[Du tripot au tricot, des noisettes qui croisent un malfrat aux éclats blets.] La Vilaine se dirigeait vers l'une des frontières poitevines pour déguerpir au plus loin de cette terre marécageuse et laisser sa place à d'autres. Evitant soigneusement villes et chemins tracés, elle arrêta son cheval qui trainait déjà les sabots dans la torpeur estivale. Un bruit de galop au loin. Une vie qui se hâtait dans ce coin. Un évènement dans le marais poitevin.
Hein ? Truffe plissée, noisettes affutées, chignon incliné, le regard de Nessty finit par croiser un étrange cortège. Etrange à ses yeux ? Non mais suffisant pour qu'un léger sourire se dessine sur le minois blafard de la donzelle. Spectacle scabreux et inquiétant d'un Empailleur à la faucille réputée plus efficace que celle de la grande faucheuse sans nom, de quoi emplir les braies des bouseux qui se nourrissaient uniquement de préjugés et de ragots.
Vain diù d'vin doux. Qu'est ce que l'Corbac vient foutre dans c'cloaque ! Debout dans ses étriers, l'enchignonnée avait pris la peine de décoller son conet du dos de son canasson pour mieux scruter les environs et s'assurer que cette silhouette était bien celle que l'on reconnaitrait entre mille sauf si on lui adjoignait 999 squelettes. Oui, c'était bien le chauve du Cartel qu'elle avait croisé à Niort avant de l'inviter à venir en Périgord. Mais... deux cavaliers, seulement deux... Où était la Fourmi et son spadassin ? Où était l'généralissime Zouzy l'rose ? Où était... La gueuse se recala dans sa selle, soupira en se souvenant que même dans une faction des scissions étaient souvent nécessaires et regarda un instant son compagnon de route. Elle suivait l'évolution des cavaliers dans un vallon en contrebas avant de les perdre de vue. Ils étaient un peu comme cette peste qui se répandait, invisible et pernicieuse, mais qui frapperait fatalement là où on l'attendait le moins.
Mon tout gros, si l'Falco file sans grande pompe et sans bruit de ferraille militaire c'est que le trépas attend cet oiseau de mauvais augure en d'autres lieux que nos eaux saumures. L'ironie se lut sur la visage de Nessty.
Le souvenir de leur première rencontre en cette même région lui revint en mémoire. Une surprenante représentation théâtrale d'osselets agités pour conter le malheur d'une comtesse angevine jetée dans un fossé par les siens. Le mépris et l'inertie des poitevins, malgré le vin offert à faible prix en cette espèce de buvette improvisée en rase campagne, avaient été les seules congratulations émises il y a près de un an, ici même. Toujours dans le même esprit où une caboche poitevine bien enfoncée dans le sable valait mieux que des mirettes ouvertes sur une réalité entravée, c'était la comtesse Lady et ses paires qui jetaient les leurs dans le fossé au même moment et en ce cher Poitou. La jeune niortaise venait de revivre son premier combat contre les moulins à vents qui la rendrait si Vilaine au sujet de la spoliation des voyageurs. Elle venait également de croiser, sans le savoir ce jour là, celui qu'elle appellerait plus tard le Corbac et pour qui elle tricoterait pendant un hiver rigoureux un bonnet à pompon, du rose pur rose, pour couvrir sa calvitie au brillant éblouissant.
Tandis qu'elle ricanait en repensant à toute la classe de cet homme qui n'avait point eu besoin d'échasse sociale pour se prévaloir d'une existence au sommet d'une contrée, elle tira sur la bride de son canasson pour repartir, bercée par son pas mollasson vers le premier lieu qui l'éloignerait des poux du Poitou et des baudets des marais. Le bougre était peut être un peu trop brigand dans l'âme pour paraitre honnête Fossoyeur comme il voulait se prétendre. La gueuse était peut être un peu trop honnête en maltraitant des ânes pour être brigande comme on voulait la désigner. Nessty gardera toute fois un bon souvenir de Falco tant le sarcasme chatié de ce dramaturge avéré l'avait fait sourire et même rire. Ben oui, les réactions de ses victimes frisaient souvent le ridicule de ces chiens courant après leur propre queue et leurs cris ravivaient toujours plus l'imagination du moralisateur si farceur.
La garcelette maudit la vieille carcasse qu'elle chevauchait et en vint presque à regretter ces ânes abandonnés chez un pécore de Niort, ce qui l'amenait à maudire d'autres baudets fréquentés par le passé. L'ancien procureur avait été outré lors de son passage au château de Poitiers par la réaction d'un conseil se tenant le séant à deux mains pour éviter par tous les moyens de se le faire botter en beauté tant par une Vilaine que par une truandaille dont le nom apparaissait sur un papelard rédigé par un soudard inculte et méprisant.
Kram, je ne t'ai jamais relaté l'évènement de la Guyenne autorisant une fuite vers le Nord à l'armée en guenilles du Corbac. Cela lui restait réellement en travers de la gorge, à la ptiote qui n'avait fait que tenter déconfire de leur ânerie plus d'un pédant de gouvernant à ce sujet là. Elle avait toute fois gardé le silence imputable à sa fonction comtale bien que l'on cherchait publiquement à prétendre le contraire. Elle poursuivit donc son récit pour son ami, en pleine campagne poitevine, martel en tête et sous le martel des bêtes.
Le Ptit Hi-han avait pris connaissance au conseil même de la trêve accordée à une liste de manants pour que ces derniers se retirent de Guyenne. Il a toute fois omis volontairement la coopération amicale fraichement tissée avec les voisins et demandait à ce que la grosse artillerie de Theodebert soit mise en branle pour occire un brigand réputé jusqu'aux sommités royales ainsi que la merdaille de noblions qui accompagnait l'épouvantail décharné. Encore un magnifique délit de sales gueules commis par de pâles veules, de quoi m'enrager plus que jamais comme tu le sais Kram ! Je n'ai jamais connu l'issue de tout cela car les cancrelats du Cartel et du Renard se sont dirigés vers une autre contrée. J'ai menacé de porter l'affaire en publique si la voix de la Guyenne n'était pas respectée et encore plus si un minimum d'humanité n'était pas appliquée. La gueuse avait tapé des pieds pour que l'on respecte l'honneur de ces belliqueux déjà en sursit, ne serait ce que pour leur permettre de panser leurs blessures ou de se repentir. D'autant plus qu'ils n'avaient jamais été condamnés en Poitou même, d'autant plus qu'il était certain qu'ils ne viendraient pas mourir d'ennui dans une telle région. D'ailleurs, l'ancienne conseillère, elle aussi considérée comme une indésirable, fut dégoutée par une autre forme de lâcheté insoupçonnée par un peuple prospère.
Je t'épargne les détails quand j'ai découvert la connivence entre les comtes Petitjehan le Baudet du Poitou et Flex le vieux Renard rancunier du Périgord. Il est honteux de battre des hommes déjà plus qu'affaiblis et de ne leur donner d'autre choix que celui d'avancer vers une mort certaine simplement parce que leur nom a été cité dans un communiqué hors de nos frontières. Aucune chance de survie pour les gueux ne cultivant point de rosière odorante dans ce jardin d'Amorphophallus poitevin soupira la donzelle qui se savait également registrée dans tous le royaume pour avoir signé de son sceau de Grande Vilaine différents placards.
La Vilaine était un peu surprise de voir le Corbac encore sur ses pattes mais elle garda sa mâchoire crispée au souvenir de l'amertume engendrée par ces faits relatés du conseil comtal. A parler honneur et rappeler les liens diplomatiques liants Poitou et Guyenne à un ancien chancelier chancelant dans sa couronne factice, Nessty avait fini par se faire traiter elle même de brigande et par se faire chasser du conseil en tant que telle. D'ailleurs, pour quelle raison la qualifiait on de voleuse ? Aucune puisqu'elle n'avait jamais commis de maraudages et sa seule condamnation avait été pour inéligibilité d'une liste comtale. Le reste n'étant que racontars de bouseux qui se nourrissaient uniquement de préjugés et de ragots.
Pouark ! La gueuse chassa son dépit en talonnant sa monture pour lui donner une allure un peu plus vive que celle d'une limace rôtissant en plein soleil avec sa lopette, toujours moins prompte que celle d'un corbeau rasant la poussière des grands chemins avec ses salopiots. Le soleil levant était par là où passerait la Vilaine, il était également vers là où se dirigeait le Cartel. Hasard d'une route, hasard d'une taverne, hasard tout court pour deux adeptes dans l'art de rentrer dans le lard en foutant le bazar.
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On peut lire sur un mur : "La bisounoursite aigüe m'a achevée...". J-2