La lumière blafard de l'aurore délavait les ténèbres de la nuit, et faisait apparaître les nuages qui s'amoncelaient, réunis par le vent zélé dont les résidus persistants faisaient trembler les fines branches parcourues de bourgeons.
Les yeux mi-clos, emmitouflé dans sa cape, allongé sur la branche d'un chêne de la forêt comme il en avait pris l'habitude pour passer les nuits, Donagan somnolait.
Cela faisait si longtemps que le troubadour ne dormait plus vraiment... Ses rêves et ses pensées étaient chargés de démons. Le poids de sa culpabilité et de ses choix lui pesaient plus sur les épaules que sur les paupières.
Des choix et des erreurs. Et à présent il avait renoncé à toute identité, à toute vie, afin de poursuivre ce pour quoi il avait trahi, trompé, menti, manipulé, tué parfois. S'il arrêtait maintenant, tout ce qu'il lui semblait nécessaire de faire n'aura servi à rien. Des images, des pensées, des voix, et ses actes hantaient ses pensées, qu'il dissimulait derrière une bonhommie naturelle, mais qui revenaient le broyer intérieurement chaque soir.
Et son sommeil était encore plus difficile à trouver suite à son agression où il avait failli perdre la vie, sauvé par la personne qui s'occupait de l'endroit qu'il devait protéger, ce qui était à présent un dispensaire renommé. Une couverture parfaite pour dissimuler un trésor de brigands.
Sa méfiance s'était exacerbée et il faisait encore plus attention afin que personne ne le trouve de nouveau, surtout pas eux, même s'il passait son temps à mettre Albreicht et ses hommes sur des fausses pistes. Après tout, s'ils le retrouvaient, il retrouverait la clé et le trésor, car il était le seul à savoir, à pouvoir les y mener. Il revoyait parfois, lorsqu'il fermait les yeux, la semelle des bottes de Sly et des autres brutes lui écraser le visage et le torse. Et la douleur se réveillait encore, elle n'était jamais partie, elle l'accompagnait, s'ajoutant à ses démons intérieurs. C'est la peur terrifiante née de cette agression qui l'avait poussé à confier la clé à Cali, celle qui lui avait sauvé la vie et qui tenait le dispensaire. Ainsi au moins, il pensait que même s'ils le retrouvaient de nouveau, il pourrait mourir dignement sous leurs coups, sans la clé, et gardant secret pour toujours l'emplacement du trésor.
Petit à petit, au fil des années, à force de revenir s'assurer que tout aille bien au dispensaire de Thouars, il voyait le lieu évoluer, et s'était attaché en silence à Cali, même s'il s'interdisait d'entrer de nouveau en contact avec elle. Mais c'était également ainsi qu'il fit la connaissance de son compagnon, Yoyo, et qu'un jour, en passant par là, il le vit en grande difficulté dans son atelier en essayant de fabriquer une harpe pour sa compagne. Donagan lui apporta ses connaissances en instrument, et c'est à deux qu'ils parvinrent à fabriquer cette harpe.
Puis il disparut de nouveau, sans laisser de trace.
Les nuages menaçants ne tardèrent pas à se crever dans la mâtinée. Et la pluie se mit à baigner la ville et ses alentours, voilant la lumière du ciel, assombrissant les ruelles et l'humeur du troubadour qui n'était déjà pas au beau fixe. Mais la pluie lui permettait de louvoyer encore plus facilement, sans être vu. Le troubadour restait toujours en mouvement, et à Thouars jamais longtemps. Il allait de nouveau sur les routes.
Donagan vivait dans un monde de silence et de solitude depuis tant d'années à présent, et le clapotis sur les pavés et sur les toits ressemblait au brouhaha et à l'animation de la ville. Il en était indifférent. Il reportait ses sens et son talent observateur sur les signes de dangers et sur les traces d'Albreicht et de ses hommes, toujours aux aguets.
Et alors que les gouttes de pluie martelaient son corps et ses habits, il arrêta ses pas au milieu d'une rue. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose n'était pas habituel.
L'intuition peut-être, l'expérience sans doute, accumulées pendant des années. Ni une, ni deux, Donagan s'effaça dans les ombres et fit volte-face pour se rendre au dispensaire.
Culminant à son point d'observation habituel, qu'il savait sûr et indétectable pour l'avoir souvent mis à l'épreuve, le troubadour sentit son coeur s'affoler et reçut comme une décharge dans le cerveau.
Il repéra les quelques hommes disséminés ça et là dans les recoins de la rue, et il repéra Sly, et, comme dans un cauchemar effroyable, le pire des scénarios se déroula. Donagan vit Cali inviter Rupert et Albreicht à l'intérieur du dispensaire.
Des milliers de pensées se bousculaient dans la tête de l'espion. Des questions sans réponses. Que faisaient-ils ici, que diantre ? Comment ? Comment avaient-ils repéré finalement ce lieu ?
Donagan cligna un oeil sous la douleur et l'effort de réflexion. Brouillé et brouillon, il comprit à peu près qu'il avait commis deux autres énormes erreurs.
Revenir à Thouars et au dispensaire trop souvent alors qu'il était sans cesse pisté.
Et avoir laissé le coffret à Cali, au dispensaire... Avoir laissé la clé du trésor à l'emplacement du trésor.
Et sa troisième erreur, qu'il venait de comprendre et dont il n'avait jamais eu conscience jusqu'à présent... Avoir impliqué Cali et la mettre en danger, dans le viseur d'hommes peu recommandables.
Sa respiration se fit difficile et les douleurs dans ses membres se réveilla sous l'humidité de la pluie. Depuis son agression il était beaucoup moins agile et il gardait de nombreuses séquelles. Et dans le cas précis, tous les hommes d'Albreicht étaient là, et Sly surveillait la rue. Il connaissait leur manière de procéder, ils ne laisseront personne s'approcher du dispensaire.
Donagan devait empêcher l'ancien militaire du Saint-Empire mettre la main sur le coffret, sur le trésor... Mais il avait beau réfléchir aux différentes options, il ne pourra pas y arriver seul.
Il avait besoin d'aide.