[ Quelques jours plus tôt, en pleine nuit ]
Des visions, un cauchemar. Des émotions, un départ. Un décès, un nouveau-né.
Les sueurs
froides, tout comme le regard bleu acier qui apparaît au-delà des glaciers. Il nest plus là mais il est partout autour ; dans le souffle du vent, leau des montagnes, la poussière de terre savoyarde, et le feu de la passion. Ce regard comparable à nul autre, quelle ne peut oublier.
Cette nuit, il se fait volontairement dur et froid. La Voix dit quil lui faut aller là bas. Elle ne veut pas. Elle ne rentrera pas en Savoie. Mais Lui, il dit quIl a laissé quelque chose là bas, quelque chose dont seul un fils est digne
La bohémienne se réveille en sursaut, trempée, dans la sombre piaule où elle se terre depuis cinq jours avec lenfant. La-t-elle rêvée ou le Baron Cochon lui a-t-il réellement parlé ?
Parler de quoi déjà ? Elle passe une main à son front brûlant. Les battements de son cur ralentissent déjà. Elle se rappelle ses énormes bras et le réconfort quelle y trouvait. Le son de sa voix, et tout lAmour quil lui portait
Ses étreintes
non, le rêve était cauchemar. Il parlait
de
La Savoie ?
Il aurait donc laissé quelque chose là bas
Entre rêve et réalité ; comment choisir ? Pas le choix ! Elle doit aller là bas
[ Sept jours plus tard sur les Bords de La Leysse ]
De rumeurs en informateurs, voilà quelle y est
guidée par un simple rêve qui finalement a pris consistance. *
Nen parle pas ma pauvre fille, déjà que tu passes pour une hérétique, manquerait plus quon taffuble dêtre folle ! *.
Elle a trouvé un point dobservation qui lui permet de ne point être aperçue. Droite, en selle, lenfant endormi sur sa poitrine caché sous la cape, elle guette tout ce remue-ménage. Une cérémonie dadieu ou un truc du genre. Elle note dans sa petite tête tous les présents :
Lisyane, tout dabord dont elle partage la souffrance due à la perte dun être cher,
Néocor un des seuls hommes de Dieu quelle a compté au nombre de ses amis,
Louis1er avec qui elle a eu la veille même une explication dans les règles de lart,
Bourbier et
Samo avec qui elle est partie en mission sécurité à plusieurs reprises, et dautres personnes quelle a du mal à identifier.
Elle nose pas sapprocher. Sa monture est calme et discrète, et elle espère découvrir le secret du rêve.
« Jai laissé quelque chose là bas
»
Curieux ça, et la coïncidence est de taille. Shera na jamais cru que
Grandgousier soit le fils de
Phaco, mais tante
Jeanine elle, lavait cru ou tout au moins souhaité. Le géant vert navait jamais inspiré confiance à la bohémienne.
Un profiteur qui avait certainement reniflé la bonne aubaine dune famille riche, influente, mais décadente en Terre Savoyarde.
Un imposteur
qui avait le culot de lui mentir sur les amours et la descendance de tante Jeanine, mais dautre part qui rappelait à qui voulait lentendre (ou pas) que le Baron Cochon avait eu moultitude de conquestes
dont une fille de joie quil aurait dabord engrossé, puis régulièrement versé pension. Alors que pour elle, et pour son fils
Angel, il navait su laisser que le poids et la douleur de sa Mort.
Conclusion Rom : que ce Grand Gosier aille sécher en Enfer !
Et pourtant
La supercherie avait pris. Les Chambériens lui avaient accordé leur confiance, et avait désigné Grandgousier comme le digne fils de Phaco. De quoi faire pâlir même la peau la plus halée ! Une rencontre avait eu lieu à lhostel de la Pérouse. Elle sen rappelerait toujours. Jeanine, Lysiane, GG, elle, Constance et bébé Angel.
La louve avait sorti les crocs. Jeanine, aimant à se reposer sur la possibilité dun héritier beau parleur et robuste, ivrogne et riche
de chansons paillardes, avait tenté de rassurer Shera. Son enfant, Angel, avait été reconnu par les De Chevelu. LHérauderie soccuperait de lui en temps et en heure, de sa reconnaissance et de son héritage. Et ce, malgré larrivée impromptue et inattendue de ce géant vert qui déclarait ne rien demander en titre, écus
Comme si elle allait le croire ! GG étant alors laîné, elle se doutait bien de ce qui arriverait à Angel.
Finalement, le Destin avait bien fait les choses. Sil navait pas disparu, peut être sen serait elle chargé elle-même ! Forte de cette observation, un sourire cynique se dessina sur son visage fin. Poison ou combat régulier, elle aurait longtemps hésité !
Séloignant de ses réflexions, elle revint à ses premières observations. Pendant que tonneaux et charcutailles commençaient à circuler, une question la taraudait. Quavait donc pu prendre Grandgousier à la famille de Chevelu ? Si elle avait été humiliée, maltraitée, moquée, persécutée,
jamais, oh non, en tout cas jamais elle ne laisserait faire le centième de ce quelle avait enduré, à son propre fils. Elle le défendrait bec et griffes, dusse t-elle en périr. Ce rêve, si tant est quil en fut un, nétait pas anodin. Promesse fut faite que ce Grandgousier nemporterait rien de Phaco dans sa tombe. Non, pas tant quelle vivrait !
Après tout, quil aille se chercher un autre père fictif...
Là où il était, il nen avait plus guère besoin