauvage et se mit à exécuter une danse envoûtante, portée par une musique qu’elle seule entendait, la musique enivrante de l'eau, de l'air, de la terre et du feu qui vivait dans l'astre solaire. Elle les sentait l'appeler irrésistiblement, prendre possession de son corps et de son esprit, alors que la pénombre descendait doucement sur le campement. Elle tournoyait doucement la tête en arrière, riant et criant, éperdue de vie jusqu'à en perdre haleine puis elle s'effondra sur le sable, secouée de spasmes presque incontrôlables et son regard se perdit dans la course affolée des nuages teintés d'encre qui s'amassaient dans le ciel. Retour à la réalité dure et amère. Elle se releva et se mit à scruter le lointain pour ne pas regarder ce qu’elle avait sous les yeux, quand les premières gouttes tièdes se mirent à tomber doucement sur son visage puis de plus en plus fort jusque à ne former qu'un rideau argenté et vivant qui voilait l'horizon. La moire du ciel se déchira bientôt de grandes zébrures blanches et lumineuses, exprimant la volonté d'entités immémoriales qui demandaient leur dû. Ewa reprit ses esprits en même temps que l'orage cessa.

Elle se dirigea vers la tente où l’enfant avait été conduit. Il était là gisant sur une couche de fortune le médicastre au dessus de lui finissant de lui administrer les derniers soins possibles pour l’heure. Acteur sans nul doute des maux qui venaient d’avoir lieu, pour lui, à cause de lui. Mais comment lui en vouloir, comment reprocher à ce petit être ce que des adultes ne maitrisaient même pas. Redresser le museau et s’avancer un peu plus pour venir auprès de lui… Lentement, très lentement regarder son teint blafard et lever une main pour venir caresser une joue, passer dans ses cheveux, jouer avec une mèche, espérant seulement qu’il ouvrirait les yeux, un espoir de le voir toute peine sourire, pour elle, à elle… Un espoir, le seul qui pour le moment aurait pu la soulager, la faire rebondir. Puis venir entrelacer ses doigts aux siens, ne les serrant pas trop pour ne pas lui faire mal, comme si dans sa position il pouvait ressentir quelque chose de plus douloureux que sa blessure. Mais ne sachant rien d’autre de ce qu’il se passait autour d’elle, toute son attention était reportée sur ce môme qui avait réussi à la faire sourire, à la mettre en émoi, un sale gosse qui avait su, elle, l’apprivoiser… Ironie du sort après ce qu’elle avait pu vivre, mais ironie douce en son cœur. Elle murmura son prénom maintes et maintes fois debout à ses côtés attendant, patiente comme jamais, un mouvement, un battement de cil ou l’ouverture de ses yeux…
‘Grimoald !’
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Grimoald
[Reviens à moi]


Blanc... Tout était blanc, beau... Oh oui ! Qu'il aimait ça, le sale môme ! Comme il trouvait ça jolie... Tout était calme, luxueux, voluptueux. Il souriait. Son âme avait quitté son corps, et elle s'était élevée dans le ciel. Il voyait, comme un spectre qui pourrait jouer dans les airs, comme un oiseau. Plus il prenait d'altitude, mieux il voyait l'ampleur de la bataille. Mais il montait, se dirigeant vers le soleil. En souriant... Il voyait les français, les Provençaux, eh puis les autres... Ceux qui n'étaient ni provençaux, ni français, ni vivants. Les morts, bien sur... Et le sang.. le sang qui jouait avec la terre la rendant rouge.. Rouge sang. Mais il s'en moquait... Oui, il montait. Il montait vers le ciel, et il était content. Il savait ce qu'il l'attendait, il s'en doutait. Après toutes ces années, il allait enfin voir ses parents. Avaient-ils changés? Papa était-il barbu, comme lorsqu'il ne se rasait pas de deux jours? Maman serait toujours aussi belle? Il nageait dans l'air, essayant de se diriger vers le nord... Mais cela était impossible. Il montait d'une trajectoire rectiligne vers le soleil, vers le ciel. Il ne pouvait pas faire autrement, et il le savait. A quoi bon avoir peur? S'il eut peur, il se serait débattu, refusant de monter... Mais là, il n'avait pas peur. Allez savoir pourquoi... Les gosses sont imprévisibles. Alors, dans tout ce blanc, il distingua des formes, des couleurs pâles. C'était des gens ! Des enfants, comme lui ! Des hommes, des femmes ! Il y était arrivé... Le royaume des immortels. C'est alors qu'il passa à côté d'un homme, un peu barbu, qu'il n'avait jamais vu.


« Dites, je cherche mes parents, vous les avez vu? »

L'homme ne marchait pas, il flottait, tout comme lui. Même si par habitude, il agitait ses jambes, ça ne lui servait à rien. Il s'amusait à faire des sauts dans le ciel, retombant sur le dos, sur la tête, mais en ne se faisant jamais mal. L'homme passa sans même détourner son regard. Peut être qu'il était devenu sourd, quand il était en bas. Il faut dire que ses cheveux grisonnants ne présageaient pas qu'il soit jeune. Mais qu'importe... Grimoald continua à marcher. Un frisson lui parcourut le corps quand il regarda sa jambe. Elle ne lui faisait pas mal, mais elle était pleine de sang. Étrange... Il ne la sentait plus, et lorsqu'il la touchait de son doigt, c'eût été comme s'il passait son doigt au travers d'une fine toile d'araignée. Il s'amusait de ça... La sensation était étrangement drôle. Mais, lorsqu'il releva la tête, il vit une grande femme, rousse. Il pensa en premier lieu à Ewaele, puis à Esyllt. Elle lui ressemblait. Cette femme souriait, mais il n'y avait aucune chaleur dans ses yeux. Il s'approcha et plissa légèrement les siens.

« Vous m'entendez? Qui êtes vous?
Tu me connais...
Ah bon? Je crois que vous faites erreur...
Je suis Morgwen, la mère d'Esyllt et d'Ellesya. »


Sans trop réfléchir, le jeune homme se baissa, s'inclinant respectueusement. Il avait toujours imaginé voir cette dame, d'ailleurs, dans ses rêves, il l'imaginait sur un grand cheval, galopant à travers champs. Alors qu'elle posa son doigt fin sur sa joue pour le faire relever, elle lui dit quelque chose d'étrange. Quelque chose qui le secoua intérieurement. Comment savait-elle..?

« Tu t'es bien battu, aujourd'hui.
Mais comment...
Maintenant, il va falloir redescendre. Tu as encore à faire en bas.
Non, je veux voir mes parents. »


Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait froncé les sourcils. Il était ici, alors maintenant, il voulait les voir. Ça ne servirait à rien de monter jusqu'ici, d'avoir fait tout ce chemin pour ne voir qu'un vieux sourd et une pair! Bon, d'accord, la rencontre avec la Duchesse avait été intéressante, et elle n'était d'ailleurs pas terminée. Il était quand même encore en train de lui parlait, et ils marchaient même à côté l'un de l'autre.... Comme lorsqu'il parlait à Ellesya. Elle lui manquait, et en plus, ici, il faisait froid. Il voulait simplement voir ses parents, et, ensuite, il voudrait peut être redescendre. Mais Morgwen n'était pas en train de l'emmener vers ses parents, il le savait. Elle voulait qu'il redescende, et lui ne voulait pas. Alors il essayait de ne plus avancer, mais il y avait quelque chose qui l'attirait, comme une pente trop abrupte que l'on ne peut grimper. Il se laissa donc aller à la vie, et, d'un coup, sa jambe lui refaisait mal, son corps avait une masse, et surtout, il sentait son cœur battre.

Comme s'il avait envi d'ouvrir les yeux le matin, il essaya de bouger son bras pour se les frotter. Il voulait regarder où il était. S'il le faut, les ennemis avaient pris son corps pour le torturer et le faire avouer quelque chose... Il paraît qu'ils avaient ça aux templiers... Il ouvrit un peu les yeux, ne sachant si c'était la nuit ou le jour, ne sachant où il était, ne sachant qui l'avait emmené ici. Il sentait bien qu'il était sur quelque chose de plus confortable que la terre, aussi imbibée de sang puisse-t-elle être. Il distingua alors des formes floues... Fallait-il appeler? Oui, il fallait appeler. Mais rien ne sortit de sa bouche, qu'un petit
« Mmmm ». C'est alors qu'il vit une silhouette rousse... Encore elle? Non, elle était restée en haut... Et un mot vint à son esprit, un nom...

« Sya... »
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Ewaele
[Sombre et sentimentale…]

L’atmosphère auprès du feu sous la tente était propice à un repli sur soi confortable, Ewaele avait toujours eu des rapports agréables avec cet élément. Elle se rappelait très bien les récits de son père sur les réunions du village dans sa petite enfance, autour d’un beau feu de joie, où l’Ancien racontait ses plus belles histoires, où les musiciens faisaient apprécier leurs talent avec voluptés, mais aussi où les jongleurs, bateleurs et autres gens du spectacle se mettaient en scène. Par la suite elle avait entendu des récits, autour de feux également, quand elle voyageait avec lui. Il tenait dans son sac bien des histoires de combats, de guerre, mais également d’amour et de vie. C’était à ses côtés que la jeune femme avait apprit le peu de choses qu’elle connaissait de ses origines.

Les paroles du médicastre à ses côtés la tirèrent brièvement de ses rêveries, la rouquine le voyait naviguer de corps en corps, accourant aux gémissements des uns et des autres, se précipitant à l’entrée de la tente dès que le battant se levait pour accueillir les blessés ou pire… Les morts. Elle n’avait pas réalisé que n’importe lequel de ses amis présents sur les champs de batailles pouvaient passer ses portes de tissus si légères à tout moment. Puis plus un bruit, plus un mot. Le silence régnait en maitre. Elle était juste lasse. Ses pensées naviguèrent vers un homme, qu’elle n’avait pas revu ni dont elle n'avait eu de nouvelles depuis des lunes. Que devenait-il, que faisait-il? Etait-il encore en vie? Le savoir disparu emplissait son cœur de souffrance. S’il était vivant, comment prendrait-il sa rencontre avec elle? Ses questions lui trottaient dans la tête comme une araignée tissant sa toile au fond d’un crâne. Un enchevêtrement de fils pour une multitude d’interrogations. C’en était trop pour la Comtesse qui éprouvait le besoin de sortir, de prendre l’air. Ce n’était pas tant le fait d’être immergée qui l’étouffait mais bien de ne pas savoir comment résoudre ces problématiques qui lui venaient tous les jours, qui ressassaient le passé comme on retourne un couteau dans une plaie. Ewa ne savait que penser. Elle se persuadait qu’il fallait qu’elle vive cette vie avec autant d’ardeur que possible.

Elle franchit la sortie de la tente… Puis replongea dans ses pensées. Les lames venaient se briser sur la roche en rythme régulier, en contrebas de la falaise. La Boesnière père désignait ce son comme les battements de cœur de l'océan venu se livrer aux hommes. Fixant l'horizon, elle se demanda si la mer pouvait vraiment être apprivoisée ou si elle restait aussi fugace et imprévisible que ses propres vents. Comme pour lui répondre, une brise légère se leva et vint la caresser, jouant avec ses cheveux et glissant dans son oreille des mots que nul autre ne pouvait comprendre en gaélique. Ewa releva la tête en fermant les yeux et se laissa ainsi bercer, respirant lentement et profondément. Puis, prise d'une soudaine inspiration, elle aurait aimé s'avancer au bord du précipice, et évaluer la chute…

La rousse se ferma alors totalement à ce qui l'entourait, concentrant son esprit sur ce qu'elle allait faire. Ses muscles fins saillirent sous sa peau et elle leva le regard vers le ciel. Une aura lumineuse l'entoura peu à peu tandis que deux courants d'air s'accolaient en face d’elle. Tout à coup, elle fit un bond rapide et imaginaire en direction du vide. Mais au lieu de tomber de la falaise elle disparut le temps d'une seconde. Elle tomba alors comme une pierre au sol.

‘Relève-toi’, gronda une voix dans sa tête… Elle se leva donc et retourna auprès de l’enfant, s’assit, jambes ramenées contre elle, les bras croisés sur ses genoux, le menton en appui sur ses avant bras, Ewa, les yeux fermés, presque en position fœtale vulnérable et retranchée en elle-même, bien que projetant une partie de son esprit sur la crête des vagues. Est-ce que tout n'était qu'éternel recommencement? Comme la danse incessante des vagues? L'avenir se dessinait pour elle comme ce tableau que la nature peignait et repeignait sans cesse sous ses yeux, à l'image de cette ligne d'horizon brumeuse et incertaine. Son cheminement lui apparaissant aussi mouvementé et tumultueux que la houle ondulante qui venait s'échouer à ses pieds. Le vent caressant et humide semblait lui chanter une douce mélopée. Berçant sa solitude, confident secret de ses doutes et de ses peines, il semblait la pousser à sortir de sa torpeur, veillant son instinct, ses sens.

La rouquine releva la tête puis son corps au moment même où l’image d’une flèche étrange vint se planter dans l'onde mouvante. Elle fit surface quelques instants plus tard... Le sale gosse avait parlé, elle n’avait pas rêvé, elle avait entendu un murmure, un son, une plainte? Elle se rapprocha de lui, prit à nouveau sa main, entrelaça leur doigts, se fit douce, protectrice au-dessus de ce petit être. Elle scruta son visage, elle n’avait pas pu imaginer, non c’était lui, ça ne pouvait être que lui. Alors son autre main vint câliner du bout des doigts ses joues blafardes et des mots naquirent sur ses lèvres, pour lui, rien que pour lui :


Grimoald, je t’en supplie, parle moi, dis-moi quelque chose, ô sale gosse de mon cœur, dis-moi que tu m’entends, que tu me vois, que tu sens mes mains. Je suis là… Plus rien ne peut t’arriver, Grim s’il te plait…

Et alors qu’elle était là, penchée au-dessus de lui, elle l’entendit… ‘Sya’. Elle ferma les yeux, comme prise de vertige, elle serra un peu plus ses petits doigts entre les siens, glissa le creux de sa main pour épouser sa joue, elle approcha son visage du sien, déposa un baiser du bout des lèvres sur son front et vint auprès de son oreille.

Hé sale gosse, c’est moi, Ewa, tu sais la rouquine…

Elle était émue et sa voix était d’une douceur inhabituelle, elle se rendit compte en relevant ses traits que les yeux de l’enfant étaient ouvert, un sourire délicat vint se loger sur sa bouche et plus un mot ne sortit, juste des regards entre lui et elle et l’attente… Lui laisser le temps et être forte pour eux deux.
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Virtuellevinou
[Là où je suis]

Entre ici et ailleurs ...

Elle avait une impression de légèreté telle une plume volant sur les ailes du vent. Elle se sentait bien, en sécurité, sereine et étrangement détachée de tout. Cela faisait un long moment déjà qu’elle n’avait plus eu cette impression de bien-être et ce calme qui s’emparait d’elle.

En fait, depuis qu’elle avait eu ses trois enfants et qu’elle avait choisi d’exercer certaines fonctions à différents niveaux et de s’engager pour son Royaume, elle ne l’avait plus réellement ressenti et là, à cet instant, elle était tous simplement bien.

Un sourire flottait sur les lèvres de la jeune femme, son regard azur profond était voilé et s’était éclairci, on aurait dit que la couleur en partait comme le dernier soupire qui s’échappe de la bouche d’un mourant. Son corps ne lui appartenait plus, il lui était devenu étranger, comme dédoublé.

La lumière autour et à ses côtés se faisait de plus en plus intense et attirante mais à aucun moment, elle n’en fut aveuglée. Au centre de celle-ci, un visage, puis un corps apparurent … Amaury … Le regard pétillant de joie, le visage toujours un peu enfantin, il lui faisait signe de s’approcher. La jeune femme n’eut qu’une envie, tendre le bras et attraper cette main qui s’offrait à nouveau à elle pour la saisir, se blottir contre sa chaleur, se perdre dans son innocence. Elle fit un pas main tendue, puis deux, au troisième, elle hésita, pencha légèrement la tête sur le côté, la silhouette disparu, elle laissa retomber la main le long de son corps.

Nulle peur ne s’empara d’elle, elle se contenta de regarder autour d’elle et ce qu’elle vit fit s’élargir encore son sourire. Un couple, d’un certain âge, se trouvait à présent face à elle. Ils se tenaient par la main, de ceux-ci se dégageait une quiétude et une béatitude que la jeune femme leur enviait presque. Les prunelles azurées de celle-ci et celles similaires de la grand-mère se fixèrent l’unes à l’autres. Il n’y avait pas de doute possible, l’une était bien la fille de l’autre. Un amour tout maternel filtrait au travers de la femme plus âgée.

L’attention de la jeune femme se porta sur l’homme dont la carrure en avait effrayé plus d’un. La chevelure geais, épaisse n’était pas sans rappeler la sienne. Les deux bouches souriantes étaient quasi identiques. Une lueur malicieuse faisait écho de part et d’autre. Là encore, aucun doute n’était possible, il s’agissait bien du père et de la fille.

Elle les regarda un long moment, son père, sa mère, les deux ensembles. Ils étaient si proches qu’une seul geste de sa part aurait suffit pour qu’elle se retrouve dans leur étreinte bienveillante et protectrice qu’elle avait déplorée depuis tant de temps. Pourtant, aucun d’eux ne fit ce geste, personne ne bougea. Lentement, le couple disparu.

Elle contempla à nouveau ce qui l’entourait. Elle marchait dans l’herbe, des fleurs poussaient ça et là, le chant d’un oiseau s’entendait au loin. Mais ce qui surpris le plus la jeune femme, ce fut d’entendre le bruissement de l’eau qui semblait s’échapper d’une source naturelle. D’un pas paisible, elle se dirigea vers l’origine de ce frémissement. Elle déboucha sur une clairière et s’arrêta aussi soudainement qu’elle s’était mise à marcher.

La surprise puis l’émotion à l’état pur passèrent sur son visage. Il se tenait allongé devant elle. Lorsqu’il releva la tête, ses boucles blondes indomptées et sauvages s’agitèrent dans un savant mélange d’un grand n’importe quoi. Ses yeux rayonnaient de joie de vivre, elle vit les fines rides qu’il avait au coin de ceux-ci, que le rire et la bonne humeur avaient creusées au fil du temps. Un son lipide et cristallin s’échappa de sa bouche perpétuellement enjouée, il riait. Son « grain de folie » était là, devant elle, son « Frère », Pierrig … Elle voulu s’approche de lui, lui courir dans les bras, le couvrir de tendre baisers mais il fit « non » de la tête, le visage soudain grave, dirigeant le bras sur sa droite à elle. Elle ne voulait pas se détourner de lui, elle voulait le suivre, rester à ses côtés, le retrouver comme avant mais une force invisible la poussa à se détourner légèrement.

La clairière, l’herbe, les fleurs et l’eau s’effacèrent pour laisser la place à deux visages, deux hommes. L’un était son « cœur », l’autre son « chevalier aimant et aimé ». Ils avaient été son présent, ils étaient son passé. Théo … Vonafred … Qui ? Quoi ? Quel serait son avenir ?

Trois frimousses prirent leur place. La chipie et malicieuse Matthéa, la sauvage et têtue Emma, le doux et curieux Audric … Ses enfants, leurs enfants … Ils étaient son présent et son avenir ainsi que … Elle posa la main sur son ventre arrondi.

Un éclair de douleur passa dans son regard. Lorsqu’elle leva la main pour la regarder, du sang coulait de celle-ci. Elle se souvenait, elle savait où elle était. Après avoir combattu des jours et des nuits, sans relâche, sans faillir, voyant tour à tour ses frères d’armes tomber les uns après les autres, seulement blessés ou parfois pire … morts, elle avait été touchée à son tour. Elle gisait dans l’herbe froide et humide de cette fin de nuit hivernale. Le vent glacé lui figeait les entrailles. La gorge sèche et douloureuse d’avoir passé une bonne partie de la nuit dans ce bourbier sans nom ne laissait échapper aucun son, aucun bruit.

Elle essaya de se mouvoir mais ses membres restaient inertes, refusant d’obéir à sa volonté, refusant d’aider cette vie qu’elle avait en elle, qu’elle portait en elle. Son souffle se fit plus court, la peur, la panique, l’effroi l’envahissaient petit à petit. Elle ne pouvait pas finir ici, elle ne pouvait se permettre de se laisser aller, elle ne pouvait pas fermer les yeux, non, elle ne pouvait pas, elle devait tenir pour eux, pour elle, pour ce petit être à venir. Des larmes silencieuses coulaient sur ses joues, ses lèvres se mirent à bouger, un faible murmure s’en échappait … Elle fredonnait.


[Berceuse pour un enfant à naitre]
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Ewaele
[Rouge serment]

Ewaele était entièrement rentrée dans son livre. Elle se laissait porter par les images que les mots faisaient naître en elle. Ewa se trouvait dans un passage épique où le héros affrontait le géant pour sauver la princesse. Rien de très original, mais cela la faisait toujours sourire car elle se rappelait clairement avoir refait ce morceau précis avec son amie Marie-Alice, quand elles étaient jeunes, elle dans le rôle du valeureux guerrier. Soupière sur la tête et bout de bois en guise d'épée, elle bataillait contre l'immense monstre, pour délivrer la pauvre beauté que la bête avait emprisonnée et qui était figurée par un long coussin. Ha quel bon souvenir c'était là! Sa concentration fut brisée par un bruit à l'extérieur. Elle ne comprit pas tout de suite de quoi il s'agissait, immergée comme elle l'était dans son passé, mais la répétition lui permis de comprendre qu'on avait dit son nom. La rousse marqua la ligne où elle en était de son doigt et leva doucement les yeux. Il était étonnant qu’on l'appelle ainsi par son prénom, et comme elle n'avait rencontré que peu de monde depuis son arrivée, qui pouvait bien l'interpeller de cette façon? Une fois ses yeux sur l'importun, elle vit un médicastre d'environ son âge, assez grand, avec les cheveux noirs. Il lui fit comprendre qu’elle devrait peut-être laisser le gosse se reposer, qu’il ne risquait plus rien, et qu’un peu d’air frais lui ferait reprendre une mine un peu plus colorée… Elle ferma son livre et le mit dans sa besace tout en s'éloignant.

La jeune femme marchait d'un pas lourd, avançant parmi les tentes du campement. Des flammes venaient miroiter dans le ciel ténébreux de la nuit et des cris résonnaient dans le lointain. Tout n'était que désolation, décombres et vestiges d'un autre temps. Des cadavres au visage déformé par la terreur reposaient sur le sol, les corps transpercés par elle ne savait quelle arme meurtrière et destructrice… Des combats violents avaient encore lieu plus loin, elle les entendait et s’avançait vers eux, comme attirée… Le vent hurlant à ses oreilles et giflant son visage gelé. Sa monture sur laquelle elle se tenait maintenant galopait à une allure vertigineuse. Ewa resserra les cuisses et enserra le cou de la bête. Les bruits des combats s’était arrêtés jetant la nuit dans un silence lourd, pesant… Elle calma la course de son équidé puis glissa de son dos, prit la longe dans une main et l’entraina dans ses pas peu rassurés. Elle marcha de longues heures au milieu des champs de batailles à la recherche de visages connus, elle avait du abandonner son cheval pour que les recherches soient plus aisées. Elle enjambait les corps, détournait le regard quand elle apercevait une silhouette qui aurait pu lui rappeler quelqu’un, s’en approchait presque à reculons et le cœur au bord des lèvres se rendant compte que le corps qui gisait au sol lui était inconnu, faisait demi-tour.

Tractée, irrésistiblement appelée... C'était avec une sensation des plus étranges qu’elle avançait, la nuit était noire, le fin croissant de lune ne parvenait pas à éclairer jusqu'aux profondeurs du lieu où elle se trouvait et où les combats avaient fait rage, laissant la part belle aux étoiles... Aussitôt, les pans brumeux d’un rêve se refermèrent autour d'elle, l'enveloppant dans un cocon immaculé, retenant sa chute dans l'obscurité. Elle était immobilisée, un quelque part entre deux temps, un instant suspendu au milieu de nulle part. Ewaele, à la fois consciente et dissoute, sentit son esprit migrer de plus en plus vite. Désemparée, intriguée, elle avança de nouveau, menée par un instinct vague. Elle savait pourquoi elle était là, confusément, elle savait que sa présence avait un motif. Elle ne chercha pas à retrouver ses esprits, cette sensation de flou, de marcher sur de l'ouate, était des plus plaisantes. Pourtant…

Une vive lumière l’éblouit et elle se tourna avant de porter sa main au dessus de son visage comme pour repérer quelque chose, mais rien ne se distingua. Une voix puissante résonna en elle, dans son esprit et dans son cœur aussi clairement que si ses oreilles entendaient. Ewa se serait laissée à trembler ou à s’évanouir si la voix ne lui avait pas ordonné autre chose. La lumière se dissipa et la jeune femme tomba sur ses genoux puis rampa difficilement jusqu'à ce corps. Comment son instinct avait-il pu être aussi puissant ? Comme si un sixième sens lui avait fait comprendre… Non ça ne pouvait… Elle arrêta sa progression et laissa sa tête toucher le sol se bouchant les oreilles elle se mit à crier un non, puissant et rauque… Elle s’aida de ses mains pour continuer, elle devait être sure, elle devait… L’évanescente image de soi même quittant le réel… Impalpable. On ne pouvait pas retranscrire la sensation d’envol qui s’emparait de nous, comme un vent fort prend un petit oiseau dans ses griffes. Sa cape glissait sur sa peau blanche, à la manière de l’eau claire et lentement, elle s’enfonçait dans un dédale, plus profondément à chaque minute passée. Parce qu’elle croyait qu’il suffisait de crier pour se faire entendre? Elle avait beau rouler ses yeux dans leur puits à sec, elle n’avait pas peur! Elle avait dedans l’araignée bleue des glaçons de son cœur, elle n’avait pas plus de cœur que les ciseaux de ses yeux, pendant que son cri tranchait l’air au lancer de son poing… Elle n’avait pas peur! Un trou de rage, et tous ces éclats. Déchirure brutale. Elle avait la poitrine en orage, les veines de son cou comme un taureau d’arènes. Mais elle n’était pas condamnée si ce n’était à elle-même. Elle avait beau vomir sa rage en écumant d’insultes, ses lèvres se tordaient apocalypses blanches. D’entre ses dents sifflaient le verbe d’un va-t-en. La haine d’elle-même. Elle avalait de la paume l’air qu’on pouvait respirer, bien serré, étranglé entre ses doigts d’acier et lui docile de se rapetisser, elle ne plierait pas. Elle c’était finit. Il restait désormais : la jeune femme, l’enfant, et la vie…

Ses mains remontèrent lentement le long de ses bottes, frôlant ses genoux, puis ses cuisses, son museau arriva à la hauteur de son ventre, elle se retrouvait pratiquement allongée sur elle en proie à des tremblements de découvrir l’horreur. Elle avala sa salive en découvrant son ventre rouge écarlate, un vent de panique s’infiltra dans ses chairs, ses mains continuèrent leur course pour venir envelopper de chaque côté les formes de cette fin de grossesse, elle ne savait pas quoi faire, dans l’absurde de la situation elle essayait de trouver la plaie… Elles étaient là, égarées, à ramasser à la petite cuillère. Elle continua son introspection minutieusement, comme si elle avait le temps pour cela, vint caresser son visage blafard, ses yeux fermés, ses long cheveux collant et poisseux, elle devait être blessée à la tête, mais la rouquine ne voyait rien, rien à par la protubérance où la vie était cachée. Dans certaines urgences on ne savait d’où on tirait ses forces, elle souleva la jeune femme dans ses bras, il fallait bien finir par s'enfuir. Partir avec rien ou si peu, contourner les points de mire, éviter les obstacles, trouver les frontières et les traverser dans le noir d'une nuit d'exil. Apprendre à continuer vaille que vaille et tant pis si quelque chose en elle s'était rompue, tant pis le dos fourbu, le profil bas, ce froid au cœur, tant pis cette solitude, cette désolation, oui, tant pis. Rejoindre le campement et la tente qu’elle avait quittée au début de la nuit. Les sauver, elle et l’enfant, les faire vivre à tout prix! Elle murmurait son prénom, elle lui parlait, essoufflée sentant les faibles battements de son cœur sur sa poitrine, avançant aveuglément, sentant le poids de sa vassale lui peser dans les bras, mais rien à faire elle devait continuer et ramper même s’il le fallait, mais ne surtout pas abandonner. Plus rien n'était pareil. Elle marchait, disait des mots tragiques quelque fois et ses yeux balayaient les tentes inconnues qui se profilaient à l’horizon, pendant que frémissait sa peau sous sa chemise, sentant la chaleur du sang se répandre sur elle. Elles étaient là. Quelques poignées d'amour contre un torrent de haine, comment était-ce possible?

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