Klesiange
[A l'orée de la forêt...]
Les muscles encore gonflés par l'effort et le corps légèrement en sueur, le bûcheron sort de la forêt d'un pas décidé. Comme toujours simplement vêtu d'une tunique pâle et de bottes en cuir, il tient sa lourde hache par le haut du manche. Sa démarche commande à ses puissantes épaules un mouvement de balancier, faisant décrire au tranchant de la lame une courbe précise et menaçante.
Il s'arrête un instant pour contempler le ciel dont la cime des arbres l'avait privé tout ce temps. Depuis le moment où il a cessé de débiter ses troncs, la pénombre s'est répandue en dehors du monde végétal. Seul le clair de lune permet d'y voir encore un peu. Mais alors que ses yeux sont rivés sur l'astre, une colonie d'oiseaux qui se suivent l'un derrière l'autre raye d'un trait sombre le grand cercle argenté. Peut être un mauvais présage...
... mais ce n'était pas le moment d'y songer, il était déjà bien assez en retard pour ne pas perdre plus de temps en superstitions. Après une bonne heure de marche, il se présente enfin devant la porte de la taverne... fermée! Impossible de l'ouvrir, même en tournant la poignée dans tous les sens. Pourtant la jeune femme qu'il est venu retrouver l'attend à l'intérieur, il le sait. Il songe bien sûr à laminer la porte avec sa hache mais elle est faite d'un chêne massif. Même ses gros bras mettraient plusieurs heures avant de parvenir à créer une ouverture. Il aperçoit un atelier de charpentier et s'y précipite. Il semble tout neuf, bien ordonné et ne tarde pas à trouver ce qu'il est venu chercher. Possible qu'on lui en voudrait de se servir ainsi mais les circonstances l'exigent. Il emprunte une solide bûche et y plante profondément un ciseau de chaque côté, à une hauteur différente. Muni de son bélier improvisé, Kles sort de l'atelier, fait deux pas à l'extérieur et s'arrête sur le champ. En l'espace de quelques secondes, tout devient noir
parfaite obscurité. Il court avec précaution jusqu'à l'endroit où se situait encore il y a peu la porte de la taverne et donne un grand coup juste à côté du verrou, puis un second, un troisième... un cri! Quelqu'un ou quelque chose s'en prend à elle. Il redouble d'efforts et déploie une force surhumaine pour faire céder la porte.
Klesiange
Spectacle invisible, lumière terrassée. Lintérieur de la taverne est encore plus noir que dehors. De profundis, les Ténèbres ont jailli, chevauchant la pénombre du soir pour se répandre. Au cur de la pièce, un soleil noir dégage un halo dobscurité. Impossible de voir mais quest ce quon entend pas...
Citation:Qui va là?? Au nom du Très-Haut, retourne sur l'enfer lunaire !!!
Bien que dissimulée derrière des tremolos, il reconnaît tout de suite sa voix. Un peu plus rassuré, il lâche la bûche qui sécrase au sol.
Euh Linon
cest Kles. Tout va bien ? où êtes vous...?
Sa voix est étrangement calme. L'anormal ne leffraie pas. Outre le fait quil nest pas dune nature craintive, dix jours retiré au fin fond de la forêt ont achevé de chasser ses angoisses les plus ancrées. Il savance dans sa direction, prenant garde de ne pas la heurter...
... à deux doigts d'être éborgné. Il se saisit vivement de l'objet
un long morceau de bois à peine recourbé
de la paille
un dossier
Kles écarte doucement la chaise et prend le bras de la jeune femme.
Venez avec moi, nous allons sor
Une vibration sourde et puissante parcourt les chairs des pieds à la tête. Une sorte de mugissement, qu'on dirait presque animal, surgi des sous terrains. Puis le silence
Le géant blond reste immobile, dans lattente, serrant Linon contre lui
long silence
il est temps de partir sans faire de bruit
Craquement soudain! le dallage explose sous leurs pieds !!! S'en suit un vacarme étourdissant qui résonne dans toute la pièce. Les poutres saffaissent, les morceaux de pierre retombent sur le sol, seffritent sous les bottes pendant que l'homme presse la jeune érudit de se diriger là où se trouvait la porte.
Ne pas céder à la panique, partir dun pas vif et preste
lorsque soudain, quelque chose se met en travers de leur route, frôle son visage à toute vitesse, foudroie lair en direction de sa protégée
Klesiange
Fausse alerte ! En entendant une série de glapissements plaintifs que même les cris terrifiés de la jeune femme ne peuvent masquer, il comprend assez vite que le projectile fulgurant nest autre que lécureuil roux tout innocent.
Lair qui sengouffre dans les poumons est différent, plus frais, moins renfermé
le seuil est franchi. Ils ne sont plus cernés par le déluge, le vacarme semble dailleurs sapaiser.
Les nerfs se relâchent, Linon étouffe des pleurs dans ses bras. Il la serre tout en observant le changement qui se produit. La brume de noirceur qui gravite autour du bâtiment commence enfin à se dissiper. Elle lui pose une question
en réponse immédiate, son pouce efface les larmes qui perlent encore sur sa joue.
Cest terminé Linon
terminé
Ce que cétait
? Un bien étrange secret que les fondations de la taverne ont étouffé tout ce temps
Un magma en fusion qui nattend que son heure pour exploser ? Un vieux cimetière gaulois dont les âmes qui nont pas encore trouvé le chemin dAvalon auraient été dérangées dans leur quête funeste ? Une créature ineffable, blottie depuis des temps anciens dans les profondeurs terrestres et repoussant in extremis le gigantesque déchaînement de violence qui accompagnera son réveil
?
Kles tourna le dos à ces interrogations et entreprit de raccompagner la jeune femme chez elle.
Aucune réponse ne serait apportée ce soir, ce terrible soir du 24 Août 1457... Mieux valait d'ailleurs espérer qu'aucun habitant de cette ville naurait jamais loccasion de découvrir enfin ce qui se cache
sous la Sémuroise.