--Fanzia
Il était bien tôt quand la troupe hétéroclite franchit les murs de Gent. C'était, à première vue, une ville morne, sans intérêt pour les brigands. Mais, pour les sicaires, c'était surtout un endroit propice au repos et au calme, après les évènements de ces derniers jours.
Tous étaient éprouvés. Leur otage, Krystel, avait les yeux rougis, et par le manque de sommeil et parce qu'elle avait beaucoup pleuré. Sa bouche était gonflée, suite aux gifles prodiguées par le Mendiant et le jeune garçon muet qui les suivait depuis le début. Filochard, toujours aussi impassible, suivait comme à l'accoutumé. Et elle... Elle ? Fanzia, elle allait bien, comme d'habitude. Vraiment ? Oui. Non. Oui... Non.
Silence et solitude.
Ils avaient perdu un compagnon de voyage. Ils avaient abandonné son corps aux eaux d'un canal. Gaspacho était mort. Il lui manquait déjà. Ils avaient partagé de mauvaises couches, dormi dans des draps mouillés, s'étaient battus ensemble, avaient tué, volé, pillé, torturé en coeur... A l'unisson. Ils n'avaient jamais été que des comparses, ils n'étaient que des compagnons d'arme. Jamais des amants. Le regrettait-elle ? Non, c'était une règle tacite entre gens de métier.
Peine et solitude.
La mercenaire avait toujours eu un faible pour les fiers moustachus. Gaspacho n'était pas que fier, il était brave. Il était Andalou. Il avait le métier dans le sang, dans le coeur. Dans son coeur de pierre. Ils marchaient ensemble pour le chef, le Maître des Ombres, qui gardait sur eux une mainmise totale. Ils ne le servaient certes pas par plaisir, mais cela n'avait pas grande importance, puisqu'elle se battait avec un ami. Et cet ami était perdu. A jamais. Il pourrissait déjà dans les eaux sales, à Bruges.
Tristesse et solitude.
Que lui restait-il, maintenant, comme complices ? Un garçon, à peine éduqué pour tuer, un Filochard pas très futé et surtout incompétent, un Mendiant miteux qu'elle devrait sans cesse avoir à l'oeil. Celui-ci avait été en effet un peu trop prompt à s'occuper de l'interrogatoire de la jeune fille. N'empêche, pour une fois, il avait eu bien fait. Ils savaient désormais que la gamine avait un lien avec leur affaire. Ils n'étaient pas marrons. Ils avaient tout bon. Elle n'avait plus de compagnon d'arme de qualité, elle n'avait plus d'ami, elle n'avait plus qu'une otage, une équipe à faire tourner.
Obéissance et solitude. C'était tout ce qui lui restait. Elle coula un regard sur la jeune fille. Qu'en feraient-ils, sitôt leur aventure flamande terminée ? Incertitude du lendemain. Tracas du quotidien. Avancer, avancer sur le chemin de la vérité. Obéir, obéir à ce chef tant haï. Rester seule. Toujours seule. A jamais, abandonnée par le seul homme qu'elle aurait pu aimer. Si elle avait jamais su aimer.
Ils étaient arrivés près d'un verger. Elle descendit de cheval.
Nous camperons ici.
Voix voilée. Gorge nouée. Il lui fallait continuer à avancer. Après tout, il lui restait son métier.
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